1.2. Présentation générale du
corpus
Nos réflexions seront illustrées par une
étude d'un pure-player de presse (désormais abrégé
PP). Ce site est une plateforme médiatique qui est financée par
la marque M, et dont l'activité est de proposer tout au long de
l'année du contenu informationnel en rapport avec les musiques actuelles
: sorties d'albums, interviews, soirées concerts, etc. L'équipe
est composée d'un rédacteur en chef (qui est également
scripteur), d'un rédacteur fixe et de plusieurs pigistes et
rédacteurs externes intervenant de manière plus ou moins
régulière. PP étant géré par la même
équipe que le magazine T, des rédacteurs de ce dernier s'invitent
régulièrement sur PP. En même temps que ce pure-player, PP
est une plateforme promotionnelle physique, en ce sens que la marque s'invite
dans certains festivals et événements musicaux6.
Selon D'almeida (2001), il existerait deux formes de rapports
d'une entreprise aux médias : « en dehors d'elle ou crées
par elle » (88), et donc deux formes de présence médiatique,
une « s'accompli(ssant) par la prise de parole et par l'installation dans
les médias » (ibid:136), et une par « création de
médias spécifiques entièrement (...) voués à
la promotion de l'entreprise » (ibid:155). Cependant, une telle
distinction devient indécidable avec PP, puisqu'étant à la
fois un média presse à part entière, employant
rédacteurs professionnels et pigistes externes à la marque, mais
en même temps une plateforme créée par la marque dans un
enjeu de promotion de l'entreprise, bien que cette promotion se fasse par un
biais détourné, indirect, car il n'y a sur PP aucune
référence explicite à la marque, aucune promotion faite
directement pour cette dernière, mais non plus pour aucune autre marque
concurrente7.
C'est dans l'aval de la marque et dans l'architexte du site
qu'il faut lire la dynamique promotionnelle de PP : la marque garde tout droit
de regard sur le contenu de la plateforme, et donne son aval pour toute
écriture par un pigiste. Le rédacteur chef ainsi que le
rédacteur fixe possèdent une certaine autonomie
d'écriture, ne nécessitant pas l'aval de la marque, mais pouvant
à posteriori recevoir la désapprobation pour un article
jugé non adapté à la plateforme. Le contrôle des
contenus est ainsi, implicitement et en dernière instance, laissé
à la marque : les écritures d'articles, lorsqu'elles ne sont pas
contrôlées par la marque directement, le sont implicitement par le
biais du rédacteur chef. C'est également lui qui sert de
médiateur entre les pigistes et la marque, les pigistes envoyant leurs
propositions de sujets au rédacteur chef qui juge ou non des sujets
aptes à être proposés à la marque pour validation.
Le rédacteur en chef, via son expérience de la plateforme, en
vient donc à préjuger de la pertinence ou non d'un sujet / d'un
événement à se voir raconté sur PP.
Ainsi, puisque « considérer les organisations
économiques comme des lieux de production de récits suppose que
l'on s'interroge sur le principe de publicité des
6 Cette présence physique sur des festivals et concerts
est bien sûr un élément crucial de la marque, mais ne
concernant pas directement le volet médiatique de l'organisation, nous
ne nous focaliserons pas sur ce point dans notre travail. Nous y ferons
cependant référence.
7 Le rédacteur en chef parle même de
« plateforme promo «alibi« pour M, qui vend un produit
destiné aux majeurs. » (échange par mail)
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entreprises et, par là, sur les médiations
langagières et symboliques mises en oeuvre » (D'almeida,2001:44),
nous devons prendre en compte ces médiations langagières et
symboliques de PP, que l'on peut retrouver dans l'architexte de ce
média. L'architexte du site est pensé pour faire la promotion de
la marque, sans pour autant directement la rendre visible : la couleur choisie
pour PP est la couleur également choisie dans toutes les
déclinaisons de la marque, autant publicitaires que produits ou
même sur le site officiel, couleur que l'on retrouve dans le nom
même de la plateforme. Le logo est également pensé pour
rappeler le logo de la marque, sans pour autant directement le reprendre : on
retrouve le symbole, mais la mise en forme n'est pas la
même8.
Pourtant, le nom de la marque n'est cité à aucun
endroit sur PP, sans pourtant que l'affiliation ne soit tenue pour
secrète : le troisième résultat Google pour PP (recherche
effectuée le 11/10/13) affiche un résultat « PP est un
projet artistique dédié aux musiques actuelles initié par
M. ». Le même jour, la première recherche associée
proposée par Google était « PP M ». La même
recherche répétée au mois le 04/08/14 révèle
cette même affiliation, mais au 5ème rang des résultats de
recherche. Les mêmes tendances se révèlent via les moteurs
de recherche Bing et Yahoo.
