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Interventions éducatives visant la réduction de la violence dans le cadre de projets d'insertion professionnelle destinés aux anciens détenus

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par Régis Verhaegen
CPFB (UCL) - Baccalauréat en éducation spécialisée 2003
  

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3.3 Facteurs intrapsychiques

Des six familles de facteurs de cette étude, celle-ci est la plus variée. Les facteurs intrapsychiques comprennent tout ce qui est interne au fonctionnement psychologique de l'individu. On y retrouve son éducation, les éléments de son histoire, l'instruction34(*) qu'il a reçue, ses croyances, ses souvenirs, ses sentiments, ses émotions, ses enjeux, ses objectifs, ses mécanismes cognitifs, ses perceptions... Ces

éléments sont pour la plupart interconnectés et interdépendants.

Traube (2002) essaye de schématiser ce mélange complexe sans parvenir à y intégrer tous les éléments.

Images extraites de Traube (2002) pp.58-59

Émotions et sentiments
Commençons par étudier certaines émotions et sentiments qui peuvent avoir une influence sur les comportements violents. Parmi celles qui favorisent l'expression agressive,nous aborderons le sentiment de dévalorisation, d'impuissance, l'anxiété, la frustration, la colère, l'orgueil et la fierté. Parmi celles qui permettent d'éviter l'agressivité, nous étudierons la tristesse, l'empathie et la compassion. Nous essayerons surtout de bien distinguer le ressenti intérieur et l'expression, l'actualisation de ce ressenti. La colère (sentiment élémentaire de réaction face à un danger ou une menace) est une réponse. Elle n'apparait qu'après l'apparition d'une menace (qui peut aussi venir de la personne elle-même) et est liée à l'instinct de survie. Chez l'être humain cependant, son accumulation, les mécanismes de dérivation et son utilisation pour des éléments symboliques vont la détourner de son but premier (la survie). Ce sentiment est généralement celui qui précède le plus directement l'agression. Sa gestion va être un point décisif dans la diminution de la violence. Souvent confondue avec la première, la frustration amène souvent à la colère. Elle est définie comme un état d'insatisfaction induit par le fait de ne pas avoir pu réaliser un désir. Dès 1939, Dollard et Miller (in Traube 2002) sont arrivés, après expériences, à la conclusion que la violence naissait de la frustration. Sans vouloir tomber dans une causalité simpliste, on ne peut nier l'importance de ce sentiment. Une quantité considérable de frustration peut naitre d'agressions subies ou d'autres facteurs externes (cf. chapitres 3.5 et 3.7). En se basant sur leurs recherches, Berkowitz introduit en 1962 (in Traube 2002), l'anxiété dans l'équation. Selon lui, toutes les frustrations ne génèrent pas de pulsions agressives. Seules celles qui provoquent de l'anxiété vont amener, dans certains cas, à la violence. Ce « trouble émotionnel se traduisant par un sentiment indéfinissable d'insécurité »35(*) pourra provoquer la violence selon l'amplitude de cette anxiété, selon l'importance de l'évènement dans l'histoire de l'individu, selon son incapacité à trouver des stratégies satisfaisantes pour modifier la situation frustrante, selon le sentiment de danger provoqué par cette insécurité. Le désir36(*) a aussi une part importante. L'envie de satisfaire un désir et surtout l'incapacité de pouvoir différer cette satisfaction va promouvoir l'usage de la violence. C'est ici qu'intervient le sentiment d'impuissance37(*) à modifier une situation frustrante. Le désir est là, mais la possibilité de modification absente. Si on arrive à trouver de l'espoir, à trouver des stratégies de résolution, la frustration peut se transformer en énergie positive capable de mobiliser l'individu. Si ce n'est pas le cas, elle se transforme en énergie destructrice ou en facteur d'inhibition de l'action et d'apathie généralisée. L'orgueil38(*) et la fierté39(*) arrivent parfois en réaction à ce sentiment d'impuissance. Le sujet percevant sont incapacité fantasme une surpuissance capable d'affronter toutes les situations. La particularité de ces sentiments est de modifier la perception du réel. C'est une croyance qui va rendre l'individu incapable d'évaluer correctement ses capacités et possibilités. Elle vient masquer le sentiment d'impuissance, mais ne diminue pas la probabilité d'avoir recours à la violence, bien au contraire. L'individu n'arrivera pas à penser aux désavantages que peut avoir son comportement. Le sentiment de dévalorisation40(*) pourra lui aussi intervenir quand l'individu n'est pas reconnu, que ses sentiments sont niés ou qu'il pense être impuissant. Si l'individu ne se considère pas, il aura davantage tendance à penser qu'il ne vaut pas la peine et à ne pas prendre en compte les conséquences négatives que peuvent avoir ses actes sur lui-même (blessure, sanction, emprisonnement...). Ainsi, la violence semblera plus souvent être une solution adéquate. Il est impossible de définir précisément quel cocktail de sentiment peut mener à la violence. Tous ceux cités ici ont un impact certain, mais ils ne justifient pas à eux seuls le recours à la violence. (Traube, 2002) La gestion des sentiments a néanmoins un impact considérable sur la diminution des comportements agressifs. Tous créent une prédisposition, mais le recours à la violence n'est jamais systématique. Il existe de nombreux sentiments qui vont diminuer la probabilité de l'usage de la violence. Parmi ceux-ci, la tristessepeut être utilisée comme alternative à la colère. Face à une frustration, un choix souvent inconscient s'opère entre colère et tristesse. En termes d'action, cela reviendra à lutter ou à abandonner. Hahusseau (2006) et d'autres (Goleman, 1999 ; Niel, 1960 ; Dowden et al. 1999) insistent sur l'importance d'accepter ses sentiments. La colère peut naitre d'un refus d'accepter sa tristesse. Même si la colère peut amener à l'usage de la violence, la tristesse n'est pas systématiquement une alternative positive. Elle peut mener à une inhibition de l'action et à une apathie face aux difficultés. La colère quant à elle est loin d'être exclusivement destructrice. Elle peut dans de nombreux cas amener à une lutte justifiée et une révolte assez saine face à des injustices par exemple. L'empathie41(*) quant à elle va s'avérer être un outil formidable pour développer des interventions. En apprenant à se mettre à la place des autres, l'individu évalue également l'impact émotionnel de ses actions chez les autres (Desbiens et Demers in Massé et al., 2006). La souffrance causée à autrui peut ainsi devenir quelque chose à éviter. La compassion42(*) viendra donc en complément pour aider à faire ce choix et ne pas désirer voir l'autre souffrir. (Traube 2002)

