Le pouvoir de la population
sur son environnement
Cas du Plateau de Millevaches
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Sommaire
Introduction p.7
I) Les marqueurs spatiaux du pouvoir p.21
1. Le territoire abordé ... p.21
2. L'environnement : indicateur des pouvoirs p.27
II) Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux
p.59
1. L'approche de la population p.59
2. Les acteurs : relations, perceptions du pouvoir et actions
sur
l'environnement p.65
3. Différents leviers de pouvoir de la population sur le
Plateau de
Millevaches p.83
III) Au-delà du Plateau, des leviers de pouvoir en
débat p.99
1. D'autres delà. Des comparaisons avec le Plateau de
Millevaches sur le
pouvoir des habitants p.99
2. Le pouvoir comme question d'organisation de la
démocratie et question
d'échelle p.106
3. Débats sur le pouvoir des habitants p.111
Conclusion . p.125
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« La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se
connaît misérable. »
Pascal, Pensées, III.1.255
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Introduction
Tout finit dans l'âtre du salon. Les verbes au feu et
les pensées en cendres ne dégagent qu'un cône de
fumée qui fendra la neige, annonçant au voyageur une maison
encore habitée, un hiver de froid combattu. Quelle valeur que d'avoir
beaucoup de choses à dire, ces choses-ci ou d'autres : mieux vaut que
l'estimable résultat ne soit qu'une lanterne fatiguée parcouru
des salves du vent.
Avant le départ, j'envisageai un voyage en Equateur
pour parler de mon sujet. On cherche pour vivre, davantage que le contraire.
Alors qu'importera l'idée rapportée au creux des mains. Je savais
ce que je trouverai là-bas, la force ou la faiblesse déjà
aperçue, la volonté entrevue de la population d'être son
maître. On se figure quelque aventure à raconter ; cela ne l'ai-je
pas déjà fait ? Il n'est pas si simple de tomber dans
l'émerveillement du voyage, de lui consacrer sa passion ou sa
lucidité, pas si simple de vivre. Et l'envie, ma reine, m'a porté
au pied de chez moi, je veux dire de ma région natale : c'était
facilité et c'était, aussi, une certaine pré-connaissance,
des interrogations qui me passaient par les oreilles quand je me reposais en
Creuse et que j'avais envie de rencontrer. Bonjour, très cher doute,
comment allez-vous ?
C'est donc plein d'erreurs que j'avancerai dans mes recherches
puisque j'ai déjà parcouru la région. Mes yeux ne voient
certainement pas ce qui choquerait l'observateur extérieur, ils ne
possèdent pas la simplicité nécessaire pour aborder les
faits les plus évidents. Ce qui me pousse à choisir le plateau de
Millevaches comme lieu d'études est aussi ce que je dois oublier. Que je
trouve où je vais mon propre visage, cela semble pourtant inexorable. Il
ne faut pas chercher mais vivre pour devenir enfin un autre que soi. Si j'aime
et si je suis ce qui m'entoure, je n'ai plus besoin de ma blessante
identité.
Alors l'envie, c'est certainement la réputation
anarchiste du Plateau, c'est l'écho d'originalité du plateau qui
me pousse vers lui, la pensée que je puisse trouver des initiatives
à raconter, et qu'à partir de ces initiatives, je puisse souffler
la notion de pouvoir, la faire exploser comme un atome qui livre ses quarks. Et
c'est plein de mon attachement au courant altermondialiste que je m'y rends :
la subjectivité est déjà dans le choix du sujet. Et je ne
peux que faire l'erreur de lire les discours et les faits en rapport avec mes
positions. Puisque, d'une certaine façon, c'est elle j'interroge par ma
recherche.
Mais un autre constat me pousse là-bas : celui de la
présence étouffante des bois de « sapins » : c'est
déjà un paradoxe pour mon étude et mieux m'aurait valu
traverser l'océan pour éviter une contradiction. Car comment
peut-on trouver du pouvoir à la population, quelle
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influence lui trouver sur son environnement quand la
première piste écologique ne révèle qu'un paysage
à la santé déclinante ? Mais ces résineux m'ont
aussi poussé sur le plateau de Millevaches parce que je n'aimerais pas
les voir autour de chez moi, envahir les Combrailles comme ils envahissent le
sud creusois et la haute Corrèze. Le conifère est un arbre
planté de force, une intrusion humaine sous perfusion dont la culture
intensive laisse amer autant l'homme qui contemple l'horizon que le sol sur
lequel il repose.
Je n'ai donc, au final, pas choisi un terrain où le
contexte dénote le pouvoir des habitants. La profondeur de la
démocratie voudrait que ce soit eux qui décident. Voici tout mon
souci. Quels sont les leviers de pouvoir de la population sur son
environnement ?
C'est donc sur ces formes de pouvoir qui peuvent venir de la
population locale que j'entends me concentrer. Vanité de la recherche...
ou vanité de l'homme qui veut trop croire qu'il peut. Et que cette
croyance pourra égaler en pouvoir l'argent ou la hiérarchie :
c'est le même élan, certainement.
Le sujet
Pouvoir et Environnement sont des notions bien vagues et
peuvent être définies de diverses manières. Ce vague, je ne
veux pourtant pas le perdre car ce sont ses formes que je veux approcher,
distinguer. Je ne veux pas le perdre car j'aurai l'impression d'être un
ouvrier spécialisé, à la chaîne, à qui l'on
ne demande qu'une seule tâche et qui perd l'image et les objectifs de sa
réalisation. Néanmoins, il faut mieux s'entendre directement sur
les termes et la compréhension que j'en aurai orientera
inévitablement l'étude. Je voudrais les comprendre comme les gens
les comprennent et comprendre comment ils les comprennent.
C'est aussi, généralement, ce que les
dictionnaires essaient de faire, à ceci près qu'ils
résument au lieu de décomposer. J'ai choisi deux dictionnaires de
géographie pour présenter les acceptations d'Environnement puis
de Pouvoir.
De l'environnement, il nous est dit que le terme «
est appliqué aujourd'hui à l'observation des effets des
activités humaines de tous ordres sur leur entourage par un renversement
de l'application du terme, qui dans les sciences de la nature procède de
l'étude de l'action du milieu. » [Georges & Verger, 2000]
et, dans l'autre dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003] qu'il s'agit
de « l'ensemble des réalités extérieures à
un système [...] conditionnant son existence et interagissant avec lui.
Spécialement, les réalités biophysiques comme
environnement des sociétés. », il cite aussi Paul Vidal
de la Blache qui stipulait que « l'environnement est moins ce qui
entoure que ce qui inclut », « ce qui entoure »
étant la définition répandue des Larousse et Robert. Si
j'ai choisi ce terme d'environnement, c'est
9
parce qu'on le relie principalement à la nature et
qu'il permet d'étudier davantage que les effets (comme le dit
la première définition) mais étudie aussi les interactions
de l'être humain avec la nature. L'être humain étant une
composante de la nature, les autres êtres humains étant des
éléments de l'entourage naturel d'un être humain, il est
également question des relations entre les sapiens sapiens. Le
paysage dans lequel l'Homme évolue, le paysage utilisé comme
ressource pour soi mais aussi comme média pour parler aux autres,
c'est-à-dire l'occupation du sol, par la verdure, le bâti, par la
présence, l'occupation de l'espace par la culture font partie de
l'environnement. Quand on parle de l'environnement d'une population, on peut
aussi comprendre « territoire », sauf qu'il ne s'agit pas de partir
de limites territoriales pour regarder comment bouillonne l'humanité
à l'intérieur mais de regarder l'espace d'ébullition de
cette population, et puisqu'il faut partir d'elle, pour parler de son espace,
il me semble plus juste d'employer le terme d' « Environnement ».
D'autant plus que je tiens à la connotation écologique dont il
est très souvent teinté, au-delà de la définition
littérale.
Quant au pouvoir, l'objet de l'étude est d'en extraire
certaines composantes et canaliser trop tôt la définition serait
trop vite conclure. Les premières précisions, ne feront donc que
traduire les hypothèses avec lesquelles je pars.
Littéralement (et selon le Larousse), le pouvoir est
« la capacité de faire », le dictionnaire géographique
[Lévy & Lussault, 2003] précise : « la
capacité à agir sur une situation de manière à en
modifier le contenu ou le devenir », un « type de rapport de
quelqu'un (ou d'un groupe) à quelqu'un d'autre par la médiation
d'une force ou d'une mainmise sur les choses. ».
Je pars surtout des définitions littérales. En
ce qui concerne le pouvoir, ce sont les manifestations de cette capacité
à agir que je veux préciser. Et pour mon étude, le rapport
ne sera pas uniquement d'un groupe à un autre groupe mais à tout
ce qui entoure le premier groupe, pas seulement les hommes (ou groupes
d'hommes) mais aussi ce qui se passe entre les hommes. Car on peut agir sur les
liens entre les hommes.
J'ai donc préjugé du constat que l'environnement
physique était noyé de résineux et ne reflétait pas
forcément la mainmise de la population locale, ni son souhait, si l'on
ajoute à ça que le pouvoir est souvent compris comme
l'autorité exercée du fait des institutions, de la voie
hiérarchique, comment donc peut se manifester la volonté «
des habitants d'un territoire défini par des limites administratives
ou politique ou géographique 1» ?
1 Définition de « population »
[George & Verger, 2000]
10
Parce que j'ai déjà traversé le plateau
de Millevaches, j'ai supposé que le pouvoir de la population, la
revendication « démocratique » pouvait aussi passer par la
culture, que la culture était un moyen, trouvé par la population,
d'impacter son environnement. En tout cas, cela va obliger à
présenter des formes de pouvoir qui seraient autre chose que la
domination ou la conquête physique du terrain, à penser
différemment le pouvoir.
« En géographie, le mot « pouvoir »
a longtemps été tenu à l'écart au titre du rejet du
politique » et « les géographes ont eu du mal
à penser la notion de pouvoir car ils entretenaient avec les pouvoirs
institués une relation de sujétion qui les a conduits, sans
parfois qu'ils en aient conscience, à garder le silence »
relate encore le dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003]. L'espace
est pourtant la division de parcelles où l'on aime à planter son
drapeau, tel Armstrong sur le satellite, c'est un moyen de peser sur
l'organisation d'une société par l'agencement de l'environnement
et c'est ainsi que Paul Claval peut introduire la notion de pouvoir dans
Espace et pouvoir [Claval, 1978]. Déjà, il
parlait de l'écologie comme politique comprenant la traduction
d'inégalités sociales par la pollution de l'environnement. L'axe
géographique, puisqu'il s'intéresse aux lieux, relie facilement
l'étude du pouvoir à l'environnement. C'est parce que le besoin
des rapports humains est patent que ce concept d'environnement, en
géographie sociale, ne peut être étudié comme une
somme de composantes naturelles et que l'on peut s'appuyer sur le
holisme1, en écologie, pour interroger les pratiques du
pouvoir [Atkison,1991]. L'homme n'est plus le centre ni le sommet de la
pyramide, il est en interdépendance avec la nature. La remise en cause
de la hiérarchie interspécifique en remet en cause une autre : la
hiérarchie intraspécifique, construite entre les hommes. Si c'est
la démocratie que l'on cherche, on peut alors, à l'image du
sociologue Pierre Bourdieu, condamner la reproduction de la domination par la
hiérarchie, domination qui peut aussi passer par la confiscation de la
culture et de la connaissance [Bourdieu, 2002]. La sociologie ajoute à
la géographie et à l'approche du pouvoir par les relations entre
les hommes et leur espace, sa compréhension par les relations des hommes
entre eux.
La façon dont le citoyen peut décider des lois
qui vont conditionner son environnement, sa qualité de vie et
l'étude des formes institutionnalisées remontent plus
généralement à Aristote et on cherche encore actuellement,
dans les études politiques, des moyens de rendre la démocratie
plus participative, à lier plus directement le citoyen aux choix
politiques, à rendre le citoyen maître [Aristote, 1971][Bacque
& Sintomer, 2011].
1Holisme : concept qui veut que le tout soit davantage
que la somme des parties et qui conduits généralement à
donner une valeur aux systèmes naturels (à la manière
d'Aldo Léopold par exemple) plutôt qu'aux individus.
11
Ce n'est pas à la notion de pouvoir que j'avais d'abord
donné ma priorité mais, me semble-t-il, à celle de
l'environnement parce que je constatai que les décisions prises par de
simples paysans sans science pouvaient être beaucoup plus pertinentes
écologiquement que de grands projets étatiques, pensés
à grande échelle et aliénés aux besoins
économiques ou au mythe de la croissance du Produit Intérieur
Brut. Il s'agissait donc pour moi de me familiariser avec l'évolution
des conceptions de la Nature, les problèmes environnementaux majeurs et
ceux d'aménagement du territoire. La conception des réserves
naturelles n'est pas inutile à rappeler (pas seulement parce qu'il
Existe un Parc Naturel Régional de Millevaches mais pour leur mode de
fonctionnement). Conçues à l'origine comme des espaces de
tourisme pour les plus fortunés, quitte à exclure par le
déplacement les personnes vivant sur les lieux, les Parcs Naturels vont
lentement faire leur mea culpa, et à l'aide de la remise en cause de la
dualité Homme/Nature, s'enquérir de la conciliation des
activités humaines et de la permanence d'un environnement
prétendument sauvage [Arnould & Simon, 2007]. L'environnement
devient une cause planétaire et si la biodiversité fait son
apparition au sommet de la Terre à Rio en 1992, c'est parce que le
maintien d'une saine hygiène de vie pour l'espèce humaine lui est
corrélée. Les philosophes Catherine et Raphaël
Larrère vont insister sur la nécessité d'une
éthique de la nature, éthique qu'ils font dépendre d'un
passage de l'anthropocentrisme à l'écocentrisme [Larrère,
1997]. Avec ce passage, selon eux, doit s'opérer la substitution de
l'économie par l'écologie en politique environnementale. Je pense
donc, et c'est peut-être ce pourquoi j'ai retenu leur ouvrage, qu'on ne
situe plus dans le simple discours du développement durable. Lorsque je
suis allé aux « nuits du 4 août », l'été
dernier, à Peyrelevade, un atelier était organisé sur la
façon dont les mots sont atténués pour masquer leur sens,
on proposait de les retraduire et, de la même manière qu' «
agent d'entretien » était le nouveau terme pour « balayeur
», des participants ont dit que « développement durable »
était celui pour « capitalisme ». Parce qu'il y a toujours
cette priorité au progrès du profit monétaire. Je ne
m'intéresse pas, pour ma part, à la persistance du simple
progrès économique mais à celle du progrès des
conditions de vie. Les buts et principes dudit « développement
durable » seront ainsi critiqués dans un article de la revue
Débats [Le Goff, 2009].
L'histoire des parcs et réserves, quant à elle,
semble s'être arrêtée non pas à la conciliation des
activités humaines avec la sauvegarde de la biodiversité mais
à celle des profits générés par ces
activités avec la permanence d'une nature idéalisée,
touristique et alors patrimonialisée. Ce qui engendre la
possibilité d'oublier que la nature est un fait culturel [Berque, 1995]
et que son érection en symbole n'est pas indépendante des
stratégies et volontés de pouvoir. Certes, on voit cependant se
développer, dans certains espaces protégés,
12
le souci de faire participer la population, que celle-ci
puisse s'approprier l'environnement et ce sera l'un de mes points
d'études, mais les fonctionnements institutionnels de moult
réserves (comme ceux des Etats d'ailleurs) ne font pas apparaître
la population comme un organe directement décisionnel.
Les questions d'aménagement du territoire vont
cependant soulever certains conflits, et à travers eux, certaines
attentes de la population, certaines conceptions du pouvoir en matière
d'environnement. Des grands travaux routiers, de la pose du réseau
téléphonique, électrique, des circuits de gaz, d'eau
courante, à l'établissement de barrages, de lignes à
grandes vitesse, le développement du territoire a connu, après la
deuxième guerre mondiale, une recrudescence des projets
d'aménagement frappés du sceau de l'intérêt
général. Intérêt général, semble-t-il,
de plus en plus discuté et critiqué, notamment par de nombreuses
associations environnementales (c'est le cas du projet d'aéroport
à Notre-Dame des Landes aujourd'hui), d'autant plus critiqué que,
localement, le mot intérêt est souvent un non-sens, quand il ne
l'est pas, de surcroît, à échelle plus large. La prise en
compte de la voix locale devient donc une obligation. Et nombre d'études
(géographiques en particulier) de s'attacher à ce dialogue entre
aménageurs et aménagés. On cherche la force
décisionnelle des habitants dans le consensus, la concertation [Mermet
& Berlan-Darqué, 2009] mais c'est encore, à mon sens, une
peur de certains auteurs d'entrer dans la démocratie et
reconnaître une légitimité à un projet
d'aménagement qu'on cherche, de toute façon, à
réaliser, et dont les arguments principaux sont des retombées
économiques. Retombées qui ne riment pas particulièrement
avec qualité de vie de la population concernée, surtout
lorsqu'elles ne la concernent pas. Un ouvrage comme Ecotourisme et
gouvernance participative [Lequin M, 2001] s'avère beaucoup plus
critique quand au potentiel démocratique des concertations et autres
consensus et nous montre que le pouvoir potentiel de la population n'est pas
forcément à lire autour d'une table lors d'un projet
d'aménagement.
Si je cite ces études autour de tels projets, c'est
qu'elles sont nombreuses et qu'elles constituent souvent l'ossature des
rencontres entre Pouvoir et Environnement, l'émergence de tensions
à propos de ce qu'il faut faire d'un espace. Mais, il n'y pas à
proprement parler de projet d'aménagement en cours sur mon lieu
d'étude et ce ne sont pas les débats autour d'un projet que je
compte autopsier. Ces débats, qui existent ailleurs, pourront simplement
me servir d'outils de comparaison avec mon cas : le plateau de Millevaches.
Comment une institution donne un droit de décision à la
population sur la constitution de son environnement m'intéresse moins
que les façons par lesquelles, au quotidien, les habitants pourraient
revendiquer le choix de leur environnement.
13
Cela m'amène, magnétiquement, à
considérer l'environnement comme un espace vécu. Les travaux de
l'école de Berkeley et de Carl Sauer, refusant le déterminisme
géographique, considéraient déjà un espace (espace
souvent urbain par ailleurs) comme un lieu de vie et d'interactions. Les
activités culturelles sont alors reconnues comme ayant une influence sur
le paysage, l'organisation de l'espace. Ceci amène Carl Sauer à
réfléchir à l'éthique de cette « mise en
valeur » de l'espace sociétal [Sauer, 1956] et à une
réflexion politique et culturelle de l'écologie. Avec l'apport
d'une dimension psychologique, Armand Frémont va formaliser la
région comme espace vécu [Frémont, 1999] ainsi que
ruraliser les jeux d'acteurs et l'influence des échanges culturels. La
combinaison régionale est pour lui un ensemble
(écologie-économie-population-paysage) et il sera davantage
question d'étudier les relations entre les composantes de l'espace
plutôt que les composantes elles-mêmes. Si on conçoit
l'espace comme vécu, on s'occupe alors de la manière dont les
hommes évoluent dans cet espace, la manière dont ils
l'intériorisent, le perçoivent, la manière dont ils font
« leur » un environnement. Cette appropriation sensitive des hommes
est aussi le sujet d'étude d'Yves Lüginbuhl chez lequel on peut
dénoter le souci que l'agencement du paysage soit affaire de
démocratie locale puisque les impacts environnementaux concerneront
directement la population locale [Lüginbuhl, 1981]. Armand Frémont
présentera aussi les révolutions sociales comme
évènements permettant de rendre l'espace vécu.
Chez ce dernier, le monde sera abordé par
sphères de connaissance : le départ de l'étude est
l'habitant. Si ce ne peut être tout à fait celui de ma recherche,
puisque nous commençons, quoiqu'on veuille, de notre point de vue
extérieur et subjectif, avec d'emblée quelques
préjugés, l'habitant est toutefois le départ de la
réflexion de l'espace. Ce dernier étant compris comme « les
zones d'impact d'une population ».
Evidemment, cette connaissance du monde se tisse à
diverses échelles. Frémont avance que la région, espace
« intermédiaire entre les lieux de l'immédiate
quotidienneté et les territoires les plus lointains » est
l'espace le plus intériorisé des hommes. Et le pouvoir qu'aurait
la population pourrait se diffuser au travers de ces diverses échelles.
Il me semble que mon échelle d'étude, le plateau de Millevaches,
soit inférieure à la région de Frémont qui est
organisée par le maillage des grandes villes. Il m'aurait fallu
davantage étudier les déplacements vers les préfectures,
vers Limoges, inclure ce maillage dans mon champ d'études pour obtenir
cet espace vécu. Pour obtenir davantage de précisions sur les
déclinaisons, par la population, du Pouvoir, pour pouvoir sillonner
raisonnablement le terrain pendant deux à trois mois et l'aborder de
façon plus complète, il me fallait concentrer sur une zone moins
étendue. D'autant moins étendue que les notions que j'ai choisi
d'aborder :
14
l'environnement et le pouvoir, sont suffisamment vastes pour
ne pas ajouter à leurs déclinaisons de trop grandes
disparités intra-régionale.
Il n'empêche que le plateau de Millevaches ne se pense
pas comme rattaché à des grandes villes mais comme une
entité parsemée de villages, comme un centre qui ne serait pas un
point mais un plan, comme un tout sans capitale, bien qu'entouré de
petites villes. Ce fait n'est pas mon seul point de vue (ou celui d'habitants
qui voudraient rejeter la ville), il est également souligné par
Agnès Bonnaud dans sa thèse [Bonnaud, 1998]. Pour moi, il peut
donc tout à fait être un espace vécu au sens d'Armand
Frémont.
Sur le plateau de Millevaches (si l'on consulte le catalogue
SUDOC), on trouve surtout des thèses de géographie physique qui
étudient la composition du sol et du sous-sol, le granit, mais aussi
quelques études, assez récentes, qui s'occupent de
problème sociétaux, notamment à travers la place de la
forêt dans le paysage. Parfois le penchant et le souci se tourne
davantage vers le développement économique (dans Forêt
et société de la montagne limousine [Beynel, 1998]) et la
forêt est surtout considérée comme ressource, parfois cet
espace boisé est davantage compris comme un lieu de vie que la logique
industrielle peut défigurer (Le paysage, vecteur d'hybridation
économique et culturelle d'un territoire [Terracol, 2009])
ou comme espace perçu différemment selon les populations
-extérieures et locales, entre autres- (Perception et
appréciation de l'espace forestier Le cas du plateau de Millevaches
[Nasr, 2005]). Bien qu'elles se concentrent énormément sur
la forêt, ces études sont les principaux travaux universitaires
sur lesquels j'ai pu m'appuyer, et dont j'ai pu me servir pour compléter
mes investigations.
Le plateau de Millevaches est pourtant loin d'être
sous-étudié puisque les associations présentes
reçoivent souvent du monde, journalistes, étudiants ou
laboratoires universitaires1. Mais les résultats de ces
études ne font pas forcément l'objet d'un
référencement ou d'une publication accessible. Si les
thèses que j'ai citées étaient bien
référencées, certaines pouvaient se consulter uniquement
sur place (l'une d'elles m'a été envoyée par l'auteur par
la poste), ce qui, à mon sens, et quand on veut parler de pouvoir et de
démocratie, représente une certaine confiscation des travaux
scientifiques et pose le problème de leur accès... et de leur
utilité ? On peut espérer que le développement du
numérique puisse y répondre en partie.
Les journaux et autres médias locaux constitueront
néanmoins de bonnes sources d'informations qui, elles aussi, pourront
compléter le travail d'enquête et fournir des points de
1 Par exemple par le GEOLAB de Limoges, voir article
(pp. 12-13) sur IPNS n°37 en annexe 1. Et la page 14 par-dessus le
marché n'est pas du luxe !
15
vue qui dépasseront le cadre forestier. Agnès
Bonnaud les citera par exemple comme source de première main dans sa
méthodologie.
Méthodologie et plan
Sur Millevaches, les chercheuses qui décrivent le plus
leur méthodologie sont Agnès Bonnaud et Tania Nasr. Toutes deux
proposent des études qualitatives parce que leur sujet s'y prête
mais aussi par goût personnel et ce sera aussi mon approche. Elles ne
croient pas à la possibilité de chiffrer les résultats de
leurs rencontres ni à la pertinence de statistiques obtenues et
prétendument objectives. Les conclusions codifiées d'une
étude locale sur la gentrification par le Geolab de Limoges ont
été critiquées en ce sens dans le journal
local1. En particulier, parce que les sondés étaient
sélectionnés et que cette sélection aurait dû
apparaître comme une limite au regard de laquelle l'étude aurait
pu se tourner. Selon le journal, les présupposés de
l'étude, et donc le côté subjectif de l'approche, avaient
été éludés. Je tâcherai d'afficher toute la
partialité de mon jugement et toutes les limites de mon approche.
Agnès Bonnaud avait procédé par
entretiens semi-directifs, et Tania Nasr par entretiens, ou plutôt par
rencontres, non directives, sans afficher son but et laissant les gens parler.
En ce qui concerne l'approche de la population, même si celle de Tania
Nasr me plaît, j'ai prévu d'avance une série de questions
à aborder avec chaque personne rencontrée mais sans m'obliger
à ranger les propos recueillis dans une grille directive. Plutôt
que de construire un échantillon représentatif de la population,
j'essaie d'obtenir des discours variés, pouvant provenir d'un panel
différencié d'habitants (élus, membres associatifs,
retraités, chasseurs, pêcheurs, agriculteurs,...) et d'analyser
les messages obtenus. Evidemment, il y a des personnes qui sont plus faciles
à rencontrer que d'autres (les membres associatifs par exemple) ne
serait-ce que parce qu'ils sont installés dans un local tandis qu'un
agriculteur, par exemple, sera souvent aux champs. Si j'avais du faire un
sondage (ou un questionnaire représentatif), il est probable que
j'aurais eu toutes les difficultés à obtenir en un ou deux mois
un échantillon significatif et représentatif de la population
locale. Sans parler que ne vous répondent les seuls individus qui le
désirent et que certains sont plus loquaces que d'autres. Et que les
propos qui vous font le plus réfléchir, qui peuvent faire sauter
un peu votre étude, la faire dévier, l'enrichir, ne se rangent
pas forcément dans une grille et ne se résument pas. Il est
même possible que je ne sache comment les utiliser dans l'étude et
que j'omette de les
1 IPNS n°37, p. 14. (annexe 1) A lire sans
détours.
16
présenter ! Après tout, si la recherche ne peut
se passer de la vie, le vécu peut se passer de la recherche...
De plus, je peux déjà m'appuyer sur nombre de
données statistiques, présentes via le
référencement (de l'INSEE) ou obtenues dans certains ouvrages
(par exemple par la consultation de cadastres), dans celui de Christian Beynel
en particulier. Bien que certaines données puissent dater de dix ans (ce
qui est encore raisonnablement jeune), je préfère les utiliser et
me concentrer ensuite sur mes propres observations et entretiens plutôt
que de chercher à les réactualiser ou à les
compléter par certains détails. Les statistiques de l'INSEE
fournissent un abordage complet de la population qui me permettra certainement
de la mieux caractériser que si je voulais fabriquer mon propre
catalogue. Il me semble que les données chiffrées sont
suffisamment présentes sans que j'aie besoin de vouloir construire les
miennes à tout prix.
Les personnes rencontrées relèveront à la
fois de la sélection et du hasard. La sélection pour m'assurer
d'avoir des personnes de plusieurs horizons, d'associations me semblant
s'enquérir de l'expression locale (parce que j'ai supposé que
l'action culturelle n'était pas neutre quant au pouvoir) , et le hasard
pour me permettre d'être surpris et de recueillir la parole de n'importe
quel habitant croisé. S'il y a une grande utilité à avoir
prévu cela ? Je ne sais pas. D'ailleurs, je m'évertuerai à
mettre à mal la prévision autant que possible, en frappant aux
portes (y compris d'associations) sans spécialement de rendez-vous mais
parce que cela se présente en parcourant le territoire. Il se trouve que
je passe par là, voyez-vous, je me suis arrêté pour vous
dire bonjour. Cela peut autant laisser les personnes sans grand-chose à
vous dire que leur permettre de s'exprimer sans se sentir le besoin d'une
préparation à l'entretien ou d'un calcul. Battre la campagne et
s'arrêter devant un étang pour casser la croûte, c'est
probablement toute la base scientifique de mes propres recherches. Je pense que
la méthodologie ne se construit pas spécialement dans la
planification de son programme mais surtout dans l'organisation des
observations, dans les projections que l'on peut tirer de certaines
observations. La méthode d'Andrew Wiles pour résoudre le
théorème de Fermat ne semble avoir été que
l'acharnement. S'il est un protocole qui serait soi-disant la marque de la
science avec ses piliers : hypothèse, expérience, conclusion, il
est davantage dans la construction mentale du discours rendu, dans
l'organisation de sa pensée que dans la manière de trouver des
résultats. Je me garde donc bien de croire complètement à
ma méthodologie. Elle est aussi la norme que la science attend.
