Conclusion
L'objet de ce chapitre était d'apprécier la
libéralisation et la répression financières sur le
financement de l'économie. Pour cela, il a fallu d'abord mesurer la
solidité du système bancaire, ensuite évaluer la politique
de crédit mise en oeuvre avant et après les reformes.
Au terme de notre analyse, il apparaît un paradoxe.
Celui d'un système bancaire liquide et d'une économie non
financée. En effet, les réformes financières au Cameroun
ont permis au système bancaire de présenter un degré de
solidité financière satisfaisant. Les normes de
solvabilité et de liquidité sont de plus en plus
respectées. Les banques parviennent à maîtriser leurs
charges d'exploitation, leurs frais généraux et à
présenter de meilleurs soldes de gestion et des coefficients de
rentabilité plus encourageants. Seulement les banques ne se sont pas
impliquées activement dans le financement de l'économie. Elles se
caractérisent à ce niveau, par une défaillance et, ne
s'adaptent pas au besoin des investisseurs et des populations. Cette
défaillance se traduit par une réticence des banques en
matière d'octroi des crédits et s'explique entre autre par la
volatilité de l'épargne, mais aussi par l'aversion aux risques
des banques.
Cette situation permet de vérifier l'importance
relative des mutations financières sur l'évolution des circuits
de financements.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 82 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
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CHAPITRE IV :
INNOVATIONS FINANCIERES ET CROISSANCE ECONOMIQUE
DU CAMEROUN
Introduction
L'appréciation de l'influence de l'évolution des
intermédiaires financiers sur les économies camerounaises, a
conduit à un paradoxe au chapitre précédent. Celui d'un
système bancaire liquide et quasi assaini et l'absence de financement de
l'économie. Il est à noter que, le système financier
camerounais, à la suite des mesures d'ajustements financiers, s'est
révélé assaini. Mais cet assainissement ne permet
cependant pas de conclure à la capacité des banques à
relever les défis de la mondialisation et de la globalisation
financière, et des problèmes auxquels elles restent
confrontées. La diversité d'évolution ainsi
observée n'a pas entraîné une déconnexion des
banques de leurs activités traditionnelles et, à l'aptitude
à soutenir une véritable concurrence. Il s'agit d'une
inadéquation du système financier aux impératifs de
développement.
La période précédent la crise se
caractérise par des institutions bancaires et, financières
tributaires de celles de la métropole qui, avaient des structures
déjà bien organisées. Ces institutions sont donc apparues
en avance par rapport aux structures économiques et à leur niveau
de développement ; et ont été imposées sans tenir
compte des réalités culturelles et sociales. En effet, l'objectif
déclaré de la politique de crédit en cette période
était le financement du développement. C'est pourquoi, des
niveaux plus élevés de crédits ont été
observés. Seulement, ces crédits étaient octroyés
par « clientélisme46» et parfois même sans
garanties et, destinés plus aux secteurs de transport, transit, commerce
et services, activités agricoles. La crise ayant profondément
touché les banques, l'objectif prioritaire pour les autorités est
devenu l'assainissement de l'environnement financier. Il s'est donc
développé à côté du système financier
formel, d'autres circuits de financement plus adaptés aux besoins des
populations analphabètes et faisant concurrence aux banques, les
incitant même à diversifier les instruments financiers. Aussi, la
création de la bourse de valeurs dont les activités
démarrent encore timidement a reçu une grande adhésion,
l'alternative des banques de développement ayant été
écartée. Le système financier camerounais, malgré
les
46Se sont des crédits de faveur octroyés
sans garanties et dont on sait que le remboursement ne sera pas
effectué.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 83 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
mutations ne s'est pas adapté aux grands défis
de la mondialisation. Il est resté peu dynamique et en déphase
avec les besoins de l'économie.
Après avoir présenté les
caractéristiques actuelles du système financier (section
I), une analyse des institutions concurrentes aux banques sera faite
(section II).
SECTION I : LES CARACTERISTIQUES ACTUELLES
DEL'INTERMEDIATION BANCAIRE AU CAMEROUN.
