3.4 Facteurs de
réponse
Subir Comme nous l'avons vu
précédemment, l'utilisation de la violence n'est jamais gratuite
et, à côté de la violence visible que nous étudions
ici, il existe encore de nombreuses autres formes d'agressions. La violence
visible et explosive est la plupart du temps une réaction. C'est de la
violence réactionnelle à une ou plusieurs
agressions qui ont été perçues par celui qui réagit
(Traube 2002). La violence gratuite n'existe pas. Il n'existe que des violences
dont nous ignorons les causes. La pulsion violente, qui résulte souvent
de violences subies, a besoin d'être extériorisée sinon
elle créer des dégâts intérieurs. Quand le sujet ne
peut exprimer sa pulsion envers celui qui l'a fait souffrir, il pourra
l'exprimer envers quelqu'un ou quelque chose d'autre. Cela donne l'impression
d'une violence imméritée ou gratuite, mais il s'agit d'un
mécanisme de dérivation qui a des causes.Dollard et Miller ont
réalisé les premières recherches systématiques sur
le sujet en 1939 (in Traube 2002). Ils sont arrivés à la
conclusion que la violence naissait de la frustration. Le sujet subissait une
agression. Cet acte produisait un sentiment de frustration qui
générait à son tour de l'agressivité. Cette vision,
trop simpliste et linéaire, a le mérite de démontrer que
toute forme de violence à tendance à générer de la
violence chez ceux qui la subissent. Cela permet d'invalider les
méthodes et les interventions basées sur la violence comme
méthode pédagogique (émotionalshock training cf. chapitre
4.2).
Envahir La notion de territoire
(symbolique ou réel) et d'espace vital (cf. chapitre 3.7) intervient
aussi puisque l'envahissement de celui peut provoquer une réponse
agressive. Or, les limites de ce territoire et l'importance de certains de ces
aspects pour l'individu dépendent de chaque personne. Ainsi, un individu
pourra être très attaché à une tâche
spécifique qu'il réalise dans son travail. Le fait qu'un autre
réalise cette tâche sera vécu comme l'envahissement d'un
territoire symbolique. Pour un autre individu, cet aspect pourra avoir beaucoup
moins d'importance.
Cacher Un conflit apparent cache souvent une
violence beaucoup plus importante, mais
cachée. Ainsi, l'explosion de violence d'un
élève qui se met à frapper ses camarades sera souvent
punie sur-le-champ par l'intervenant (surveillant, professeur,
éducateur...). Un observateur plus attentif aurait pu voir les moqueries
répétées des camarades et les tentatives de
l'élève pour résoudre le problème autrement. Mais
l'intervenant (qui surveillait plus de 100 personnes dans la cour de
récréation) n'avait pas la possibilité de percevoir tout
cela.
Percevoir Il faut aussi prendre conscience, comme
nous l'avons vu au chapitre 1.3, que la violence est plus une affaire de
perception et d'effet que d'intention. Il arrive constamment que quelqu'un se
sente agressé par une personne qui n'a aucune attention belliqueuse. La
violence perçue, surtout si elle n'est pas
exprimée, peut constituer une bulle qui explose avec une grande
agressivité en étonnant tout le monde. Si elle ne communique pas,
il est fort possible que la victime soit la seule à percevoir la
violence qu'elle subit. Ainsi, sa réaction face à cette violence
sera incomprise d'un point de vue extérieur et la victime sera
considérée comme étant l'auteur.
C'est à ce moment qu'intervient un élément
interne : la susceptibilité. La personne
susceptible va se vexer ou s'offenser plus facilement que d'autres. Son seuil
de tolérance face aux agressions est bien plus faible que chez les
autres. Cela peut être provisoire (on parlera alors davantage
d'irritabilité) ou durable.