Éducation, représentations et croyances
La violence a une part d'inné, d'inhérent à l'espèce humaine et à son appartenance au règne des animaux (homo sapiens : mammifère de l'ordre des primates). Selon Laborit (1994), l'instinct animal de survie, de prédation, de compétition et d'angoissedétermine l'agressivité. Malgré cela, et au-delà des sentiments, l'individu se construit un système de croyances et une façon de percevoir le monde fortement liés aux éléments qu'il a reçu à travers son éducation. L'usage de la violence est quelque chose qui s'apprend (Traube, 2002 ; Massé et al. 2006). La famille, les professeurs, les amis, l'environnement social et les médias vont construire des représentations chez le sujet. Selon les discours, mais surtout selon les exemples qu'il observera, la personne va considérer l'usage de la violence. Chez certains, l'éducation va réellement façonner une propension à l'agressivité. Si l'individu a appris qu'être violent ne posait pas de problèmes moraux ou sociaux, s'il a appris que c'était une stratégie efficace pour satisfaire ses désirs, s'il a appris qu'il n'était pas nécessaire d'attendre entre le désir et sa satisfaction, rien ne l'empêchera d'utiliser la violence sans modération. Cela peut se faire d'une manière anodine quand, par exemple, des parents réagissent aux crises de colère d'un enfant en satisfaisant son désir. L'usage de la violence que la personne va observer ou subir, va renforcer la croyance qu'être violent fait partie de la normalité. Le sujet va ainsi reproduire ce comportement. De plus, si les éléments moraux de son environnement approuvent la violence, celle-ci aura toutes les chances de faire partie de sa vie. Il est à noter que les exemples réels auront beaucoup plus d'impact que les exemples fictifs. Voir des proches se battre ou même voir des scènes de violence dans un journal parlé aura plus d'impact que les scènes de guerre d'un film de fiction (Traube 2002).

