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1. INTRODUCTION
1.1. Liminaire
Depuis le début des années 1990, le renforcement
du combat contre l'impunité des grands criminels, des auteurs de crimes
de guerre, de génocide et de crimes contre l'humanité, s'est
imposé comme une nécessité. Parallèlement à
la création de tribunaux pénaux internationaux, comme la Cour
pénale internationale (CPI) ou les cours ad hoc pour
l'ex-Yougoslavie ou le Rwanda, un grand nombre d'Etats ont mis en oeuvre le
Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après «
le Statut de Rome » ou « le Statut »), entré en vigueur
le 1er juillet 2002 pour la Suisse, en élargissant leur
compétence universelle nationale. L'idée sous-jacente est celle
de considérer que ces crimes dits « internationaux », ou
« mondiaux1 » sont dirigés contre l'humanité
dans son ensemble, que c'est donc dans l'intérêt de chaque Etat de
les réprimer, le but ultime étant d'éliminer les safe
havens dans lesquels les auteurs présumés peuvent trouver
asile2.
L'art. 12 du Statut précise son champ d'application et
les conditions auxquelles la Cour est compétente. Pour cela il faut que
l'Etat sur le territoire duquel un des crimes énumérés
à l'art. 5 du Statut a été commis (génocide, crimes
contre l'humanité, crimes de guerre) soit partie au Statut ou que
l'auteur des crimes en soit ressortissant. Même s'il n'y a aucune
obligation pour la Suisse, sur la base de ce Statut, de poursuivre l'auteur qui
est de passage dans notre pays, elle a tout intérêt à le
faire, ceci afin de ne pas attirer des personnages de cette trempe.
Certains Etats, comme la Belgique et l'Espagne, firent figure
de précurseurs dans ce domaine, ces deux Etats ayant pratiqué
pendant quelques années une définition particulièrement
large de la compétence universelle. Ailleurs en Europe, la question de
savoir dans quelle mesure une telle compétence est justifiée
faisait longtemps l'objet de controverses3. Les
développements juridiques au niveau international de ces
dernières années donnent à penser que la compétence
universelle fait dorénavant largement partie du catalogue de base des
compétences pénales en Europe.
Ce travail traitera de la mise en oeuvre de la
compétence universelle en droit suisse et son application aux cas
spécifiques concernant des personnes accusées de « crimes
internationaux » 4, souvent définis selon le jus cogens.
Tout en étant un des Etats les plus dynamiques dans la
création de la CPI5, la Suisse a mis longtemps pour mettre en
oeuvre cette compétence de façon efficace sur son propre
territoire6. Même si le Code pénal militaire suisse
permettait déjà de lutter dans ce sens auparavant, la
nécessité d'adopter une législation expressément
adaptée à ce genre de situation s'est cependant imposée.
Le législateur suisse a décidé de contribuer au combat
contre l'impunité des coupables de crimes de guerre, de génocide
et de crimes contre l'humanité, par le biais de l'adoption de l'art.
264m du Code pénal suisse (CP). Celui-ci est entré en
vigueur le 1er janvier 2011 dans le cadre de la mise en oeuvre du Statut de
Rome de la CPI. Selon la formulation
1 ZIMMERMANN, p. 516, note 80.
2 KOLB (2012), p. 254.
3 HENZELIN (2009), p. 82ss.
4 HENZELIN (2009), p. 83 ; HURTADO POZO, p. 55.
5 OFJ (2005), p. 12.
6 Voir dans ce sens GRANT (2003).
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des travaux préparatoires, l'objectif de la Suisse est
désormais « d'assurer une répression sans faille de ces
actes »7.
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