A la suite des réformes, il devait s'opérer des
regroupements, des fusions et alliances stratégiques importants,
permettant non seulement de renforcer la fonction d'intermédiation, mais
aussi d'accroître les marges et taux de profitabilité. Aussi le
nombre de banques du système bancaire est passé à 10 au 31
Décembre 2003 contre 12 dans les années précédent
immédiatement la dévaluation. Ainsi que le relève
Avom (2004), le système bancaire compte
également huit établissements de crédit auxquels il
convient d'ajouter les sociétés d'assurance dont le rôle
dans le financement de l'économie va considérablement se
développer dans les prochaines années, car elles se
présenteront comme des concurrentes sérieuses des
établissements de crédit, notamment dans la collecte de
l'épargne. A côté de ce secteur officiel, il se
développe la microfinance, dont la progression a été
remarquable au cours de la dernière décennie malgré sa
disparité (Lelart M., 2002).
A cet effet, le système bancaire et financier
camerounais présente actuellement plusieurs caractéristiques
dont, trois paraissent pertinentes pour qu'elles soient évoquées
pour notre propos. Il s'agit d'abord de sa trop forte concentration qui
débouche sur sa surliquidité (1), ensuite de la
très forte présence du capital privé dans le capital
social des banques, dont une part importante est d'origine
étrangère (internationalisation) (2), et enfin
de la faiblesse de profondeur et d'innovations financières
(3).
I.1- UN SYSTEME BANCAIRE CONCENTRE ET LE PARADOXE DE
LA SURLIQUIDITE BANCAIRE :
Le paradoxe de la surliquidité se manifeste par une
concomitance entre une surliquidité persistante et une insuffisance de
financement du secteur réel. C'est le cas actuellement de la zone CEMAC.
En effet, l'économie réelle de la zone CEMAC est en manque de
moyens de financement externe, alors que le secteur bancaire dispose de
liquidités excédentaires qu'il ne parvient pas à
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 84 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
employer. Par sa persistance, le paradoxe de la
surliquidité bancaire de la zone CEMAC dépasse un simple
phénomène conjoncturel, laissant à penser que le
problème de financement est celui de l'intermédiation
financière et qu'il puise sa source dans l'histoire institutionnelle de
la zone FCFA. Les tentatives d'explications de ce paradoxe avancées
jusqu'à présent ne tiennent pas compte de cet aspect fondamental.
Elles sont principalement de trois ordres. La première tiendrait
à la non-coïncidence dans les temporalités de l'offre et de
la demande. En effet, les banques de la zone CEMAC disposent essentiellement de
ressources à court terme, alors que le secteur non-financier recherche
principalement le financement à plus long terme. Traumatisé par
une très forte incertitude inhérente à la crise de la fin
de la décennie quatre-vingt, le système financier de la zone
CEMAC s'avère actuellement incapable d'assurer une transformation
effective des ressources.
Dans la deuxième explication, ce paradoxe serait
lié à la conjoncture économique. Ainsi, lorsque la
conjoncture économique est favorable, les perspectives de
rentabilité des entreprises s'améliorent. Ceci se traduit d'une
part par une plus forte bancabilité des projets et une augmentation de
la rémunération des ménages. La capacité
d'épargne de l'économie augmente et vient augmenter les
dépôts bancaires. Ce mécanisme peut durer jusqu'au
tarissement des projets bancables. Si par ailleurs les ménages ne
sollicitent pas de crédit, les dépôts bancaires se
transforment en surliquidité. A cet instant, la banque a le choix entre
un placement rémunéré auprès de la banque centrale
ou une constitution de réserves obligatoires.
Enfin ce paradoxe découlerait à la fois de la
dimension spatiale des déséquilibres de financement et de
l'absence d'un véritable marché interbancaire dans la zone CEMAC.