Chez les enfants comme chez les adultes, les différentes expériences vécues et l'éducation (sous toutes ses formes) vont façonner la perception du monde. L'individu pourra percevoir le monde et les personnes qui l'entourent comme menaçants ou sécurisants. Les évènements de la petite enfance et la relation avec la mère auront un impact important (Traube 2002). Si, pour une raison ou une autre, le sujet considère (à tort ou à raison) les autres individus ou un groupe d'individus comme menaçant, il interprètera leurs attitudes, leurs gestes et leurs paroles à travers un prisme déformant. Il s'attend à ce que les autres soient hostiles, il interprétera leurs actions comme étant de nature à lui nuire et pourra réagir agressivement (Vanaubel, 2010). D'un point de vue extérieur, le sujet sera l'agresseur. De son point de vue et à cause de sa perception déformée, il sera en train de se défendre. L'orgueil et la fierté, comme nous l'avons vu, vont également agir comme des prismes déformant la réalité et amenant plus facilement l'individu à recourir à la violence.

Instruction et capacités intellectuelles
Des mécanismes cognitifs entrent aussi en jeu. Des études menées à Philadelphie et à Copenhague ont mis en avant le lien entre faible QI et usage de la violence. (Krug, Dahlberg, Mercy,Zwi et Lozano-Ascencio, 2002) D'autres facteurs concordants intervenaient dans l'étude comme un faible niveau socio-économique. Ross et Fabiano (1985 in Vanaubel, 2010) ont émis l'hypothèse que les jeunes étaient agressifs à cause de leur impulsivité. Ils pensent qu'ils ont de réelles difficultés à mettre un espace de réflexion entre un stimulus et la réaction à ce stimulus.

Dans le même registre, de très nombreuses études ont démontré le lien existant entre criminalité et niveau d'étude. Les institutions internationales les plus sérieuses en font une priorité (UNESCO, OCDE). Même si les mécanismes de cet état de fait sont, à ma connaissance, encore mal étudiés, le constat est sans appel : plus un individu à un haut niveau d'étude, moins il commettra d'actes criminels. (National Office of Literacy and Learning, Human Resources and Social Development Canada, 2007; UNESCO, 1994; OCDE, 2007; Puech, 2006). Sans vouloir faire le raccourci entre criminalité et violence, d'autres études (Tardif, 2005) font le même constat entre niveau d'études et usage de la violence. Je peux émettre plusieurs hypothèses plausibles. La première étant que l'individu instruit à généralement une meilleure situation socio-économique. Cet aspect peut avoir un impact (cf. chapitre 3.7). La deuxième étant que l'instruction améliore les capacités cognitives. L'instruction pourrait permettre d'installer un espace de réflexion entre le stimulus et l'action. Elle pourrait aussi rendre la personne plus apte à évaluer les situations et à réfléchir à d'autres façons moins destructrices de réagir.Mbanzoulou (2000) explique que le fait de réussir une formation qualifiante est le meilleur moyen d'éviter la récidive.

Interventions pratiques : revue de la littérature

Il existe plusieurs types d'intervention qui peuvent servir tant à prévenir la violence qu'à la traiter chez des personnes qui y ont recours habituellement. Certaines des actions éducatives présentées ici auraient pu trouver leur place dans le chapitre 4.2 : résultantes intrapsychiques. Et inversement, pour éviter les répétitions, nous aborderons les pistes suivantes dans le chapitre 4.2 : apprentissage à différer la satisfaction, développement moral, dérivation et gestion des émotions.

Verbalisation
Plusieurs types d'intervention (cf. chapitre 5) vont baser leur action sur une amélioration des capacités de communication. Parmi celles-ci, l'une des plus fréquentes est l'amélioration de la capacité à utiliser la parole pour exprimer ses émotions et ses difficultés avant que celles-ci n'explosent en action violente. Il est nettement moins violent de dire « je veux te tuer » que d'essayer de le faire. Cela permet dans de nombreux cas de faire l'économie de l'action et de diminuer considérablement la tension intrapsychique. Il y a donc, selon Dhaene (2012) et Traube (2002), un grand intérêt à apprendre aux personnes à verbaliser43(*), surtout dans les moments de tension. C'est un élément de base de plusieurs méthodes d'apprentissage de gestion des émotions (cf. chapitre 4.2) et la part fondamentale de presque tous les travaux d'analyse en psychologie. De plus, on a observé chez les détenus auteurs de crimes violents (Traube, 2002 ;Mbanzoulou, 2000) une pauvreté dans l'utilisation du langage verbal.

