Paragraphe 2 : L'inadéquation quant à
l'évaluation de l'assiette fiscale
L'assiette fiscale peut être appréhendée
comme la base de perception d'une taxe, c'est encore, la « matière
assujettie à l'impôt »35. En l'espèce,
l'impôt douanier est perçu à partir d'un ensemble
d'éléments qui en constituent la base de perception ou l'assiette
fiscale. Il s'agit de l'origine, de la valeur et de l'espèce. C'est en
fonction de ces trois paramètres que sont liquidés les droits et
taxes au passage du cordon douanier de marchandises d'origine
étrangère.
La détermination de cette assiette ne soulève
pas de difficultés majeures dans le cadre des échanges
économiques traditionnels. Ainsi, à chaque traversée des
frontières physiques de marchandises, les droits et taxes sont
prélevés au titre de l'impôt douanier sur la base d'une
assiette fondée sur les trois éléments constitutifs de la
fiscalité de porte.
Cependant, dans le cadre du commerce électronique des
difficultés vont surgir à cause de la nature
dématérialisée, ouverte et internationale du net. Ces
trois éléments déterminatifs de l'assiette s'en trouvent
ainsi fortement perturbés.
Aussi, le classement tarifaire devient-il problématique
(A), la détermination de l'origine, malaisée (B) et
l'appréciation de la valeur, approximative(C)36.
A) Un classement tarifaire
problématique
Aux termes de l'article 12 du Code des Douanes de la CEMAC,
« l'espèce de marchandises est la dénomination technique qui
leur est attribuée par le tarif des douanes ». C'est en fait le
terme technique utilisé pour l'administration des douanes avec pour
finalité évidente la classification et la codification des biens,
qui constitue l'espèce tarifaire des marchandises.
35 Dictionnaire le Petit Robert 2009, P.46.
36 Voir le cours de M. DIONE ALIOUNE, « Droit
Fiscal et Douanier », P.8.
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Ainsi, afin de faciliter l'application du tarif
extérieur commun, (application des mêmes droits de douanes quelque
soit le point d'entrée de la marchandise sur le territoire douanier
communautaire), les pays membres de la CEMAC ont adapté un
système harmonisé de désignation et de codification des
marchandises qui circulent de part et d'autre de leurs frontières
respectives. Cette harmonisation aboutit à la création de quatre
catégories de marchandises et précise pour chacune d'elles, le
taux applicable des droits de douane :
- Catégorie I : Les biens de première
nécessité : 5%
- Catégorie II : Les matières premières et
les biens d'équipement : 10% - Catégorie III : Les biens
intermédiaires et divers : 20%
- Catégorie IV : Les biens de consommation courante :
30%
La nomenclature douanière ou nomenclature tarifaire est
le document qui indique à l'importateur la catégorie à
laquelle appartiennent ses marchandises en précisant les taux de droits
et taxes applicables. C'est une structure hiérarchisée de
familles de produits repartis en 21 sections. Chaque section est
constituée de plusieurs sous sections. Dans les sous sections enfin,
sont listées les catégories de marchandises.
Qu'en est-il alors de la classification et de la codification
des données numérisées en cours dans le monde
dématérialisé et virtuel du net ?
Il semble nécessaire de partir encore de la distinction
faite antérieurement entre le commerce électronique direct et le
commerce électronique indirect pour répondre à cette
question.
En l'occurrence, dans cette dernière hypothèse,
la difficulté est moindre. Elle réside particulièrement
dans l'émergence fréquente des produits totalement nouveaux et
sur lesquels la Douane n'a aucune emprise parce que, justement, n'étant
pas prévus par la Nomenclature. En revanche, c'est dans le premier cas,
celui du commerce électronique direct, que le problème est
quasiment insoluble. En effet, pour résoudre le problème de la
classification dans ce dernier cas, il semble qu'il faille d'abord
régler une question préalable qui est incontournable. C'est celle
cruciale de la nature des transmissions électroniques. En l'occurrence
les données numérisées sont-elles
considérées comme des marchandises ou plutôt comme des
services ?
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Il faut dire qu'il est important de déterminer avec
précision la catégorie juridique à laquelle appartiennent
les transmissions numérisées pour une bonne mise en oeuvre de la
Nomenclature, car comme on peut le deviner, la Nomenclature n'est pas de mise
pour une classification des échanges électroniques, parce que
basé sur un monde physique qui jure avec la réalité
dématérialisée du Net.
