4.2
Résultante intrapsychique
Une action violente peut avoir un grand nombre de
conséquences émotionnelles sur celui qui la réalise. Cela
va dépendre, entre autres, des conséquences factuelles de l'acte,
de l'éducation, du fonctionnement psychologique et des croyances de
l'auteur. Le panel de sentiment ressenti après avoir été
violent est relativement hétéroclite : fierté,
tristesse, dégout, peur, satisfaction, insatisfaction, nervosité,
calme, sentiment d'appartenance, joie...
Ces sentiments vont amener l'individu à évaluer son
action. Il établira ainsi, avec les conséquences factuelles, la
valeur et l'utilité de cette manière d'agir. On peut donc
utiliser le fonctionnement émotionnel pour diminuer ou augmenter l'usage
de la violence.
Interventions pratiques : revue de la littérature
Il a été expliqué au chapitre 3.4 (facteurs
intrapsychiques), que certaines interventions peuvent servir autant pour
prévenir que pour guérir. Une partie des interventions vues ici
peuvent donc être utilisées dans les deux cas.
Mettre ailleurs Le mécanisme de
dérivation62(*) est l'un est plus pratiqué pour éviter
d'avoir recours à la violence. Traube (2002) explique que la pulsion
agressive a besoin d'être exprimée d'une manière ou d'une
autre. Si elle n'est pas extériorisée, elle aura tendance
à avoir des effets internes néfastes. Le nombre de passage
à l'acte violent réel est normalement infime par rapport au
nombre de fois où l'on a envie de le faire. C'est simplement parce qu'il
y a toute sorte de façons de dériver cette pulsion, de la diriger
ailleurs. Voici quelques mécanismes de dérivation.
· L'interdit, la répression. Elle peut être
consciente et délibérée (ce qui est assez sain) ou
inconsciente (c'est une forme de conditionnement, un fonctionnement de type
névrotique).
· Le déplacement de l'objet. On déplace la
pulsion agressive de cible. Cela peut être assez sain (par exemple
quelqu'un qui déplace son agressivité sur un ring de boxe) ou
malsain (un professeur qui déplace, par exemple, sur ses
élèves l'agressivité qu'il a envers sa femme).
· Le déplacement d'affect. On remplace le sentiment
de colère par un autre. C'est plutôt un processus pathologique, un
genre de refoulement.
· Le défoulement. Peut-être utilisé
efficacement avec des sports de frappe comme le football ou le tennis.
· La verbalisation : dire au lieu d'agir.
· L'imagination. Le fantasme est une mise en scène du
désir qui peut éviter un passage à l'acte.
· La sublimation. Canaliser l'énergie agressive et
l'amener vers quelque chose de constructif comme l'expression artistique. On
part d'une émotion négative et destructrice pour l'amener dans un
domaine où elle peut être positive et constructrice.
Penser avant d'agir Born et Chevalier (in
Lepot-Froment, 1996) et Vanaubel (2010) citent l'importance de savoir
différer la satisfaction et de savoir
établir une réflexion avant l'action. Ils
associent ces apprentissages à des méthodes plus
générales de résolution de problèmes (cf. chapitre
4.4).
Moralité Certaines méthodes visent
à développer les capacités de raisonnement moral
des individus. Tout individu établit une échelle de
valeurs concernant ses actions et celle des autres. Cette échelle peut
avoir différents niveaux. Le niveau le plus bas est celui de
l'égoïsme : ce qui est bien est ce qui est dans mon
intérêt et ce qui est mal est ce qui me nuit. Plus on
évolue dans cette échelle plus on arrive à intégrer
ses intérêts avec ceux des autres. D'abord ceux qui sont le plus
proche de nous et puis, au fur et à mesure, on élargit vers des
groupes de plus en plus grands. Dionne et St-Martin (In Massé & al.
2006) établissent quant à eux 3 niveaux de jugement moral. Au
niveau 1, l'individu agit dans son intérêt ou pour ne pas
être puni. Au niveau 2, il va essayer de paraitre bien aux yeux des
autres, il va faire preuve de considération et accomplir les devoirs
qu'il a acceptés. Au niveau 3, il va agir par principe éthique
applicable à tous. Ils proposent une méthode pour faire
évoluer le niveau de raisonnement moral des personnes. Basée sur
des débats autour de dilemmes moraux hypothétiques, elle permet
de faire réfléchir au sens des règles légales et
morales de la société. Par cette technique, les participants
arrivent peu à peu à développer un raisonnement plus
élaboré sur les questions morales.
Mbanzoulou (2000) constate le rôle positif qu'ont les
différents acteurs religieux sur le niveau de raisonnement moral de
prisonniers. Ils apportent ce qu'une institution d'état n'arrive souvent
pas à donner : des valeurs morales acceptées et une notion
claire de bien et de mal. Le personnel religieux fait, par
l'assistance spirituelle qui est offerte comme un droit inaliénable, un
énorme travail d'éducation morale. Alors que les
différents intervenants sociaux sont cadrés
sévèrement et souvent mis de côté pour des
impératifs de sécurité, le personnel religieux a plus de
liberté et une relation plus proche avec les prisonniers. Ainsi,
d'après l'auteur, la religion a un impact positif sur l'évolution
morale des personnes incarcérées.
Gérer ses émotions Puisque les
émotions font partie des éléments qui amènent
à poser un acte violent et qu'une mauvaise capacité à
gérer celle-ci se retrouve souvent chez les auteurs d'agression (Dowen,
Blanchette et Serin, 1997), il semble logique d'essayer d'apprendre la
gestion des émotions tant au niveau préventif
que comme traitement. Ainsi, les programmes de maitrise de la colère
sont parmi les plus utilisés dans les prisons canadiennes. Ils y
travaillent aussi l'anxiété, la jalousie et la frustration.
Massé & al. (2006) proposent une gestion du stress, un
développement du concept de soi et un entrainement à
l'empathie.
Éducation à la dure Il existe un type
d'intervention utilisé depuis la nuit des temps. C'est ce que Born et
Chevalier (in Lepot-Froment, 1996) appellent
emotionnalshocktraining(l'entrainement par choc
émotionnel). Le principe consiste à utiliser des
renforcements négatifs très forts pour provoquer chez le sujet un
choc émotionnel intense. Cela devrait avoir pour conséquence de
l'éloigner durablement, en utilisant la peur, du comportement
visé. On y retrouve toute les formes de punition
exagérées, les maltraitances à visée
éducative, la torture, la création de milieux aux conditions
invivables, tout ce qui peut faire peur (comme les menaces)... Il y a bien
sûr plusieurs niveaux d'intensité de ces moyens
d'intervention : on ne peut, par exemple, raisonnablement pas comparer la
torture avec une menace de renvoi d'un établissement scolaire.
Au-delà des critiques d'ordre éthique que l'on peut faire
à ces méthodes, leur efficacité a été
étudiée. Elles ont efficacité certaine, mais à
courte durée et tant que la peur fonctionne. Comme elles utilisent une
forme de violence, elles vont avoir tendance à générer une
agressivité réactionnelle. Donc, ces méthodes auront
souvent l'effet inverse de celui qu'elles désirent produire. Elles sont
pourtant encore largement utilisées de par le monde.
Sur le terrain : observations et interventions
personnelles
Déplacer Le projet Kick Off a mis en place
différents moyens de dérivation
d'émotions comme la colère et la frustration. Nous avons
largement parlé de la verbalisation dans différents autres
chapitres. Le sport présent dès la session 1, a pour but d'aider
à relâcher les tensions et à canaliser la colère. Le
membre de l'équipe qui en a la charge en a bien conscience et oriente
les exercices sportifs (essentiellement de la boxe) dans ce sens. La
présence d'un sac de boxe à la cave, élément
déjà abordé précédemment, est
régulièrement utilisée par les participants pour calmer
leur colère. Le projet d'écriture de la session 2 a permis
à quelques participants d'y mettre des éléments personnels
de frustration (sujet 2 et deux autres participants). J'ai également
remarqué que plusieurs participants utilisaient le travail comme moyen
de canaliser leur colère. Quand ils étaient frustrés ou
énervés, ils travaillaient avec acharnement et refusaient de
faire des pauses. C'est arrivé avec les sujets 3, 6, 9 et 11 ainsi
qu'avec d'autres participants. Cette façon d'agir peut être
considérée comme une forme de sublimation de la colère. Je
ne m'étais pas rendu compte de l'aspect positif de ce comportement avant
de faire cette étude. Je vais en faire part à l'équipe
pour que nous puissions valoriser cela chez les participants.
Valeurs religieuses Il y a un élément
que j'aimerais pouvoir utiliser, mais que ma position de travailleur social,
d'éducateur et d'employé communal m'interdit. Pour presque tous
les sujets étudiés, la religion à une
place très importante (sujets 2, 5, 7, 8, 9, 10, 11 et 12). Les sujets
attachés à leurs croyances religieuses étaient musulmans
ou chrétiens (protestants ou catholiques). Ces deux religions
contiennent chacune des valeurs morales très positives. Elles ont des
messages de paix, de tolérance, de non-violence, d'amour, de
résignation, d'acceptation des difficultés, d'efforts dans
l'adversité... qui pourraient être d'une grande utilité
pour la vie des participants. De plus, ce sont des valeurs qui, comme elles
sont émises par la religion qu'ils pratiquent, sont facilement
acceptées par ceux-ci. J'aimerais pouvoir utiliser ces
éléments pour les aider. Les règles déontologiques
de ma position viennent malheureusement contrecarrer cette envie. En plus du
devoir de neutralité de l'éducateur, le travailleur communal que
je suis à une obligation de réserve concernant les sujets
à caractère religieux. J'ai posé la question à ma
coordinatrice qui m'a confirmé cela. Je comprends sans difficulté
les raisons qui amènent à ces règles de
déontologies. Je trouve dommage de devoir me priver d'une ressource
aussi précieuse. J'étudie, à un niveau privé, les
religions et leurs messages moraux. J'y trouve de nombreux
éléments qui pourraient, si elles sont bien utilisées,
avoir un impact réellement positif sur l'agressivité et le
recours à la violence des participants. Je dois malheureusement m'en
passer.
Gérer ses émotions Durant la session 2,
une collègue éducatrice de fonction et psychologue de formation,
est venue en tant qu'intervenant externe donner un programme de gestion
des émotions pendant deux matinées. J'ai
été assez déçu par son intervention qui n'a fait,
selon moi, que survoler le sujet. Cette collègue a depuis quitté
l'ASBLBravvo et c'est donc à moi que cette activité est revenue.
Je compte utiliser les nombreux apprentissages que j'ai pu réaliser avec
ce travail pour mettre en place une série d'exercices visant une bonne
gestion des émotions. J'ai déjà mené ce type
d'exercice avec des groupes d'enfants dans l'enseignement
spécialisé de type 1 et 8.
Projet de gestion des émotions
Lieu : locaux du projet Kick Off
Durée : un après-midi (3h) et une
matinée (2h30)
Objectifs :
· Amener un moment de réflexion entre stimulus et
réaction
· Savoir identifier ses émotions (via des signaux
d'alarme) et celles des autres
· Savoir dériver la colère
· Savoir se calmer
Écueils à éviter :
· Infantilisation des participants
· Manque de sens des activités pour les
participants
· Perte de contrôle si les sentiments
travaillés provoquent des émotions trop intenses chez les
participants
Façon d'éviter ces écueils : ne pas
utiliser trop de jeux, expliquer et discuter préalablement avec les
participants sur le sens de chaque exercice, vérifier qu'il fasse sens
pour eux, faire des pauses nombreuses, intercaler des exercices de relaxation
et avoir la possibilité de quitter le local ou d'aller en bas frapper
sur le sac.
Pédagogie : pédagogie active,
pédagogie par l'expérience, psychologie humaniste
Activités :
· Visionnage d'extraits de films avec identification
participative des émotions, de la façon de les repérer et
de leur impact sur la vie que l'on mène. Émotions :
anxiété, frustration, colère, tristesse, joie, honte,
sérénité et peur. Pendant cet exercice, on apprendra aussi
à éviter de porter des jugements de valeur sur les
émotions. On gardera ce principe pour tous les autres exercices.
· Exercice de respiration visant à la relaxation.
· Par groupe de deux, exercice pour apprendre à
mettre un moment entre stimulus et réaction. Chaque groupe à un
tas de cartes reprenant des situations problématiques de la vie
quotidienne. Dans un premier temps, les participants (l'un lit la situation et
l'autre essaye de la résoudre) devront faire un maximum de cartes en 3
minutes. Dans un second temps, ils devront attendre 10 secondes (que celui qui
pose la question mesurera) entre la question et la réponse. Ensuite, ils
évalueront quelles étaient les solutions les plus pertinentes
(avec ou sans moment de réflexion).
· Exercice de visualisation pour apprendre à se
détendre et à identifier son état d'esprit.
· Débat assez court sur la colère (et les
sentiments qui en sont proches : jalousie, anxiété,
frustration...) et sur son impact dans nos vies. Partage d'expériences
et de moyens permettant de dériver la colère.
· Jeux de rôles sur des situations professionnelles
frustrantes. Discussions après chaque mise en scène sur les
émotions ressenties chez soi et perçues chez les autres.
Recherche de piste de solution pour rendre la situation plus sereine. La
scène sera ensuite rejouée en mettant en pratique une ou
plusieurs des solutions proposées
L'évaluation sera basée sur l'intérêt
des participants pendant les activités, la richesse des échanges
et la mise en pratique, pendant la suite de la session, des
éléments appris.
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* 62 « Action de
dériver de son cours naturel, l'écoulement de quelque
chose. » (Le Petit Robert de la langue française, 2014)
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