Empathie
Nadia Desbiens et Sarah Demers (in Massé et al., 2006) proposent une intervention permettant de développer l'empathie. Elles identifient trois composantes à cette habilité sociale (Feshbach et Feshbach, 1982 in Massé et al., 2006) la reconnaissance du sentiment, l'adoption de la perspective d'autrui et la réponse émotive. Elles vont travailler l'écoute active, la capacité d'imagination, des stratégies d'observation, de compréhension et d'identification des émotions. La part de leur programme (destiné à l'origine aux enfants) adaptable pour un public adulte utilise des jeux de rôles dont le but est d'obtenir une rétroaction. Par exemple, un participant met en scène une situation où il ressent quelque chose (tristesse, colère, gène...) et son partenaire, en utilisant l'écoute active, lui fait part de ce qu'il perçoit en lui (« tu es en colère ? »). Avec l'habitude, les participants s'entrainent à reconnaitre et à prêter attention aux sentiments des autres.

Imagination
L'imagination, le fantasme44(*), permet de ne pas avoir besoin d'un recours à l'action violente (Traube, 2002). Tout comme la verbalisation, s'imaginer en train de violenter quelqu'un qui nous énerve peut permettre de faire l'économie de l'action et de diminuer considérablement la tension intrapsychique. On a aussi constaté une pauvreté imaginative chez les personnes incarcérées (Mbanzoulou 2000). Il est possible de développer l'imagination en utilisant des activités culturelles et artistiques. La visualisation, utilisée dans différentes pratiques de relaxation (Lesouple, 2014), permet également de travailler l'imagination.

Vécu émotionnel
Parmi les interventions les plus adaptées pour les éducateurs, surtout pour travailler l'intrapsychique, il est conseillé de traiter et de reconnaitre le vécu émotionnel du public avec lequel on travaille. Cela se fait simplement en discutant, en écoutant les bénéficiaires, mais surtout en acceptant leurs émotions quelles qu'elles soient. Il est parfaitement humain de ressentir des sentiments comme la rage, la haine, le dégout, la colère ou la frustration. Le problème arrive quand ces sentiments sont actualisés de manière à nuire aux autres (Traube, 2002). L'écoute active45(*), mais aussi une observation des bénéficiaires (afin de déceler d'éventuelles difficultés non verbalisées) permet de mettre cela en pratique efficacement.

Réflexion
Born et Chevalier (in Lepot Froment, 1996) proposent une technique pour apprendre à mettre un temps entre stimuli et action et améliorer le traitement de l'information. Elle s'articule en trois attitudes : accepter que les problèmes fassent partie de l'existence, reconnaitre une situation problématique quand elle se produit et se rendre compte qu'il est possible de ne pas réagir immédiatement. Pour cela, 4 étapes d'apprentissage : définir et analyser le problème rationnellement, produire des pistes de solution, en choisir une et évaluer son impact. Ils utilisèrent cette méthode auprès d'adolescents délinquants. J'ai trouvé leur intervention très pertinente, mais il manquait, selon moi, un élément faisant défaut dans beaucoup d'interventions pensées et testées par des universitaires. En voyant la façon dont ils intervenaient sur le terrain, j'ai remarqué qu'ils avaient fait peu d'efforts pour adapter leur message au public ciblé. C'est un élément qui parait anodin, mais qui peut ruiner une intervention. Si nous n'adaptons pas notre vocabulaire et notre manière de communiquer, on risque tout simplement de ne pas réussir à passer notre message. Personnellement, j'essaye de toujours faire cet effort pour améliorer la réception du message que je tente de faire passer.

Sport
L'utilisation du sport comme moyen d'évacuer les tensions intrapsychiques n'est plus à prouver (Pichot, 2005 ; Sempé, Gendron, Bodin, 2007 ; Mbanzoulou, 2000). Il n'est pas indispensable d'utiliser les sports de combat à cet effet. Ils peuvent en effet avoir un double aspect contradictoire : apaisant et renforçant la violence. Par contre, tous les sports dits de frappe (football, tennis, squash...) où un objet est frappé sans que ce cela exprime une forme de violence interpersonnelle, sont très efficaces (Traube 2002). Ils permettent de diminuer la tension intrapsychique et d'exprimer colère et frustration sans nuire à autrui.