Ainsi, si on parvient à déterminer la nature de
bien physique de transmissions numérisées, la Nomenclature
pourrait s'appliquer après quelques aménagements. Tel a
été le cas de l'énergie électrique qui est un
produit intangible comme les transmissions numérisées.
Après moult discussions au niveau des instances internationales, on est
parvenu à procéder à son classement à la position
« 27-16-00 » du système harmonisé37.
En revanche, la Nomenclature est inapplicable si les
transmissions numérisées sont perçues comme des
services.
La détermination de la nature des transmissions
numérisées revêt ainsi une importante décisive, car
celle-ci conditionne son classement dans la Nomenclature. Cependant, face
à l'incertitude qui pèse sur la nature juridique des
données numérisées, le classement de celles-ci devient
problématique et nécessite avant tout de régler cette
question préalable mais aussi préjudicielle.
Ces difficultés induites par le commerce
électronique quant au classement surviennent aussi en matière de
détermination de l'origine des marchandises.
B) La détermination malaisée de
l'origine
L'origine d'une marchandise peut être
appréhendée comme le lien géographique qui unit celle-ci
à un pays donné dont elle est réputée issue. C'est
le lieu de provenance de celle-ci. A ce titre, l'alinéa 2 de l'article
22 du code des douanes de la CEMAC dispose que : « les produits naturels
sont originaires du pays où ils ont été extraits du sol ou
récoltés. Les produits manufacturés sont originaires du
pays où ils ont été fabriqués ».
Dès lors, des problèmes d'une certaine amplitude
se posent relativement aux échanges de données
numérisées via le Net. En effet, les transmissions
électroniques s'effectuent dans
37 Le Système Harmonisé ou Code SH
est le système international de désignation et de codification
des marchandises. Il est aussi utilisé pour l'élaboration des
tarifs douaniers nationaux et les statistiques du commerce extérieur
ainsi que pour la mise en place des règles d'origine, des tarifs de
transport, des contrôles de quota et la surveillance du commerce mondial.
Il est entré en vigueur en 1998.
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un environnement mouvant marqué par le flux
d'éléments en constante évolution, des
fonctionnalités de traitement et de communication.
Il est vrai que les marchandises dans la production desquelles
sont intervenus plusieurs pays sont considérées comme originaires
du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison
substantielle38, économiquement justifiée,
effectuée dans une entreprise équipée à cet effet
et ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau
représentant un stade de fabrication important39.
Mais il reste que les technologies complexes permettent de
reproduire facilement et de transmettre à l'infini des données
numérisées. D'où la difficulté manifeste pour
déterminer le dernier pays où a eu lieu la dernière
transformation et a fortiori celui où s'est effectué l'ouvraison
substantielle économiquement justifiée.
Ainsi, le problème majeur lié à cette
question d'origine est que les transactions elles-mêmes ne sont pas de
simples opérations d'un point à un autre. Le lieu où ces
transmissions traversaient la frontière dépendait toujours des
caractéristiques spécifiques de la série d'utilisateurs
reliés au réseau ainsi que des caractéristiques tout aussi
changeantes se rapportant au programme et à l'emplacement d'appareils
tels que les serveurs40.
Dès lors, il existe de sérieux doutes dans
l'applicabilité des règles actuelles de détermination de
l'origine. Cela est d'autant plus alarmant que l'origine des marchandises
détermine sensiblement les montants des droits et taxes.
En effet, les produits originaires de certaines
communautés économiques telles que la CEMAC, la
CEDEAO41 et l'UEMOA42 bénéficient d'un
régime de faveurs à l'intérieur des pays qui constituent
ces espaces économiques. C'est notamment le cas du tarif
extérieur commun qui y est institué.
En somme, les activités d'échanges
économiques traditionnelles bénéficient du régime
tarifaire de faveur dans l'espace communautaire, tandis que le E-Commerce en
est
38 C.J.C.E., 23 février 1984, Aff. 93/83, Rec.
1095 ; C.J.C.E., 26 février 1977, Aff. 46/47, Rec. 41.
39 Cass. Crim, 12 novembre 1990, Bull. Crim.
N°376, P.953.
40 Ouvrage collectif dirigé par Daniel Kaplan,
Guide du commerce électronique : votre entreprise sur internet, Paris,
Maisonneuve et Larose, 2000, P.85.
41 Communauté Economique des Etats d'Afrique de
l'Ouest.
42 Union Economique et Monétaire de l'Afrique
de l'Ouest.
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entièrement exclu. Il importe donc de
sécréter de nouvelles normes qui prennent en charge
entièrement cette réalité du net.
Cela semble également être le cas pour la
détermination de la valeur dont l'appréciation devient
approximative avec l'avènement du Net.
C) L'appréciation approximative de la
valeur.
Le concept de valeur est polysémique. Il est ainsi
possible de recenser une triple conception de la notion.
Dans un premier temps, la valeur est perçue à
partir d'une cotation opérée sur un marché et
résulte du jeu de la loi de l'offre et de la demande. C'est le cas pour
les marchandises faisant l'objet de transactions dans une Bourse de commerce de
valeur. Ensuite, la valeur peut s'établir en fonction du coût ou
du prix de revient ou encore de la capitalisation des revenus. Enfin, elle peut
résulter de l'appréciation purement subjective des parties
à la convention portant sur la chose en question.
Pour sa part, le Code de Douanes de la CEMAC définit la
valeur en douanes des marchandises importées, en son article 24
paragraphe (a) comme « la valeur des marchandises
déterminées en vue de la perception des droits de douane et taxes
d'effet équivalent ad valorem ».
Cependant, l'article 23 précise que « la base
première pour la détermination de la valeur en douane est la
« valeur transactionnelle ». Celle valeur transactionnelle est
définie à l'article 26, comme « le prix effectivement
payé ou à payer pour les marchandises importées
lorsqu'elles sont vendues pour l'exportation à destination de l'Etat
membre d'importation après ajustement conformément aux
dispositions de l'article 27... »
Il en découle de ces dispositions que dans les Etats
membres de la CEMAC, la valeur de la marchandise est déterminée
en ajoutant au prix effectivement payé ou à payer pour les
marchandises importées, des éléments et des produits ou
services qui n'ont pas été inclus dans le prix effectivement
payé ou à payer, de même que des frais accessoires à
l'achat, comme le coût de l'assurance, les frais de transport, de
chargement, de manutention et de déchargement.
A ce niveau, Il est possible de relever une certaine
convergence d'esprit entre cette valeur transactionnelle et le commerce
électronique. En effet, la réalité
dématérialisée et
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transnationale du Net ouvre au consommateur un marché
mondial dans lequel il règne en véritable maître du jeu des
échanges. Mais l'impression se révèle vite fausse, car la
notion de valeur est, en réalité, des trois
éléments constitutifs de l'assiette fiscale, la plus difficile
à établir43.
L'avènement du commerce on-line n'est pas pour aplanir
ces problèmes dans la détermination de la valeur. En
l'espèce, les produits numérisés sont constitués de
deux éléments bien distincts. D'une part, un
élément matériel que représente le support physique
(bandes magnétiques, disquettes, disques y compris les disques pour
lecture par faisceaux laser, des vidéodisques, des unités de
stockage, etc.). D'autre part, un élément intellectuel
(enregistrements sons, images, données ou instructions).
Dès lors, comment déterminer la valeur de ces
produits numérisés dont la constitution est on ne peut plus
hétérogène ? Faut-il prendre en compte seulement la valeur
du support ? Ou celle du contenu ? Ou les deux à la fois ?
Pour mettre de l'harmonie dans cette fixation de la valeur des
produits numérisés, le Comité d'évaluation en
douane de l'Organisation Mondiale du Commerce détermine un cadre, en
laissant à travers la décision val/8 sur l'évaluation des
supports informatiques et des logiciels, le choix aux administrations des
douanes soit de taxer les supports y compris la valeur du logiciel, soit de
prélever des droits sur le support seul.
Il faut cependant relativiser l'intérêt d'une
telle décision puisqu'elle ne s'applique pas aux transmissions
électroniques, ni aux enregistrements de son et d'images dont le
transport par des moyens électroniques connaît actuellement un vif
succès.
Or, il importe, étant entendu que les produits
numérisés sont divers et variés, qu'une solution globale
soit envisagée par la mise en oeuvre d'un cadre général
qui détermine des règles homogènes de la fixation de la
valeur en domaine de ces produits numérisés. Ce qui va à
coup sûr permettre de réduire les risques inhérents
à la non fiscalisation de ces produits.
43 Cours de M. Dione Alioune, op.cit, P.15.
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