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Interventions éducatives visant la réduction de la violence dans le cadre de projets d'insertion professionnelle destinés aux anciens détenus

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par Régis Verhaegen
CPFB (UCL) - Baccalauréat en éducation spécialisée 2003
  

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4.2 Résultante intrapsychique

Une action violente peut avoir un grand nombre de conséquences émotionnelles sur celui qui la réalise. Cela va dépendre, entre autres, des conséquences factuelles de l'acte, de l'éducation, du fonctionnement psychologique et des croyances de l'auteur. Le panel de sentiment ressenti après avoir été violent est relativement hétéroclite : fierté, tristesse, dégout, peur, satisfaction, insatisfaction, nervosité, calme, sentiment d'appartenance, joie...

Ces sentiments vont amener l'individu à évaluer son action. Il établira ainsi, avec les conséquences factuelles, la valeur et l'utilité de cette manière d'agir. On peut donc utiliser le fonctionnement émotionnel pour diminuer ou augmenter l'usage de la violence.

Interventions pratiques : revue de la littérature

Il a été expliqué au chapitre 3.4 (facteurs intrapsychiques), que certaines interventions peuvent servir autant pour prévenir que pour guérir. Une partie des interventions vues ici peuvent donc être utilisées dans les deux cas.

Mettre ailleurs
Le mécanisme de dérivation62(*) est l'un est plus pratiqué pour éviter d'avoir recours à la violence. Traube (2002) explique que la pulsion agressive a besoin d'être exprimée d'une manière ou d'une autre. Si elle n'est pas extériorisée, elle aura tendance à avoir des effets internes néfastes. Le nombre de passage à l'acte violent réel est normalement infime par rapport au nombre de fois où l'on a envie de le faire. C'est simplement parce qu'il y a toute sorte de façons de dériver cette pulsion, de la diriger ailleurs. Voici quelques mécanismes de dérivation.

· L'interdit, la répression. Elle peut être consciente et délibérée (ce qui est assez sain) ou inconsciente (c'est une forme de conditionnement, un fonctionnement de type névrotique).

· Le déplacement de l'objet. On déplace la pulsion agressive de cible. Cela peut être assez sain (par exemple quelqu'un qui déplace son agressivité sur un ring de boxe) ou malsain (un professeur qui déplace, par exemple, sur ses élèves l'agressivité qu'il a envers sa femme).

· Le déplacement d'affect. On remplace le sentiment de colère par un autre. C'est plutôt un processus pathologique, un genre de refoulement.

· Le défoulement. Peut-être utilisé efficacement avec des sports de frappe comme le football ou le tennis.

· La verbalisation : dire au lieu d'agir.

· L'imagination. Le fantasme est une mise en scène du désir qui peut éviter un passage à l'acte.

· La sublimation. Canaliser l'énergie agressive et l'amener vers quelque chose de constructif comme l'expression artistique. On part d'une émotion négative et destructrice pour l'amener dans un domaine où elle peut être positive et constructrice.

Penser avant d'agir
Born et Chevalier (in Lepot-Froment, 1996) et Vanaubel (2010) citent l'importance de savoir différer la satisfaction et de savoir établir une réflexion avant l'action. Ils associent ces apprentissages à des méthodes plus générales de résolution de problèmes (cf. chapitre 4.4).

Moralité
Certaines méthodes visent à développer les capacités de raisonnement moral des individus. Tout individu établit une échelle de valeurs concernant ses actions et celle des autres. Cette échelle peut avoir différents niveaux. Le niveau le plus bas est celui de l'égoïsme : ce qui est bien est ce qui est dans mon intérêt et ce qui est mal est ce qui me nuit. Plus on évolue dans cette échelle plus on arrive à intégrer ses intérêts avec ceux des autres. D'abord ceux qui sont le plus proche de nous et puis, au fur et à mesure, on élargit vers des groupes de plus en plus grands. Dionne et St-Martin (In Massé & al. 2006) établissent quant à eux 3 niveaux de jugement moral. Au niveau 1, l'individu agit dans son intérêt ou pour ne pas être puni. Au niveau 2, il va essayer de paraitre bien aux yeux des autres, il va faire preuve de considération et accomplir les devoirs qu'il a acceptés. Au niveau 3, il va agir par principe éthique applicable à tous. Ils proposent une méthode pour faire évoluer le niveau de raisonnement moral des personnes. Basée sur des débats autour de dilemmes moraux hypothétiques, elle permet de faire réfléchir au sens des règles légales et morales de la société. Par cette technique, les participants arrivent peu à peu à développer un raisonnement plus élaboré sur les questions morales.