Jusqu'à présent, le marché financier dans la zone CEMAC
est encore embryonnaire avec l'existence de deux places boursières
(BVMAC et DSX dont nous en parlerons plus loin). Les prêts entre les
banques se font en blanc. L'absence de support (garantie) ne permet pas la
couverture des risques supportés par les banques sur le marché
interbancaire.
D'autres explications plus anecdotiques ont été
proposées: le faible taux de bancarisation de la
population47, la prédominance de la monnaie fiduciaire,
l'inadaptation de l'environnement juridique, l'importance du secteur informel,
...Même si ces faisceaux d'explications semblent fondés en ce qui
concerne les banques commerciales, il convient de constater qu'ils n'abordent
pas la cause profonde du paradoxe de surliquidité dans la zone CEMAC. En
effet, la surliquidité touche non seulement les banques commerciales de
la zone CEMAC, mais aussi
47 Le taux de bancarisation moyen est de 4% en
Afrique centrale. Au Cameroun, moins de 10% de la population est
bancarisée.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 85 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 86 ~
la BEAC. Par conséquent, une analyse de ce paradoxe qui
ne prend pas en compte la situation de surliquidité de la BEAC demeure
partielle. Pour saisir l'intégralité de ce
phénomène, il est nécessaire de revenir sur le concept la
libéralisation financière de la décennie quatre-vingt-dix
et son inscription dans un régime de répression
monétaire.
L'analyse de la concentration dans l'industrie bancaire permet
de mettre en évidence les inégalités de taille entre
établissements de crédit, mais également les tendances
oligopolistiques qui se manifestent au sein de ce secteur. Au Cameroun, la
concentration s'est traduite par deux mesures :
? Une concentration géographique: celle-ci se
caractérise par la réduction du nombre de banques (fusion et
acquisition et liquidation) ;
? Une concentration économique: il s'agit à ce
niveau d'une concentration de l'activité bancaire en termes de
dépôts / crédits et de part de marché.
I.1.1- Évaluation de la concentration
économique:
La diversité des produits ne permettant pas la
définition d'une incidence composite de concentration dans le cas des
banques, la concentration sera évaluée d'une part par les parts
de marché, puis par le nombre de banques et d'agences.
a) La concentration par les parts de
marché:
Il sera évalué ici la concentration des
dépôts et la concentration des crédits. A chaque fois, il
sera dressé un tableau des parts de marché pour faire le calcul
du taux de concentration pour l'année 2004. Il existe de nombreux
indicateurs de concentration. Pour notre étude, il sera utilisé,
l'indice de Hirchman-Herfindhal. Il est égal à la somme des
carrés des parts de marché de toutes les firmes de la branche ou
de l'industrie. Formellement, cet indice s'écrit comme suit : H
= (qi/Q) 2 = i2 Où qi
représente la production de la firme i et
Q la production totale de l'industrie. Il peut dès lors
être évalué ces différentes concentrations.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 87 ~
a1) La concentration des dépôts
bancaires: Tableau 12 : Part de marché des
dépôts 2004
Banques
|
Montant en millions de FCFA
|
Part en % simple
|
Part en % cumulé
|
SGBC
|
250780
|
22.92
|
22.92
|
BICEC
|
220301
|
20.14
|
43.06
|
SCBCL
|
161757
|
14.80
|
57.85
|
AFB
|
136257
|
12.46
|
70.31
|
SCBK
|
107814
|
9.86
|
80.16
|
CBC
|
95390
|
8.72
|
88.88
|
CITI BANK
|
45270
|
4.14
|
93.02
|
AMITY BK
|
25440
|
2.33
|
95.35
|
ECO BANK
|
36221
|
3.31
|
98.66
|
UNION BK
|
14674
|
1.34
|
100
|
TOTAL
|
1093301
|
100
|
/
|
Source : Fichiers Garbis Iradian, FMI,
2004
Le tableau souligne une forte concentration des
dépôts. En effet, sur les dix banques en activité, deux
à savoir, la SGBC et la BICEC contrôlent 43.06% des
dépôts, alors que La moitié du système bancaire,
constituée des cinq premières banques à savoir, la SGBC,
la SCB-CL, la BICEC, la CCEI et la Standard, contrôle à elle seule
80.16% des dépôts. A partir de ces résultats, il peut
être calculé l'indice H de concentration. Soit :
H = (0.22922 + 0.20142 +
0.14802 + 0.12462 + 0.09862 +
0.08722 + 0.04142 + 0.02332 +
0.03312 +
0.01342) = 0.15.