Ainsi la marque se retrouve-t-elle présente dans le
pure-player, tout en laissant cette présence se dérober : elle se
suggère sans jamais directement se présenter, elle encadre le
site, le forme et le norme, sans se présenter explicitement en tant
qu'acteur actif des dynamiques du pure-player. Ainsi, PP se trouve dans une
forme inédite de dynamique marketing de la marque. Elle devient une
plateforme détournée d'interaction entre la marque et son public,
démarche marketing via internet faite de manière plus diffuse,
plus participative, avec un accent mis sur la proximité (notamment sur
les RSN).
D'un point de vue économique, la marque emploie la
société DD, société d'actionnaires finançant
plusieurs magasines print et web, et basée sur Paris. C'est cette
société qui gère la répartition du budget
donné par la marque. DD possède notamment également le
magazine T, dont les bureaux de rédaction sont les mêmes que ceux
de PP, les actants du premier étant en interaction spatiale continuelle.
Également, se trouvant employé par la même
société, le rédacteur chef de PP est aussi Webmestre
éditorial du site de T9, gérant la ligne
éditoriale du site ainsi que rédigeant des articles pour ce
dernier. Les rédacteurs de T interviennent régulièrement
sur PP. Les deux magazines possédant une même ligne
éditoriale, les contenus peuvent parfois entrer en résonance,
bien que T se place dans une optique moins grand public que PP, et plus
axé sur un contenu uniquement musical, ne partageant pas la ligne «
lifestyle » empruntée par PP. Également, T s'axe sur un
contenu musical plus pointu, plus spécialisé.
8 Il est intéressant de noter que, bien que
le design du site ai changé de design entre le début et la
conclusion de ce travail (entre 2013 et 2014), la charte graphique est
restée inchangée : on retrouve toujours la couleur, ainsi que la
déclinaison du logo de la marque.
9La situation décrite couvre la
période d'étude du corpus (Septembre 2013 - Juin 2014). En
juillet 2014, le webmestre a quitté son poste. La restructuration de
l'équipe est en cours à l'heure de la clôture de ce
travail, restructuration prévue pour septembre 2014.
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Ce site est pertinent à notre étude pour
différentes raisons. Tout d'abord, ce site est adossé à
une organisation, qui a défini une ligne éditoriale et se
réserve un droit de regard sur l'ensemble des publications sur le site,
en tant qu'il est une plateforme promotionnel, et donc financé par sa
dynamique publicitaire, adossé à des enjeux organisationnels
promotionnels. Avec cette dynamique promotionnelle, on se retrouve bel et bien
dans l'économie de l'attention (que nous développerons un peu
plus bas) : les pure-players musicaux et culturels sont nombreux
(professionnels ou bénévoles), et l'enjeu derrière la
plateforme est d'amener les lecteurs à venir occuper au maximum le
territoire, y passer le plus de temps et visiter le plus de pages, ainsi qu'en
dernier recours à intervenir dans la construction même du
territoire, en participant à l'écriture via commentaires ou en
partageant sur leurs propres profils sur les RSN. En même temps, les
enjeux organisationnels de PP ne se situent pas dans une lignée sujette
à controverse : le contenu informationnel se référant
à la musique et à la culture de manière
générale, il existe peu de sujets « sensibles » ou
potentiellement sujets à polémique. En d'autres termes, la
lecture et les réactions ne sont jamais (ou très peu) dans
l'affectif direct. Également, en tant que plateforme d'écriture
musicale, on retrouve un double rapport à la temporalité :
à la fois de la temporalité très courte, pour les news,
voir pour les « directs » durant les soirées/concerts, mais
à la fois des articles à temporalité plus longue, sur des
thèmes particuliers. Enfin, ce site vise principalement un public
relativement jeune, principaux utilisateurs des RSN, et doit donc avoir une
pratique stratégique du territoire.
PP se manifeste sur trois RSN : Facebook, Twitter et
Instagram, ainsi nous nous focaliserons dans cette étude sur ces trois
RSN (en plus des pratiques sur la plateforme en tant que telle). Cela est
d'autant plus pertinent que ces trois RSN sont représentatifs des deux
modes de pratiques : Facebook en tant que rapport qualitatif (poster peu
Ñ et le « diluer » temporellement Ñ pour beaucoup
d'interactions, visant donc plutôt le rapporté que le «
direct »), et Twitter en tant que rapport quantitatif (poster beaucoup
avec peu d'interactions n'a pas d'impact algorithmique, et vise le direct, le
« sur le vif »), Instagram s'installant à mi-chemin de ces
deux pratiques, mais en proposant quant à lui une production quasi
exclusive d'images. Nous verrons ces deux types de temporalité par la
suite de ce travail.
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