Sur le terrain : observations et interventions personnelles

Vécu émotionnel
Une des parties importantes de notre travail à Kick Off est de traiter et reconnaitre les émotions ainsi que le vécu de nos participants. Nous avons, pour pouvoir réaliser cela, dégagé du temps et de l'espace. Il y a presque toujours un espace (bureau, terrasse ou cave aménagée avec des canapés) et un travailleur qui peut se rendre disponible pour avoir une discussion en privé. Après avoir fait un relevé du journal de bord de la session 2, j'ai constaté que nous avons relevé une moyenne de 1,2 entretiens spontanés par jour (malheureusement, le journal de bord ne reprend pas systématiquement ces conversations). Et c'est sans compter les entretiens individuels prévus dans le planning (un par mois minimum). Les pauses sont aussi des moments privilégiés pour ces conversations. La moitié de l'équipe et 72% des sujets étudiés fument, ce qui ouvre un espace supplémentaire pour les discussions informelles. Nous sommes également très attentifs à l'attitude et au non verbal des participants. Nous proposons, dès que nous observons des contrariétés, un mal-être ou un énervement, la possibilité d'en parler. Dans ces moments, nous pratiquons l'écoute active, ne portons aucun jugement sur les sentiments et les aidons à verbaliser, autant que possible, ces sentiments. De notre observation, de leurs avis (évaluation du projet par les participants, avis des sujets 1, 2 et 7 et d'autres participants du projet), ces discussions leur ont permis de se calmer et d'éviter de s'énerver. Les sujets abordés parlaient beaucoup de frustration (vis-à-vis de difficultés personnelles) ou d'énervements (dans les relations entre participants ou avec l'équipe). Nous avons considérablement augmenté cet aspect du projet dans la session 2 et espérons pouvoir continuer ainsi dans la session 3.

Réflexion
Parmi les difficultés abordées dans les discussions en privé, de nombreuses s'associaient d'une recherche de solution. Dans de nombreux cas, l'idée privilégiée était assez peu réfléchie. À part chez le sujet 6, nous avons observé chez tous les sujets des difficultés à mettre un moment de réflexion entre le stimulus et la réaction. Voici, simplement pour donner une idée, quelques paroles de participants.

· Sujet 2 « Ou alors, je peux commettre un vol ». « Si je le revois, je vais le tuer. »

· Sujet 3 « Ah, moi je vais me remettre à déconner, de toute façon c'est ça qu'ils [justice] veulent ».

· Sujet 1 « De toute façon je ne sais pas payer alors à quoi ça sert que j'ouvre la lettre ? »

· Membre de l'équipe « Je peux t'aider pour quelque chose ? » Sujet 5 (sérieusement) « Peut être bien. Trouve-moi une kalach46(*), moi je vais tuer tout le monde ici. »

Nous n'avions pas, à ce moment, connaissance du travail de Born et Chevalier (in Lepot-Froment, 1996) et pourtant, la méthode que nous utilisions était similaire. Nous leur apprenions à installer une analyse du problème et une réflexion pour la solution. Nous procédions tout d'abord (après avoir fait la reconnaissance des émotions) en les aidant à rationaliser et à analyser le problème : qu'est-ce qu'il s'est passé (faits) ? Qu'est-ce qui t'a posé problème ? Ensuite, nous leur demandions de penser aux conséquences de la réaction qu'ils avaient imaginée ou qu'ils utilisaient : que va-t-il t'arriver quoi si tu fais ça ? Et, troisièmement, nous leur demandions s'ils pouvaient penser à des solutions plus productives et efficaces. Ce n'est qu'à ce moment et si le participant n'avait pas trouvé de solution satisfaisante, que nous apportions des idées. Progressivement, une partie des participants se sont mis à faire spontanément cette gymnastique intellectuelle. Selon l'avis et l'observation de l'équipe, les sujets 1, 2, 3 et 7 ont démontré une amélioration de la capacité de penser avant de réagir. Toujours selon l'avis et l'observation de l'équipe, ce sera durable pour le sujet 7 qui avait déjà commencé à acquérir cette compétence avant de participer au projet.

Sport
L'utilisation du sport a été prévue dès la genèse du projet Kick Off. De toutes les activités qui avaient été prévues au départ, c'est la seule (avec l'embellissement du quartier cf. chapitre 3.7) qui a été gardée. Les participants font un après-midi de sport toutes les deux semaines (une fois par semaine en session 1). Nous pratiquons essentiellement la boxe, mais aussi le football, le fitness et d'autres sports. Le but de cette activité est double : d'une part, elle vise à évacuer les tensions et d'autre part à remettre les participants en bonne condition physique. Aucun des sujets n'a mentionné dans l'évaluation l'effet apaisant de l'activité sportive (seul un autre participant l'a fait). Ils ont par contre parlé de l'effet revigorant qu'avait cette activité. Nous ne sommes pas en mesure d'évaluer l'effet de cette activité sur les comportements violents. Nous faisons confiance aux différentes études menées sur le sujet. Par contre, nous avons disposé dans la cave de nos locaux un sac de boxe accessible par les participants quand ils le désirent. Ils peuvent l'utiliser (et l'utilisent) afin de se calmer s'ils sont énervés. Ce sac a été utilisé au moins une fois par tous les sujets sauf le sujet 4 (à l'exception du sujet 6 qui est parti avant son installation). Nous avons pu donc constater l'efficacité de ce procédé. Lors de la session 1, nous avons remarqué que les participants se moquaient de celui qui allait utiliser le sac quand il était énervé. Ce type d'attitude était vraiment inadéquat. Se moquer de quelqu'un au bord de l'explosion est une attitude très risquée. Aux sessions 2 et 3, j'ai donc insisté (en leur expliquant pourquoi) auprès des participants pour qu'ils ne fassent pas cela. Ils ont respecté cette injonction. De plus, comme la cave était souvent utilisée en session 2, le fait que quelqu'un descende ne paraissait pas inhabituel. Quand nous percevions qu'une personne était en train d'utiliser le sac, nous attendions un peu et puis l'un de nous allait parler avec lui. Seul un point nous a questionnés quant à l'utilisation de ce sac. Deux des participants se sont blessés les mains à force de frapper dans ce sac tellement leur colère était importante. Une fois, un membre de l'équipe a dû arrêter l'un deux. Ils ont cela fait malgré la disponibilité de gants et de bandages faits pour la boxe. L'hypothèse que j'émets est que, d'une certaine manière, ils désiraient souffrir ou se blesser.

Instruction
En tant que responsable de la remise à niveau de la session 2, j'ai pu observer que les participants avaient un faible niveau d'instruction. D'après les tests réalisés avec eux, ils avaient un niveau de français et de mathématique équivalent (sujets 4, 5 et 6) ou inférieur (sujets 1, 2, 3 et 7) à celui un enfant de 6ème primaire. Ils possédaient tous leur CEB47(*) et certains avaient leur CESI48(*). Les sujets 1, 2, 4, 6 et 7 n'avaient pas d'adresse email et ne savaient pas comment utiliser ce moyen de communication indispensable aujourd'hui à une recherche d'emploi. Dans le projet Kick Off, il est prévu de faire de la remise à niveau en utilisant une pédagogie différente de celle utilisée dans les écoles classiques. En effet, ils ont tous eu une relation plus ou moins compliquée avec les institutions scolaires et peuvent facilement se bloquer quand nous utilisons des pédagogies classiques. Nous utilisons donc des pédagogies actives. Le but de la remise à niveau que nous faisons avec eux est de les réhabituer à utiliser l'écrit, les ordinateurs et à calculer afin que leurs lacunes dans ces domaines ne soient pas un obstacle pour pouvoir commencer une formation. L'un des buts du projet est de pouvoir ramener les participants vers le circuit classique de formation. Il est prévu dans le projet Kick Off de pouvoir accompagner ceux qui le désirent pour passer leur CESS49(*) via le Jury Central. « Les jurys, une filière alternative d'épreuves, vous permettent d'obtenir un diplôme en dehors des voies traditionnelles. Chaque année, les communautés organisent des sessions d'examens pour l'enseignement fondamental, l'enseignement secondaire (général, technique, artistique et professionnel) et pour certaines filières de l'enseignement supérieur non-universitaire. »50(*)Aucun des participants n'a, jusqu'à aujourd'hui, désiré y avoir recours. Pour faire cette remise à niveau, nous utilisons quatre moyens différents.

Il y a d'abord un projet d'écriture. Les participants écrivent ensemble un petit livre sur des sujets décidés démocratiquement. Dans ce livre, chaque participant écrit une partie du texte. Ils commencent par choisir un sujet, ensuite ils font des recherches. Ils se mettent à écrire le texte sur papier puis avec un ordinateur.Ils choisissent des illustrations sur internet et l'équipe les aide à corriger le texte. Tous ont été très impressionnés par le résultat obtenu, mais certains ont eu du mal à trouver un intérêt à cette démarche.

Imagesextraites du livre produit par le projet de remise à niveau de la session 2

Deuxièmement, nous profitons des chantiers que nous réalisons avec eux pour faire des exercices de calcul ancrés dans la pratique de terrain. Il faut par exemple mesurer et calculer la surface d'un mur pour connaitre la quantité de peinture à acheter. Il faut faire un calcul de proportion afin d'adapter une recette de cookies pour pouvoir en produire une centaine.

Troisièmement, en faisant leur CV et leurs lettres de motivations, ils travaillent leurs compétences en informatique et en français.

Pour finir, selon leurs demandes, nous réalisons des cours particuliers dans certains domaines. Durant la session deux, plusieurs participants (4 dont le sujet 1 et 2) ont fait des demandes pour travailler l'écriture, les pourcentages, la formulation de phrases, le calcul écrit... Nous avons pu répondre à leur demande en utilisant les pauses et le moment de l'arrivée le matin pour entrainer ces compétences. Cela s'est avéré efficace, mais fatiguant pour le membre de l'équipe qui s'en occupait. Il n'était pas possible, quand l'activité était plus intense, de s'en occuper. Pour la session 3, nous avons donc décidé d'utiliser le temps consacré aux entretiens individuels pour faire cela. En effet, ce temps (un après-midi par semaine) était plus que suffisant pour que les référents puissent s'entretenir avec les participants dont ils étaient responsables. Ainsi, nous pourrons pour la remise à niveau, réaliser des accompagnements plus individualisés.

Valeurs
Pour clôturer ce chapitre, je parlerai de ce que nous avons perçu de leur éducation et de leur système de valeurs. C'est bien évidemment un élément individuel qui est différent chez chaque sujet étudié et pour chaque comportement. J'ai eu l'impression de pouvoir quand même dégager trois types de fonctionnement par comportement. Pour la plupart, un apprentissage des règles légales et des habitudes sociales positives avait été fait à un moment de leur vie. Ils avaient plus tard décidé d'agir à l'encontre de cet apprentissage. Cela avait pour résultat qu'ils se trouvaient à plusieurs moments dans un dilemme à devoir faire un choix entre une attitude ou l'autre (sujets 7, 4, 2 et 3). Pour d'autres, l'apprentissage n'avait pas été fait ou ils avaient appris, dès leur plus jeune âge, que le comportement asocial (comme l'usage de la violence) était positif. Cela se marquait assez fort chez le sujet 2, qui ne considérait pas l'usage de la violence comme problématique jusqu'à ce qu'on lui montre les conséquences de ses actes. Chez le sujet 1, le non-respect des règles financières ou administratives paraissait normal. Il expliquait, par exemple, dans un entretien d'embauche qu'il avait falsifié son certificat de bonne vie et moeurs, et ce, sans que cela lui paraisse inadéquat. Quand nous leur posions des questions, il apparaissait que cela avait fait partie de leur éducation. Le troisième type de fonctionnement (sujets 3 et 6) se repère chez des sujets qui ont des valeurs morales clairement définies (en opposition avec les valeurs acceptées par la société) et qui, dès que c'est nécessaire, savent feinter avec adresse les valeurs morales socialement acceptées. Pourquoi faire cette distinction en 3 modes de fonctionnement ? Parce qu'une intervention peut avoir un excellent effet sur l'un et pas sur l'autre. À un moment de la session 2, nous avons observé que le sujet 7 (fonctionnement 1) commençait à dériver à nouveau vers des comportements criminels. Dans un entretien individuel, son référent lui a fait part de cette observation et des conséquences qui pouvaient en découler. Le sujet 7 a été immédiatement d'accord avec ce rappel à l'ordre et a retrouvé un comportement dans la légalité. Le sujet 7 était en train d'hésiter entre des valeurs opposées, il fallait juste pousser un petit peu pour que la balance penche du côté des valeurs socialement acceptées. Pour le sujet 2 (fonctionnement 2), nous avons dû lui faire "découvrir" ce que ces comportements violents pouvaient causer comme dommage (surtout à lui-même). Avec le sujet 1 (fonctionnement 2), nous avons essayé un recadrage classique (comme avec le sujet 7). Nous nous sommes heurtés à une totale incompréhension de sa part. Ce qui nous semblait logique (ne pas mentionner des actes illégaux dans un entretien d'embauche) ne l'était pas pour lui. Il s'est mis en colère. Avec les sujets 3 et 6 (fonctionnement 3), les interventions se sont avérées beaucoup plus compliquées à mettre en place, car il nous était difficile de savoir si le sujet feintait ou était sincère. Personnellement, j'étais très heureux quand j'arrivais à avoir avec eux une conversation que je percevais comme sincère. C'est quelque chose que mes trois collègues sont arrivés à faire beaucoup mieux que moi (avec les sujets 3 et 6entre autres). Peut-être s'agit-il simplement d'affinités ou d'aversions interpersonnelles. Malgré cela, je suis actuellement à la recherche de techniques qui pourraient me permettre d'avoir des relations plus aisées avec les participants. Je me demande si, personnellement, je ne fonctionne pas un peu comme eux avec des comportements qui manquent de sincérité. C'est un élément auquel je prête maintenant une attention toute particulière. J'espère pouvoir l'améliorer.

* 34 Je vais ici séparer l'instruction de l'éducation. L'instruction est ce qui concerne l'apprentissage des savoirs tandis que l'éducation est ce qui concerne l'apprentissage des comportements et des croyances.

* 35 Larousse.fr Dictionnaire de Français : Anxiété. En ligne http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/anxiété/4369 consulté le 2 mars 2014

* 36 « Tendance vers un objet connu ou imaginé ; prise de conscience de cette tendance. » (Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 37 « Manque de puissance, de moyens suffisants pour faire quelque chose » (Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 38 « Opinion très avantageuse, le plus souvent exagérée, que quelqu'un a de sa valeur personnelle aux dépens de la considération due à autrui. » (Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 39 « Caractère d'une personne qui se croit supérieure aux autres, s'enorgueillit d'avantages réels ou supposés. Attitude arrogante. »(Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 40 « Diminution de la valeur. »(Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 41 « Faculté de s'identifier à quelqu'un, de ressentir ce qu'il ressent. » (Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 42 « Sentiment qui porte à plaindre et partager les maux d'autrui. Humanité, sensibilité. »(Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 43 « Exprimer, extérioriser au moyen du langage » (Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 44 « Production de l'imagination par laquelle le moi cherche à échapper à l'emprise de la réalité. » (Le Petit Robert de la langue française 2014)

* 45 « L'écoute active est un concept développé à partir des travaux du psychologue américain Carl Rogers. Elle est également nommée écoute bienveillante. Initialement conçue pour l'accompagnement de l'expression des émotions, elle est opérationnelle dans les situations de face-à-face où le professionnel écoute activement l'autre. Elle consiste à mettre en mots les émotions et sentiments exprimés de manière tacite ou implicite par l'interlocuteur. L'écoute active est plus fine que la reformulation en ce qu'elle ne se limite pas à dire autrement ce qu'une personne vient d'exprimer, mais de décoder la dimension affective généralement non verbalisée. » (Wikipédia (2013) Écoute active. En ligne http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89coute_active consulté le 20 mars 2014)

* 46 Diminutif de kalachnikov, fusil mitrailleur russe (AK47)

* 47 Certificat d'Études de Base. Délivré à la fin des six années d'études primaires

* 48 Certificat d'Études Secondaires Inférieures. Délivré après 3 années d'études secondaires

* 49 Certificat d'Études Secondaires Supérieures. Délivré à la fin des études secondaires

* 50 Portail Belgium.be informations et services officiels. En ligne http://www.belgium.be/fr/formation/enseignement/jury_central/ consulté le 6 mars 2014

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon