SECTION I: LA CRISE DE L'INTERMEDIATION FINANCIERE.
La crise économique du milieu des années
quatre-vingt a révélé les difficultés de
l'intermédiation financière au Cameroun. Ces difficultés
étaient liées aux causes multiples, notamment
l'omniprésence de l'État qui permit aux entreprises publiques de
bénéficier des concours bancaires pour assurer leurs
équilibres (Pelletier, 1993), les erreurs de gestion
(Mathis, 1992), les difficultés conjoncturelles, le
faible degré d'approfondissement financier, l'inadéquation des
structures bancaires aux habitudes des populations, et à l'orientation
des financements vers les secteurs d'exploitation. Il s'agit d'une carence
quasi congénitale que l'évolution n'a pu malheureusement lever
(Bekolo-Ebé, 1996)
Dans cette situation asphyxiante, les banques ne pouvaient
plus assurer leur rôle d'intermédiation financière,
compromettant ainsi le processus de croissance et développement
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 34 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
économique. L'objet de cette section est de montrer en
quoi est-ce que la crise de l'intermédiation a contribué aux
mutations financières. Pour cela, il sera présenté dans un
premier temps les explications théoriques des causes de la crise
(1), et dans un second temps, les caractéristiques de
la crise de l'intermédiation financière (2).
I.1- LES EXPLICATIONS THEORIQUES DES CAUSES DE LA CRISE
DE
L'INTERMEDIATION FINANCIERE:
Parlant des causes25 de la crise de
l'intermédiation financière, nous pouvons distinguer les causes
nées de l'absence de relations structurelles entre la banque et
l'économie, des causes introduites par les politiques
économiques. Ces causes seront successivement présentées
à la suite de ce travail.
I.1.1- DE LA FAIBLESSE DES RELATIONS STRUCTURELLES ENTRE LA
BANQUE ET
L'ECONOMIE:
La faiblesse des relations structurelles entre la banque et
l'économie peut s'apprécier à travers deux critères
principaux. Il y a d'une part, la logique de l'implantation bancaire au
Cameroun et, d'autre part, l'existence de l'asymétrie d'information.
a) La logique de l'implantation bancaire au
Cameroun:
L'appréciation de l'influence des intermédiaires
bancaires sur l'évolution de l'économie camerounaise, ne peut se
faire sans une analyse historique des origines et des motivations qui ont
sous-tendu leur mise en place.
L'installation des banques au Cameroun est très
ancienne et, obéit à une logique coloniale. Toutes les relations
seront dès l'origine dominées par la prééminence de
la métropole sur les colonies. Ainsi, les banques sont apparues
largement tributaires de celles de la métropole qui avaient
déjà des structures bien organisées. Ces institutions
apparaissent en conséquence en avance par rapport aux structures
économiques et, ont été imposées sans tenir compte
des réalités économiques culturelles et sociales. Leur
rôle était de prendre en main le développement des
25Les analyses sur les causes de la crise
financière recensent trois séries de causes explicatives de
l'occurrence des crises : l'absence d'information pertinente ainsi que le
caractère asymétrique de leur répartition entre les
différents acteurs ; L'existence d'influences extérieures pouvant
entraîner des conséquences indésirables et involontaires
sur les marchés. La difficulté de trouver une infrastructure
appropriée. D'autres analyses distinguent : Les causes
macroéconomiques, les causes sectorielles, et les causes
institutionnelles.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 35 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 36 ~
échanges commerciaux au profit de la métropole.
Et c'est du développement de ces échanges que dépendra le
rythme d'installation des guichets de banque.
Au moment où le Cameroun accède à la
reconnaissance internationale, on s'attendait à ce que cette logique
soit infléchie ou alors totalement inversée. Mais il n'en ait
rien été parce que, la structure de l'économie des
colonies n'avait pas elle-même fondamentalement changé. Elle est
restée pour l'essentielle basée sur la production et
l'exportation des matières premières.