En comparant cet indice à celui qui traduit
l'égalité de tailles, qui est égal ici à, soit 0.1,
il est claire que ces deux indices sont différents ; ce qui traduit
alors les inégalités de tailles dans cette industrie. Puisque
lorsque les firmes sont de tailles identiques, ces deux indices devraient
être égaux. Cette inégalité de tailles traduit bien
la concentration de cette industrie.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 88 ~
a2) La concentration des crédits:
La concentration des établissements des crédits
peut être également évaluée à partir de
l'activité de prêt. Le tableau ci-après permet de calculer
le degré de concentration en 2004.
Tableau 13 : Part de marché de
crédit 2004
Banques
|
Montant en millions de FCFA
|
Part en % simple
|
Part en % cumulé
|
SGBC
|
186575
|
22.00
|
22.00
|
BICEC
|
175177
|
20.67
|
42.67
|
SCBCL
|
116007
|
13.68
|
56.35
|
SCBK
|
102093
|
12.04
|
68.39
|
CBC
|
87265
|
10.29
|
78.68
|
AFB
|
79788
|
9.4
|
88.08
|
CITI
|
34042
|
4.01
|
92.09
|
ECO BANK
|
30698
|
3.62
|
95.71
|
AMITY
|
25998
|
3.07
|
98.78
|
UNION BANK
|
10244
|
1.21
|
100
|
TOTAL
|
847887
|
100
|
/
|
Source : Fichiers Garbis Iradian, FMI,
2004
Ce tableau souligne une forte concentration des
établissements de crédit. Les deux premières banques
à savoir la SGBC et la BICEC, contrôlent à elles seules
42.67%. Bien plus, en ajoutant la SCB-CL, la Standard Chartered Bank et la CBC,
la moitié du système bancaire distribue 78.68% de crédit.
Il convient de remarquer que la Société Générale et
la BICEC contrôlent le marché du crédit à hauteur de
42.67%. Il peut donc être calculé l'indice H.
H = (0.222 + 0.20672 +
0.13682 + 0.12042 + 0.10292 +
0.0942 + 0.04012 + 0.03622
+0.03072+0.01212) =
0.14.
En comparant cet indice à celui qui traduit
l'égalité de tailles, qui est égal ici approximativement
à 0.1; il y a bien inégalité de tailles, puisque ces deux
indices sont différents.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
b) La concentration par le nombre de banques et
d'agences:
Le degré de concentration bancaire peut
également être mesuré par le nombre de banques et
d'agences. Plus ce nombre sera réduit, plus la concentration sera
élevée. Cet aspect peut être apprécié
à partir du tableau ci-après.
Tableau 14 : Évolution du
nombre de banques et d'agences
Années
|
Nombre de banques
|
Nombres d'agences
|
1975
|
4
|
88
|
1980
|
11
|
143
|
1987
|
7
|
186
|
1992
|
11
|
84
|
1996
|
8
|
74
|
1999
|
8
|
74
|
2002
|
10
|
85
|
Source : Rapport annuel du Conseil
National du Crédit
La lecture de ce tableau montre bien la concentration du
système bancaire. En effet, sur l'ensemble de la période
étudiée, on observe non seulement qu'il y a un petit nombre de
banques en activité, ce nombre qui tourne autour de 8 banques avec une
augmentation plus importante en 1980, mais également, de période
en période, on constate aussi une réduction des agences ; la
réduction ainsi constatée commence après 1987, à
cause peut être de la crise économique qui a affecté le
système bancaire. Une reprise sera observée après 1999
avec l'entrée de deux nouvelles banques à savoir ECOBANK et Union
Bank dans le système bancaire.
|