Mbanzoulou (2000) constate le rôle positif qu'ont les différents acteurs religieux sur le niveau de raisonnement moral de prisonniers. Ils apportent ce qu'une institution d'état n'arrive souvent pas à donner : des valeurs morales acceptées et une notion claire de bien et de mal. Le personnel religieux fait, par l'assistance spirituelle qui est offerte comme un droit inaliénable, un énorme travail d'éducation morale. Alors que les différents intervenants sociaux sont cadrés sévèrement et souvent mis de côté pour des impératifs de sécurité, le personnel religieux a plus de liberté et une relation plus proche avec les prisonniers. Ainsi, d'après l'auteur, la religion a un impact positif sur l'évolution morale des personnes incarcérées.

Gérer ses émotions
Puisque les émotions font partie des éléments qui amènent à poser un acte violent et qu'une mauvaise capacité à gérer celle-ci se retrouve souvent chez les auteurs d'agression (Dowen, Blanchette et Serin, 1997), il semble logique d'essayer d'apprendre la gestion des émotions tant au niveau préventif que comme traitement. Ainsi, les programmes de maitrise de la colère sont parmi les plus utilisés dans les prisons canadiennes. Ils y travaillent aussi l'anxiété, la jalousie et la frustration. Massé & al. (2006) proposent une gestion du stress, un développement du concept de soi et un entrainement à l'empathie.

Éducation à la dure
Il existe un type d'intervention utilisé depuis la nuit des temps. C'est ce que Born et Chevalier (in Lepot-Froment, 1996) appellent emotionnalshocktraining(l'entrainement par choc émotionnel). Le principe consiste à utiliser des renforcements négatifs très forts pour provoquer chez le sujet un choc émotionnel intense. Cela devrait avoir pour conséquence de l'éloigner durablement, en utilisant la peur, du comportement visé. On y retrouve toute les formes de punition exagérées, les maltraitances à visée éducative, la torture, la création de milieux aux conditions invivables, tout ce qui peut faire peur (comme les menaces)... Il y a bien sûr plusieurs niveaux d'intensité de ces moyens d'intervention : on ne peut, par exemple, raisonnablement pas comparer la torture avec une menace de renvoi d'un établissement scolaire. Au-delà des critiques d'ordre éthique que l'on peut faire à ces méthodes, leur efficacité a été étudiée. Elles ont efficacité certaine, mais à courte durée et tant que la peur fonctionne. Comme elles utilisent une forme de violence, elles vont avoir tendance à générer une agressivité réactionnelle. Donc, ces méthodes auront souvent l'effet inverse de celui qu'elles désirent produire. Elles sont pourtant encore largement utilisées de par le monde.

Sur le terrain : observations et interventions personnelles

Déplacer
Le projet Kick Off a mis en place différents moyens de dérivation d'émotions comme la colère et la frustration. Nous avons largement parlé de la verbalisation dans différents autres chapitres. Le sport présent dès la session 1, a pour but d'aider à relâcher les tensions et à canaliser la colère. Le membre de l'équipe qui en a la charge en a bien conscience et oriente les exercices sportifs (essentiellement de la boxe) dans ce sens. La présence d'un sac de boxe à la cave, élément déjà abordé précédemment, est régulièrement utilisée par les participants pour calmer leur colère. Le projet d'écriture de la session 2 a permis à quelques participants d'y mettre des éléments personnels de frustration (sujet 2 et deux autres participants). J'ai également remarqué que plusieurs participants utilisaient le travail comme moyen de canaliser leur colère. Quand ils étaient frustrés ou énervés, ils travaillaient avec acharnement et refusaient de faire des pauses. C'est arrivé avec les sujets 3, 6, 9 et 11 ainsi qu'avec d'autres participants. Cette façon d'agir peut être considérée comme une forme de sublimation de la colère. Je ne m'étais pas rendu compte de l'aspect positif de ce comportement avant de faire cette étude. Je vais en faire part à l'équipe pour que nous puissions valoriser cela chez les participants.

Valeurs religieuses
Il y a un élément que j'aimerais pouvoir utiliser, mais que ma position de travailleur social, d'éducateur et d'employé communal m'interdit. Pour presque tous les sujets étudiés, la religion à une place très importante (sujets 2, 5, 7, 8, 9, 10, 11 et 12). Les sujets attachés à leurs croyances religieuses étaient musulmans ou chrétiens (protestants ou catholiques). Ces deux religions contiennent chacune des valeurs morales très positives. Elles ont des messages de paix, de tolérance, de non-violence, d'amour, de résignation, d'acceptation des difficultés, d'efforts dans l'adversité... qui pourraient être d'une grande utilité pour la vie des participants. De plus, ce sont des valeurs qui, comme elles sont émises par la religion qu'ils pratiquent, sont facilement acceptées par ceux-ci. J'aimerais pouvoir utiliser ces éléments pour les aider. Les règles déontologiques de ma position viennent malheureusement contrecarrer cette envie. En plus du devoir de neutralité de l'éducateur, le travailleur communal que je suis à une obligation de réserve concernant les sujets à caractère religieux. J'ai posé la question à ma coordinatrice qui m'a confirmé cela. Je comprends sans difficulté les raisons qui amènent à ces règles de déontologies. Je trouve dommage de devoir me priver d'une ressource aussi précieuse. J'étudie, à un niveau privé, les religions et leurs messages moraux. J'y trouve de nombreux éléments qui pourraient, si elles sont bien utilisées, avoir un impact réellement positif sur l'agressivité et le recours à la violence des participants. Je dois malheureusement m'en passer.

Gérer ses émotions
Durant la session 2, une collègue éducatrice de fonction et psychologue de formation, est venue en tant qu'intervenant externe donner un programme de gestion des émotions pendant deux matinées. J'ai été assez déçu par son intervention qui n'a fait, selon moi, que survoler le sujet. Cette collègue a depuis quitté l'ASBLBravvo et c'est donc à moi que cette activité est revenue. Je compte utiliser les nombreux apprentissages que j'ai pu réaliser avec ce travail pour mettre en place une série d'exercices visant une bonne gestion des émotions. J'ai déjà mené ce type d'exercice avec des groupes d'enfants dans l'enseignement spécialisé de type 1 et 8.

Projet de gestion des émotions

Lieu : locaux du projet Kick Off

Durée : un après-midi (3h) et une matinée (2h30)

Objectifs :

· Amener un moment de réflexion entre stimulus et réaction

· Savoir identifier ses émotions (via des signaux d'alarme) et celles des autres

· Savoir dériver la colère

· Savoir se calmer

Écueils à éviter :

· Infantilisation des participants

· Manque de sens des activités pour les participants

· Perte de contrôle si les sentiments travaillés provoquent des émotions trop intenses chez les participants

Façon d'éviter ces écueils : ne pas utiliser trop de jeux, expliquer et discuter préalablement avec les participants sur le sens de chaque exercice, vérifier qu'il fasse sens pour eux, faire des pauses nombreuses, intercaler des exercices de relaxation et avoir la possibilité de quitter le local ou d'aller en bas frapper sur le sac.

Pédagogie : pédagogie active, pédagogie par l'expérience, psychologie humaniste

Activités :

· Visionnage d'extraits de films avec identification participative des émotions, de la façon de les repérer et de leur impact sur la vie que l'on mène. Émotions : anxiété, frustration, colère, tristesse, joie, honte, sérénité et peur. Pendant cet exercice, on apprendra aussi à éviter de porter des jugements de valeur sur les émotions. On gardera ce principe pour tous les autres exercices.

· Exercice de respiration visant à la relaxation.

· Par groupe de deux, exercice pour apprendre à mettre un moment entre stimulus et réaction. Chaque groupe à un tas de cartes reprenant des situations problématiques de la vie quotidienne. Dans un premier temps, les participants (l'un lit la situation et l'autre essaye de la résoudre) devront faire un maximum de cartes en 3 minutes. Dans un second temps, ils devront attendre 10 secondes (que celui qui pose la question mesurera) entre la question et la réponse. Ensuite, ils évalueront quelles étaient les solutions les plus pertinentes (avec ou sans moment de réflexion).

· Exercice de visualisation pour apprendre à se détendre et à identifier son état d'esprit.

· Débat assez court sur la colère (et les sentiments qui en sont proches : jalousie, anxiété, frustration...) et sur son impact dans nos vies. Partage d'expériences et de moyens permettant de dériver la colère.

· Jeux de rôles sur des situations professionnelles frustrantes. Discussions après chaque mise en scène sur les émotions ressenties chez soi et perçues chez les autres. Recherche de piste de solution pour rendre la situation plus sereine. La scène sera ensuite rejouée en mettant en pratique une ou plusieurs des solutions proposées

L'évaluation sera basée sur l'intérêt des participants pendant les activités, la richesse des échanges et la mise en pratique, pendant la suite de la session, des éléments appris.

* 62 « Action de dériver de son cours naturel, l'écoulement de quelque chose. » (Le Petit Robert de la langue française, 2014)

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld