Le pouvoir de la population sur son environnement! Cas du Plateau de Millevaches( Télécharger le fichier original )par Julien Dupoux Université Paris Sorbonne IV - Master 2 2012 |
1.2 - Un territoire attendu (les préjugés et les mythes derrière le nom)De la succession des virages, je me souviens. Leur nombre sur une petite route et l'arrêt qu'on s'octroyait parfois à la rigole du Diable. Le sud de la Creuse était cette région où l'on ne voyait ni l'horizon, ni les villages. Mais les distances doivent sembler aux enfants plus longues. L'isolement était l'une de mes impressions. Et puis les bois : c'est une région où l'on fait des planches, pensai-je. Le papier ne me venait pas en tête à cet âge. Par contre, on y ramassait bien les champignons : ça se savait de loin. En allant sur La Courtine, je pouvais aussi remarquer la fraîcheur de l'altitude : une région hostile pour les paysans des bocages agricoles d'où je venais. On ne fait d'ailleurs pas un secret que la terre n'est pas riche là-bas. Puis j'ai su que le pays pouvait être plus joli, plutôt côté Corrèze, avec la présence des bruyères et des espèces que nous n'avions pas. Peu de choses attractives sur le Plateau de Millevaches dans mes premières représentations ; les échos des cultures solidaires « anarchistes » ne m'ont atteint qu'ensuite. Puis j'ai constaté que le marché de Felletin, le vendredi, reste dynamique (comparativement à ceux des Combrailles creusoises -et même à celui de la proche Aubusson pourtant plus importante) et qu'on y trouve beaucoup de petits producteurs, dont plusieurs en agriculture biologique, qui viennent du Plateau. Un paysage peu accueillant, noir de sapins, « mort » comme on dit, face à un esprit critique affiché, pouvant gêner les élus départementaux ou régionaux : voilà le premier constat, à l'état de préjugé, qui m'est venu. Cela reste mon point de vue particulier ; j'ai voulu savoir quels pouvaient être les préjugés des autres personnes qui n'habitaient pas ledit Plateau. Pour cela j'ai interrogé quelques habitants parisiens (161 dont 72 connaissaient de nom le Plateau) et quelques habitants creusois (71). Le nombre de personnes interrogées est insuffisant pour prétendre représenter un échantillon de la population bien que j'aie essayé 24 d'avoir des hommes et des femmes, des plus jeunes et des moins jeunes en parts équivalentes. On trouvera les questions posées et les résultats obtenus en annexe 10. Les questions portaient sur ce qu'évoquaient le Plateau de Millevaches aux gens, si le lieu était mythifié d'une quelconque façon et si les gens qui y étaient allés, comme moi, trouvaient le plateau plutôt laid à cause des sapins. Mais non. Très peu m'ont parlé des sapins. C'est la nature, c'est calme, c'est peu peuplé donc, pour les gens de passage, c'est beau. Les creusois, et pas seulement les guéretois1, citent la beauté de la nature. Certains qui vivent en campagne, ne renâcleraient pas à habiter le Plateau (pour la tranquillité) mais pour beaucoup c'est un lieu trop isolé où ils pensent être loin des services ou s'ennuyer (tableaux R5 et R6). Mes propres préjugés sont sûrement davantage ceux de quelqu'un soucieux d'écologie et qui s'intéresse aux initiatives originales. Les parisiens ne répondent pas tous de manière sincère quand je leur demande s'ils connaissent de nom le Plateau de Millevaches et à certaines réponses erronées (sur la situation géographique ou trop associé au nom du type : « oui, je connais, c'est un plateau avec des vaches », j'ai préféré ranger leur prétendue connaissance en « non-connaissance ». Ma grille ne pouvait pas caser les entourloupes. J'ai trié les évocations selon qu'elles se rattachaient à la nature (paysages, rivières...), à la faible densité humaine et l'isolement (coin perdu, désert...), au mythe écolo-anarchiste, à la présence culturelle ou au patrimoine bâti. J'aurais aussi pu demander à chaque enquêté s'il pensait, pour chacun de ces thèmes parmi d'autres, s'il pensait ce thème prégnant sur le Plateau. J'ai gardé la première évocation. Si quelqu'un me parle de la nature, ce n'est pas pour autant qu'il ne connaît pas les activités culturelles du Plateau. Mais, en général, les évocations n'étaient pas multiples. Ce sont les éléments naturels, la verdure, les rivières, les landes qui sont les plus évoquées. Les creusois parlent ensuite d'un coin perdu (17%) et les parisiens de la culture alternative à la société de consommation, écologiste ou libertaire (19%), puis arrive le coin perdu pour les parisiens (10%) et la culture alternative pour les creusois (7%) (tableaux R3 et R4). La proximité du Plateau n'engendre pas une mise en avant de la culture alternative, bien au contraire. D'autant plus que l'évocation de cette culture chez les parisiens résulte pour 93% de la part de personnes qui n'y sont pas allées (le plus fort taux parmi les évocations ; tableau R7). D'après ces résultats, à prendre avec beaucoup de relativité, on pourrait penser que les activités écologiques ou culturelles du Plateau sont surtout un mythe. Les creusois, qui connaissent à priori mieux le Plateau, en parlent davantage en termes 1 J'ai fais mon enquête à Guérêt en Creuse (donc en ville et l'opposition ville/campagne est présente) mais plusieurs enquétés n'habitaient pas Guérêt. Je suis ensuite allé dans le village de Sardent. 25 physiques. Parce que, pour eux, plus que pour les parisiens le Plateau est un lieu sauvage, le plus sauvage, le plus faiblement peuplé, le plus isolé du Limousin tandis que le Limousin se rapporte déjà au sauvage pour les parisiens. Les limites du « coin perdu » seraient toujours repoussées plus loin ? Les résultats (tableau R7) laissent également supposer que les jeunes penseraient plus facilement la une culture alternative du Plateau (parmi ceux qui connaissent le Plateau, 27% des parisiens et 10% des creusois de moins de 40 ans contre 10% et 5% des plus de 40 ans), qu'ils en ont peut-être davantage entendu parler. Mais ces taux sont aussi à mettre au regard du fait que l'échantillon des jeunes parisiens connaissant le Plateau est plus faible que celui des plus de 40 ans (tableau R2). Les projets écologiques pouvant exister sur le Plateau ont rarement plus de 40 ans et les jeunes ont probablement davantage l'écho de la tenue de festivals ou autres manifestations. Si la culture alternative du Plateau n'est pas méconnue, elle ne semble pas être le marqueur principal du lieu. Le Plateau est plutôt considéré ou pensé comme un espace naturel protégé. Ce qui, pour le coup, est peut-être un mythe plus grand. Ce que mon étude devra prouver, d'autant plus que mes préjugés personnels ne sont pas ceux de tous. Je signale deux parisiens qui m'ont parlé du court-métrage (que je ne connaissais pas) de Pierre Vinour, Millevaches [Expérience] (nommé aux César 2002). Le film raconte le retour d'un homme sur le Plateau, un homme qui veut échapper à son costume, sa cravate, à un rythme de vie insupportable, aux impératifs de son entreprise, par une fusion avec la nature. Que reste-t-il de toute cette énergie : rien. Le film pourrait bien participer au mythe de la nature sauvage et d'un lieu alternatif. On voit le monument aux morts de Gentioux, plusieurs noms de villages. Dont Tarnac. Tarnac est, de nom, le site le plus connu du Plateau chez ceux pour qui Millevaches n'évoque rien. Cela en raison de la médiatisation de ce qu'on appelle « l'affaire de Tarnac »1 considérée par beaucoup comme un scandale d'Etat et une bavure judiciaire. L'affaire renforce évidemment le mythe autogestionnaire du Plateau. Ces suppositions, ou mythes, du Plateau, renvoient à certains discours, à certaines constructions ou à certaines perceptions vécues. Les miennes comme celles des gens que j'ai 1 Arrestations arbitraires le matin du 11/11/2008 de jeunes anarchistes supposés avoir saboté une caténaire de ligne TGV. Aucune preuve n'a été fournie. Avancés comme preuves, la rédaction d'un ouvrage attribué aux jeunes anarchistes L'insurrection qui vient [Comité invisible, 2011] et leur présence à proximité des lieux. Trop partial, « à charge », le juge s'est dessaisi du dossier en avril 2012. Arrêtés comme « terroristes » les jeunes incarcérés ont été relâchés en attendant la fin de l'enquête. Le soutien local aux inculpés avait été conséquent est s'est organisé. Un récent ouvrage est sorti à ce sujet : David Dufresne, 2012, Magasin général, Tarnac, Calmann-Lévy, 488p. On peut lire l'interview de certains soutiens aux inculpés sur http://nopasaran.samizdat.net/spip.php?article1652 (janvier-fevrier 2009) consulté en 2012. 26 rencontrés. Mais dans mon étude, il y aura surtout de mon propre constat, la mise en contradiction de certaines suppositions et l'approfondissement d'autres. |
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