I. Comprendre l'Entente France-Québec sur la
reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles
Dans cette première partie, nous allons tenter de
valider notre hypothèse H1 qui affirme que le volume des flux
migratoires dépend des barrières institutionnelles qui existent.
Pour ce faire nous allons dans un premier temps analyser le fonctionnement
général de l'Entente France-Québec en nous appuyant,
notamment, sur les concepts de barrière à l'entrée et de
verrous à l'immigration. Dans une seconde partie, nous
développerons l'échelle de reconnaissance en l'appliquant
à l'ensemble des ARM. Par la suite, nous analyserons en détail
sur les deux ARM choisies en identifiant, les ressemblances et
différences de fonctionnement des professions, mais aussi les
distinctions sociologiques qui peuvent exister. Puis, nous chercherons à
vérifier si la levée des barrières institutionnelles
facilite la mobilité des avocats et des infirmières.
i. ARM : faire sauter les verrous de l'immigration et les
barrières à
l'entrée
Comme le définit Claude Blumann (2006) il existe trois
verrous empêchant l'installation dans un pays tiers :
Le premier verrou est formé par les conditions
d'entrée et de séjour fixées par les
réglementations nationales : pour être admis sur le territoire
national ou pour s'y installer, et surtout s'il souhaite s'y livrer à
une activité professionnelle, quelle qu'elle soit, l'étranger
doit obtenir une autorisation ou un ensemble complet d'autorisations. Les
exigences fondées sur la nationalité pour la pratique d'une
activité professionnelle déterminée, qui valent pour un
domaine professionnel ou pour certains emplois déterminés,
constituent un deuxième verrou [É]. Le troisième verrou
résulte des exigences nationales relatives à la qualification en
vue de la pratique d'une activité singulière, que de telles
exigences régissent l'exercice de cette activité sous une
certaine forme (notamment celle qui comporte l'usage d'une dénomination
caractéristique) ou, plus radicalement, qu'elles se rapportent à
l'accès même à cette activité ou à la
profession dont elle relève (Blumann et al, 2006 : 93).
10
En résumé, l'idée de verrous bloquant
l'immigration de Bulmann et al, ramène au concept
développé en économie de barrière à
l'entrée théorisé par Bain et Demsetz. Les
barrières à l'entrée, « désigne[nt] toute
action, comportement ayant pour objet d'éviter l'offre
supplémentaire de produits sur le marché » et lorsqu'elles
sont supprimées permettent d'augmenter la concurrence (Silem et
Albertini, 2012 : 80). En général, les économistes
identifient deux types de barrières, les barrières naturelles qui
ne sont pas du ressort des entreprises et les barrières artificielles
qui au contraire sont liées à une action directe de celles-ci
afin de protéger leurs marchés. Dans la suite de notre essai,
nous utiliserons sans différence de définition le terme de
barrière à l'entrée et de barrière
institutionnel.
De ce fait, l'objectif de l'Entente France-Québec sur
la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles est la mise en
place d'outils permettant de faciliter l'installation dans le territoire
d'accueil d'une personne exerçant un métier ou une profession
réglementée. Si l'entente vise à faciliter l'installation
des immigrants, elle ne touche pas « aux questions relatives à
l'immigration, au droit de séjour et au permis de travail » et ne
cherche à « procéder à l'harmonisation des formations
nationales (Côté, 2008 : 347). En clair, ce n'est pas parce que
votre profession/métier est reconnue dans l'autre pays que vous pouvez
vous y installer. L'accord permet donc de faire sauter les deux derniers
verrous identifier par Bluman car l'entente interdit « les exigences de
nationalité et elle facilite la satisfaction des conditions nationales
de qualifications professionnelles applicables » (Côté, 2008
: 352).
En résumé, les ARM peuvent être
comparées à des outils qui réduisent les barrières
artificielles, c'est-à-dire celles fixées par les ordres
professionnels mais par contre l'Entente ne touche pas aux barrières
dites naturelles, qui dans notre cas sont les conditions d'entrée et de
séjour fixées par l'État d'accueil.
De plus, une des spécificités de l'Entente
réside dans son mode de fonctionnement. Afin que la levée des
barrières artificielles soit efficace, les gouvernements ont choisi
d'appliquer le principe du bottom-up en intégrant les acteurs
de terrain à la mise en place
11
et aux décisions. En effet, l'Entente a simplement
posé un cadre global et intégré devant orchestrer le
processus. Alors que l'opérationnalisation et la mise en oeuvre sont
déléguées aux « autorités compétentes
». C'est à l'évidence une des raisons qui explique pourquoi
l'Entente a été signé rapidement. Un des contrecoups est
qu'il subsiste six ans après des ARM qui doivent encore entrer en
application. Le cadre fixé par la France et le Québec reprend
quatre grands principes :
[Premièrement] il est indispensable qu'une profession
ou un métier fasse l'objet d'une réglementation dans les deux
parties pour que les autorités compétentes soient obligées
d'appliquer la procédure commune et puissent conclure un ARM. [É]
[Deuxièmement,] le titre de formation visé par la reconnaissance
mutuelle doit avoir été obtenu d'une «autorité
reconnue de la France ou du Québec sur leurs territoires
respectifs.» [Troisièmement] l'aptitude légale
d'exercer une profession ou un métier «est en vigueur et a
été obtenue sur le territoire de la France ou du
Québec.» (ibid, 355-356) ; [Quatrièmement] la discrimination
sur la base de l'origine nationale des qualifications professionnelles est non
seulement permise, mais elle constitue même la pierre angulaire du
système. (Côté, 2013 : 235)
En laissant le soin à des autorités
compétentes de signer et d'appliquer des sous-ententes (ARM) à
l'Entente principale pour chaque profession, métier et fonction, les
gouvernements ont limité les risques de blocages et de frictions. Il est
intéressant de constater qu'en réalité pour les
métiers et les fonctions, les autorités compétentes qui
ont été choisies sont des ministères ou des organismes de
droit public des deux côtés. Au Québec, les
autorités compétentes pour les vingt-six professions ayant
signé un ARM furent leur ordre professionnel. En France, seulement
quatre professions (Avocat, architectes, ingénieurs et experts
comptables) avaient leurs autorités compétentes
indépendantes de l'État. Pour toutes les autres, à travers
différents ministères l'État est resté
l'autorité compétente et cela même si la profession
possédait un ordre professionnel. Si les ARM ont été
signés par des autorités compétentes différentes,
ils ont tous une structure commune basée sur l'annexe 1 de l'Entente.
12
|