Dans la mesure du possible, j'essaierai de joindre le regard
de la population, des personnes interrogées sur mon propre discours
à ce dernier. D'une part parce que mon étude
17
s'adresse à elles et que si mon souci est celui que la
population puisse décider de son environnement, je me dois de relater
mon activité, de ne pas simplement repartir avec mon paquet sous le bras
comme si les interrogés vivaient dans un zoo d'étude, d'autre
part parce que cette réflexivité peut corriger ou
compléter mes propos, ou leur apporter une approche plus sensible. Bien
sûr, on peut continuer longtemps dans la réflexivité avec
à nouveau mon regard sur leur propos et cætera et dans le rendu
d'un écrit, la réflexivité aura une limite temporelle.
Elle aura aussi celui du bon-vouloir des personnes à vouloir faire des
commentaires. Je n'aurai donc pas tout le monde pour commenter, ni certainement
le temps de chercher suffisamment de monde, puisque cela aura
nécessité que je développe d'abord un discours (donc que
j'aie vu au préalable beaucoup de personnes) pour pouvoir le
présenter.
Il y a aussi une réflexivité induite qui se
tisse entre moi et les personnes que je rencontre du simple fait de ma
présence, parce que je dis quel est le sujet de mon étude, et que
je croise les personnes plusieurs fois. Mon comportement comme le leur se
trouve modifié par nos rencontres, mes questions comme leurs
réponses, et leurs questions comme mes réponses. Puisque quand on
me demande « où j'en suis », j'essaie de parler de mon plan.
Dans le discours que je veux donner de la population, il y a aussi, sous une
forme implicite ma propre voix, et peut-être déjà mes
propres préjugés.
De plus, j'utilise le discours des médias locaux et je
suis potentiellement orienté par eux, ils sont une source de
données, une source d'influence, d'autant que je peux les
apprécier et qu'eux aussi intègrent mon étude dans leur
discours1. Cela peut rendre mes propos autant intérieur
qu'extérieur au terrain, c'est non seulement l'environnement que la
population vit, mais l'environnement que je vis et que je change
potentiellement à mes propres yeux du fait de mon regard sur lui. La
catégorisation de la méthode n'en est que plus difficile. Mais
c'est parce que j'ai choisi l'erreur de me départir de
l'appréhension objective plutôt que celle de me départir de
l'appréhension subjective. Ou bien je n'ai pas su trouver le beurre et
l'argent du beurre sur la même table. Ce qui arrive pourtant puisqu'il
nous faut être raisonnables et exiger l'impossible. Dans ce cas la
possession, du beurre comme de son argent, devient bien
désuète...
Si j'ai pu citer, comme sources d'informations les personnes
et les écrits (locaux en particulier), c'est-à-dire ce qui
relève plus ou moins de la parole, du message, et s'ils forment
probablement le coeur de mon étude, je ne me concentrerai pas uniquement
sur leur décryptage. Les réalisations humaines, ou ce qui
peut-être compris comme le résultat des
1 Ainsi j'ai pu présenter mes études
et proposer un article dans IPNS. Je fais momentanément partie de mon
sujet d'étude.
18
actions, tout ce qui peut aussi servir à mesurer une
sorte de pouvoir local, sera intégré dans mes sources. Cela sera
surtout le résultat de l'observation des lieux et de la vie dans les
lieux. Le paysage, par sa lecture, fournit des informations, il donne des
indications sur certaines moeurs, une certaine façon de vivre, une
façon dont les hommes se le sont (ou non) approprié. Cette
lecture peut se faire dans la globalité comme dans les détails,
dans le résultat de la composition générale du paysage :
la sensation d'un environnement, ou bien dans certains indices trouvés
chacun à part et qui permettent de déduire certaines formes de
pouvoir.
L'immersion dans l'environnement, son parcours est souvent le
premier moyen dont le visiteur appréhende le lieu (et c'est pour cela
que je choisirai de commencer mon propos par ce parcours), c'est lui qui m'a
fourni mes premières impressions du plateau de Millevaches, bien avant
que je rencontre les habitants. Ayant souvent traversé les lieux et les
connaissant avant que de vouloir faire ressortir d'eux une démonstration
particulière, il est fort possible que je perde de vue ce qui fait leur
originalité, les particularités qu'on pourrait trouver sur le
Plateau, et lorsque je m'attache à certains détails, que je
retienne surtout ceux qui tranchent avec le reste de la région (au sens
large : la Creuse, la Corrèze, le Massif Central). Je m'attacherai
à certains points de cassure dans le paysage, à certains
éléments qui changent la statique, ou pourrait-on dire : à
certains éléments dynamiques. Parce qu'ils me surprennent et
parce qu'ils sont la note de certaines actions, la marque d'une culture, ils
sont une modernité.
Je complèterai ma propre appréhension, mes
propres préjugés par ceux d'autres personnes qui n'auraient pas
forcément l'envie d'écrire un mémoire sur le Plateau de
Millevaches et qui voient potentiellement les lieux d'un oeil différent.
Mais que je ne me mente pas trop : c'est bien de ma petite envie que je vais
partir, c'est elle que je vais retenir en priorité, piètre vision
individualiste, vision tempérée par le fait que l'individu se
dissout toujours dans son environnement et qu'il n'est probablement plus
à chercher sur sa peau.
Si des chemins empruntés au hasard me feront bien
sûr traverser des lieux, mes trajets relèveront surtout de
l'utilisation des cartes IGN, ne serait-ce que pour repérer les hameaux,
les tourbières, les sommets. La signalisation me poussera aussi dans
certaines directions plutôt que dans d'autres (parce qu'une ferme est
mentionnée sur un panneau, une chapelle, un point de vue...) : ce
dernier chemin pris (contrairement au pointage sur carte) est
déjà dépendant d'un discours qu'on veut servir par
panneaux (à l'habitant, au touriste) et donc d'une appropriation de
l'espace. Tout comme les sentiers de randonnées, balisés, que
j'ai empruntés (avant et pendant l'étude) reflètent
déjà une orientation. Le choix d'une destination d'après
la carte IGN peut donc être soumise à davantage de hasard que la
libre promenade (dont la curiosité se trouve potentiellement
guidée) et la complète de manière nécessaire. Moins
cadré
19
(par les explications d'un prospectus, par exemple), je suis
davantage porté à faire attention à ce qui m'intrigue
qu'à ce que j'attends. Et il n'est pas si simple de se départir
d'une valorisation de l'environnement mise en place ou par les habitants, ou
par des admirateurs (ou dépréciateurs d'ailleurs)
extérieurs.
Je me déplacerai aussi de trois façons
différentes : à pied, en vélo, en voiture. Et selon le
mode de transport choisi, le regard sur l'environnement n'est pas
forcément le même, l'échelle sensible n'est pas la
même. Le vécu est différent.
Comme je l'ai signalé, la progression (vécue) de
l'étude commence d'abord par l'appréhension de l'environnement.
C'est donc ainsi que je débuterai mon plan. Une description des lieux,
mais relative à la recherche de modes de pouvoir, me semble aussi
préférable pour comprendre la suite du discours. Car certains
propos sont relatifs à l'environnement actuel et se comprennent mieux,
à mon sens, si on a déjà une idée du territoire
dans lequel on évolue. J'ai dit plus haut que le pouvoir de la
population partait des personnes, que c'était elles qui
appréhendaient l'environnement, leur vision qui en formait les limites ;
une logique aurait très bien pu me conduire à présenter
d'abord leurs discours pour ensuite me porter sur sa matérialisation.
Mais j'ai choisi la logique avec laquelle j'aborde moi-même
l'environnement du Plateau. Parce que les dérivations du pouvoir
(perçu et vécu) sont mon objectif, il me paraît, dans le
déroulement de mes propos, plus indiqué de terminer avec elles.
Certes, l'ordre basique lieux-acteurs-concepts de mon plan est un peu
rétrograde, surtout pour qui n'est pas un grand partisan de la norme ni
ne reconnaît son existence, mais je gage que l'originalité peut se
trouver parfois dans l'utilisation du classique. En tout cas, cet ordre me
paraît un cheminement assez ordonné et permet de présenter
les éléments du dossier de manière lisible pour la
compréhension.
La première partie sera donc consacrée aux
marqueurs spatiaux du pouvoir, celui qui pourrait consister en une force de
domination sur la population et celui qui relève d'une action de la
population. Il n'est pas inutile d'introduire un pouvoir sur l'environnement
qui serait extérieur à la population pour comprendre celui qui
vient des habitants. Cette première partie peut donc constituer une
explicitation de la notion d'environnement, en explorer (par le biais des
marqueurs spatiaux) les divers volets : paysage, nature, patrimoine,
culture.
En regard, la seconde partie s'attachera, quant à elle,
à décliner la notion de « pouvoir de la population ».
Elle sera composée des caractéristiques des différents
acteurs parmi la population, de leurs relations, de leur perception du pouvoir
et de leurs formes d'actions.
20
Dans la dernière, je replacerai mon étude par
rapport à d'autres cas et par rapport à certains écrits
sur le sujet (dont plusieurs ont été déjà
cités). Cela pour poser d'autres limites à mon cas
d'études et aux leviers de pouvoir que j'aurais pu présenter dans
un contexte particulier. Ce sera aussi pour moi l'occasion de placer ma
position parmi d'autres pour trouver une conclusion à cette
étude.
Deux-mois et demi. De fin février à fin avril
deux mille douze: c'est la période où je serai sur les lieux. Ce
n'est pas tout à fait innocent. Outre le dernier immobilisme de l'hiver,
le réveil des bourgeons avec celui de la couleur sur les joues des
jeunes filles, des jeux de tous ordres qui se cherchent, c'est surtout une
période de faible tourisme. Ou plutôt d'un retour estival qui ne
s'est pas encore accompli. Le tourisme n'est pas une grande industrie ici. Mais
je pense éviter les quelques perturbations qui lui sont dues.
J'évite d'être davantage considéré comme touriste
que je ne peux l'être dans mon département d'enfance.
L'espace sera celui de ceux qui restent toute l'année.
Ou celui de ceux qui ne sont plus là. Les deux seront visibles : je
parle au premier et le second me répond. Et on peut encore dire, que par
la manipulation dont l'auteur peut user, je vais d'abord faire répondre
le second, l'espace de ceux qui ne sont plus (là) pour écrire
l'écho des voix qui m'ont parlé, et parmi ces voix, la mienne,
quelque part, perdu dans le flou des autres et dont cette perte n'est qu'une
fierté. De plus et toujours de trop.
Dans le drap blanc qu'étale la neige sur le paysage, on
aimerait effacer ses empreintes et marcher toujours sans chemin. Ne rien voir,
aucune indication, surtout ne pas être coupable d'avoir attenté
à la beauté, cette harmonie des cristaux, comme on serait
coupable de ne pas savoir répondre à regard intriguant. Et pour
connaître la douceur du crime, il faut marcher avant que tout ne fonde.
Alors à ce rythme, pourquoi ne pas courir ? Et se couvrir pour
échapper aux languissants effluves de la douceur dans lesquels se
confondent rêves et insomnies, chemin et cheminant. On va vous dire ce
qu'il vous reste quand vous aurez atteint et touché cet arbre qui est
votre but.
Et celle que vous voulez, elle s'engage.
21
I - Les marqueurs spatiaux du
pouvoir
Avant de faire un tour d'observation des
éléments physiques de l'environnement, je vais déjà
situer les lieux étudiés et dire de quelle façon je les ai
abordés. Le territoire abordé est d'abord un territoire
nommé, où je peux me rendre en demandant le nom « Plateau de
Millevaches » et c'est aussi un territoire que, comme d'autres,
j'appréhende, un nom qui possède ses mythes vécus.
1 - Le territoire abordé
1.1 - Un territoire nommé
Si le mot « Millevaches » a une consonance bovine,
l'hypothèse la plus avancée est que le terme signifierait «
mille sources », de par son origine celte batz (puis
vaccas) se rapportant à cette eau qui jaillit. D'autres, en
invoquant Melo vacua (moins probable), le rapportent à un lieu
élevé et vide. Toujours est-il que le plateau de Millevaches est
actuellement très peu peuplé (moins de 10
habitants/km2) et que moult rivières y prennent leurs sources
(Vienne, Vézère, Gartempe, Corrèze, Creuse, Luzège,
...) et alimentent les bassins de la Loire et de la Dordogne.
Le plateau de Millevaches n'a évidemment pas de
frontières et les délimitations varient selon l'entendement des
individus. Ce n'est pas un territoire administratif et ses contours sont assez
flous [Bonnaud, 1998] ; il se situe néanmoins au coeur du Limousin dont
c'est le lieu le plus élevé, avec une dominante en
Corrèze, une partie (la plus sujette à interprétations
peut-être) dans le sud de la Creuse, et une petite extension en
Haute-Vienne.
Il peut être identifié, aujourd'hui, à
l'entité qui a pris son nom en 2005 : le Parc Naturel Régional
(PNR) de Millevaches. Il regroupe 113 communes (aujourd'hui) et dépasse
légèrement, en superficie, la moitié d'un
département (=0.56 fois la Creuse). C'est une délimitation large
du plateau. Elle regroupe néanmoins des communes aux
caractéristiques semblables : faible démographie, altitude
relative, sol plutôt pauvre. C'est un espace sans grande ville. Les trois
principales du PNR sont Felletin (Creuse, 1855 hab.), Eymoutiers (Haute-Vienne,
2033 hab.) et Meymac (Corrèze, 2579 hab.)1, Meymac
n'étant que la 33ème ville du Limousin. Ces trois
cités se situent aux abords du PNR et ne sont absolument pas centrales
au Plateau.
1 Chiffres INSEE 2009
22
L'entité « Plateau de Millevaches » dans la
bouche des habitants correspondrait davantage au découpage de la
Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du
Logement (DREAL) du Limousin (carte 4 parmi les cartes de situation),
c'est-à-dire la zone plane qui passe les 800 mètres d'altitude.
Mais cette dénomination orale peut s'élargir et comprendre
facilement le plateau de Gentioux, voire celui de La Courtine. Une étude
en cours du Parc Naturel Régional tend, quant à elle, à
découper le Parc en unités territoriales vécues, plus
petites (donc plus nombreuses) que celles de la DREAL.
Comment, pour ma part, je me rends compte d'arriver sur le
Plateau ? La route commence à s'élever, naissent les premiers
virons, et la neige donne le ton blanchi à la voie pendant l'hiver. Fin
février, la présence de neige au bord des routes pouvait
être un bon indicateur : c'était la limite ressentie du Plateau.
Ensuite, il y a tous les marqueurs spatiaux (ceux qui seront décrits par
la suite) qui confirmeront cette impression. Il y a peut-être un coeur
géophysique du Plateau, entre Bugeat, Peyrelevade et évidemment
la commune de Millevaches mais les déplacements des personnes, les
discours, obligent à prendre en compte une zone plus large qui tient
davantage aux limites du PNR.
C'est cette région que je vais considérer pour
mon étude. Mais elle reste vaste, difficile à appréhender
complètement pour mes trois petits mois d'investigations et j'ai donc
choisi de centrer mon étude sur quelques communes témoins
situées à la limite des trois départements1 et
qui peuvent être identifiées comme le coeur culturel du plateau de
Millevaches. Ces communes sont celles de Gentioux-Pigerolles, Faux-la-Montagne,
La Villedieu, Royère-de-Vassivière en Creuse, Tarnac et
Peyrelevade en Corrèze, Nedde et Rempnat en Haute-Vienne (carte 1).
Nombre d'entre elles se rattacheraient physiquement davantage au plateau de
Gentioux qu'au plateau de Millevaches. Quand je demandais à des
habitants de Gentioux ou de Rempnat s'ils se trouvaient sur le Plateau de
Millevaches, ils répondaient « pas vraiment ». Le plateau de
Millevaches, c'était plus haut, là où le maraîchage
devient difficile. Mais je n'ai pas constaté d'existence orale au
plateau de Gentioux, seulement au « Plateau » tout court qui sans
l'adjonction de « Millevaches » peut permettre une identité
plus large et, peut-être, plus culturelle que physique.
J'ai choisi ces communes pour leur activité associative
reconnue. Faux-la-Montagne, en particulier est le siège de plusieurs
mouvements alternatifs à la société de consommation. Un
homme à Royère, m'a néanmoins dit que tout avait
commencé sur cette dernière commune avant de se déplacer
vers le sud : Faux, Gentioux ou Peyrelevade. « Tout » cela
1 Et aussi à la croisée des anciens
parlers : auvergnats, bas-limousin, haut-limousin [Boudy, Caunet, Vignaud,
2009] p.18.
23
signifie le dynamisme, des groupes de personnes avec la
volonté pratique de sortir de la société de consommation.
Ce pouvait être des soixante-huitards, mais pas seulement. Il y a donc
une dénomination « Plateau » qui tient compte de la
population, de son activité culturelle.
Mais que je ne me mente pas, j'ai surtout choisi ces communes
parce que je les ai déjà traversées, ne serait-ce que pour
me rendre chez mon oncle, parce que j'en avais déjà un
aperçu, parce que je les connaissais déjà de
manière lointaine et légèrement imagée. Ce sont des
préjugés, une curiosité orientée, qui m'ont
dirigé vers elles.
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