Dans la période d'euphorie qui a suivi les
indépendances, les banques se sont développées de
façon désordonnée et imprudente avec l'aide des banques
étrangères dont elles étaient généralement
des filiales. N'ayant pas d'expertise nécessaire et n'ayant guère
été incitées à l'acquérir, les banques ont
préféré prospérer dans les activités peu
risquées de financement des importations et exportations, et des
entreprises publiques détenant les monopoles dans l'exploitation des
produits primaires.
L `environnement a continué à être
caractérisé par de fortes asymétries d'information.
b) Les asymétries d'information et l'environnement juridico-
institutionnel:
Les développements de la théorie de
l'intermédiation financière appuyés par ceux de la
théorie des contrats et de la théorie de l'agence, ont
montré l'importance de la maîtrise de l'information par les
banques.
En effet, Gurley et Shaw
(1960), définissent les intermédiaires financiers comme
des agents transmettant les excédents des agents à
capacité de financement vers les agents à besoin de financement.
Ceci serait vrai si l'information était disponible pour tous dans la
réalité. Or, sur les marchés en général
(Akerlof, 1970), et sur le marché du crédit en
particulier, les emprunteurs ont une meilleure appréciation de leur
capacité de risque que les prêteurs. D'où l'identification
de deux types d'asymétries d'information. La sélection adverse ou
aléa caché, où le marché pur aboutit à
consentir des prêts aux mauvais emprunteurs et, le hasard moral ou
comportement caché lorsqu'il est impossible pour le prêteur de
vérifier les conditions d'utilisation du crédit.
Ainsi, (Leland et Pyle,
1987) aboutissent à la conclusion que, la banque comme
intermédiaire financier, gère mieux les asymétries
d'information en réduisant de façon institutionnelle les
coûts d'acquisition et de gestion de l'information. Dans le même
sens, Diamond
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 37 ~
et Dybvig (1983) perçoivent la banque
comme « l'institution déléguée » qui gère
les risques liés aux relations de crédit avec l'entreprise.
Cependant, après l'indépendance, l'État a
participé au capital des principales banques, et a cherché
à orienter les ressources vers les activités qu'il jugeait
prioritaires, tout en rendant le crédit bon marché par un
contrôle administratif des taux d'intérêt. Dans un
environnement juridique peu porteur et un contrôle bancaire peu strict,
les crédits improductifs aux secteurs désignés par le
gouvernement étaient reconduits puisqu'en cas de défaut, les
banques avaient en principe le recours de la garantie de l'État.
Garantie dont, la couverture n'était d'ailleurs pas clairement
définie. Cette situation a contribué à dégager les
banques de toute préoccupation quant au contrôle de la bonne
utilisation des crédits et à la bonne connaissance de leurs
contreparties dans la relation de crédit.
De la même manière, fournie en abondance de
l'épargne publique, les banques ne se sont pas préoccupées
de la collecte de l'épargne et notamment de l'épargne longue. Ces
erreurs de gestion ont rendu les banques incapables de faire face au
retournement de tendance qui a entraîné les retraits massifs des
dépôts étatiques.
Après les indépendances, la gestion des banques
qui avait été pour la plupart nationalisées, a
éloigné les banques plutôt que de les rapprocher des
structures économiques nationales.
En définitive, les relations entre les banques et
l'économie sont restées très superficielles ; les banques
se contentant de fournir les financements sans se soucier de leur utilisation
et, ne s'intéressant pas aux informations comptables et
financières sur l'activité passée et future de
l'entreprise.
Cette habitude a entraîné la défaillance
dans la mesure du risque du côté de la banque, tandis que du
côté des emprunteurs, s'est installé une habitude de
falsification des documents comptables favorisée par la faiblesse de
l'appareil judiciaire.
La politique monétaire pour sa part, a introduit d'autres
distorsions.
|