Interventions pratiques : revue de la littérature
Marquer Mbanzoulou (2000) aborde bien les
différents freins à la réinsertion des
détenus qui sont perçus comme de véritables agressions de
leur part. Le fait, par exemple, qu'une période d'incarcération
rende la recherche d'un emploi si compliquée peut être
comparé à un marquage définitif au fer rouge. C'est
surtout le cas en Belgique où les condamnations sont inscrites sur un
document (extrait du casier judiciaire) presque systématiquement
demandé pour être engagé quelque part. Le traitement
reçu de la part de la justice, des forces de l'ordre et du personnel de
prison contient lui aussi sa part de violence. Sans prendre les cas
extrêmes (et pourtant fréquents) de violence physique de la part
des policiers et des gardiens, l'utilisation abusive de la sanction ainsi que
des formes de dédain, de catégorisation négative ou
d'insultes peuvent être considérées comme de
véritables agressions. Mbanzoulou (2000) propose une meilleure
conscientisation des différents acteurs (surtout les gardiens
de prison) quant au rôle positif qu'ils peuvent jouer dans la
réinsertion des délinquants. Il prône un changement en
profondeur des éléments qui peuvent faire ressentir à
l'ancien détenu qu'il est condamné à vie pour les actes
qu'il a commis. Son point de vue (plutôt du côté de la
structure pénitentiaire et de la justice) ne lui permet malheureusement
pas de voir que les propositions de suivi après peine qu'il aborde sont
souvent mal vécues par les anciens détenus qui voient cela comme
une condamnation après la condamnation. Dans l'ensemble, ses
propositions restent cependant très utiles et vont vers une humanisation
du système judiciaire et carcéral.
Sur le terrain : observations et interventions
personnelles
Frustrer De notre côté, nous sommes
postés en tant qu'observateurspartiels (puisque
situé du seul côté des anciens détenus) des actions
du monde policier, judiciaire et carcéral envers les participants du
projet. Nous pouvons constater l'importance des frustrations
que différents éléments du système font
vivre aux anciens détenus. Le peu de chances sur le marché de
l'emploi est un élément déterminant. Ils savent qu'ils
pourraient facilement se faire de l'argent, mais luttent pour rester dans la
légalité tout en se retrouvant dans des situations
économiques parfois critiques (les sujets 2, 3 et 4 se sont
retrouvés sans domicile cet hiver durant la session 2). Si à ce
moment, arrive un quelconque évènement frustrant de la part d'une
institution, ils peuvent avoir l'impression que tout est fait pour qu'ils
replongent dans la criminalité. Parmi tous ces évènements,
j'en citerai quelques-uns. Les sujets 1 et 3 ont reçu par erreur, durant
la session, l'ordre de rentrer en prison. Ils ont contacté leurs avocats
qui leur ont dit d'aller jusqu'à la prison se présenter. Ils y
ont été, sans être sûrs de pouvoir en ressortir. Ce
n'est que sur place qu'on leur a confirmé que c'était bien une
erreur. Un autre évènement : des policiers nous ont
contactés parce qu'ils enquêtaient sur le sujet 7
(déjà victime avant son incarcération de
harcèlement policier) simplement parce qu'il n'était plus en
prison. Un troisième : quand nous avons demandé un soutien
à l'assistante sociale (CPAS) du sujet 2 parce qu'il s'est
retrouvé à la rue, sa réaction a été de dire
qu'il n'était peut-être plus sous sa juridiction (et donc qu'ils
allaient le priver de revenus). Ce sont de petits exemples qui, pris
isolément sont gérables, mais qui, en s'accumulant,peuvent
vraiment donner aux sujets une impression de persécution. J'arrive
à comprendre quand, parfois, je les vois énervés,
révoltés ou désespérés. C'est loin
d'être facile pour eux.
Assister Nous intervenons de différentes
manières. Nous offrons une aide administrative et
stratégique efficace face à ces évènements.
Même si cette intervention peut ne pas donner les résultats
escomptés, le fait qu'on essaye de les aider les rassure sur nos
intentions. Dans leurs relations avec les institutions, nous sommes
perçus comme étant là pour les aider.
Cela peut avoir beaucoup d'importance surtout si leurs relations
précédentes n'ont pas été positives. (cf. chapitre
3.6). Pour nous, c'est essentiel de bien traiter les participants et
d'être perçus, autant que possible, comme des
éléments bienveillants. Cela nous permet, quand c'est
nécessaire, de les secouer ou nous fâcher sur eux sans que cela
soit trop mal perçu.
Au-delà du soutien administratif, nous donnons une grande
importance à leurs difficultés émotionnelles
(comme expliqué au chapitre précédent). Quand
nous observons que quelque chose ne va pas, qu'ils semblent de mauvaise humeur
ou préoccupés, nous parlons systématiquement avec eux (en
privé si possible). Nous les aidons à gérer leurs
frustrations. Cela a, selon nous, un impact important en termes de
prévention étant donné que les relations entre eux sont
toujours assez tendues. D'après le journal de bord du projet (qui ne
reprend qu'une partie de ces discussions), dans le courant de la session 2,
nous avons effectué 66 interventions de ce type. Nous intervenons ainsi
avant que la situation ne dégénère et permettons aux
participants d'exprimer la violence dont ils pensent être la cible.
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