Le pouvoir de la population sur son environnement! Cas du Plateau de Millevaches( Télécharger le fichier original )par Julien Dupoux Université Paris Sorbonne IV - Master 2 2012 |
1.3 - Un territoire aménagéSi certains vont dire qu'il s'agit d'un « coin perdu », voire hostile à l'activité humaine, il n'en reste pas moins aménagé pour autant. Puisque je parle de pouvoir des habitants sur leur environnement, un encart dans la façon dont les hommes ont pu faire de cet environnement un habitat ne me semble pas inutile. Avant de prétendre décider de son environnement, il faut ne pas le subir. Ainsi, l'hiver on peut voir certains piquets rouges d'au moins deux mètres sur le bord des routes pour continuer à être capable de circuler pendant l'hiver, pour ne pas perdre le tracé des routes. Le citadin peut avoir la peur d'être incapable d'agir face à l'isolement, de seulement subir le climat mais certains indices rappellent qu'ici aussi, s'il le veut, l'homme peut aménager son environnement en vue de ses besoins. Cette adaptation peut parfois aller jusqu'à une démonstration de domination de l'homme sur le climat, montrant qu'il peut tout braver, en arrosant un Las Vegas par exemple ou des champs de maïs dans le désert. Si ce total affranchissement à l'environnement peut faire retomber l'Homme en position de soumission et dénote, par cette guerre contre le climat, davantage une façon de le subir que de l'habiter (puisqu'il faut lutter contre), il n'en reste pas moins qu'il donne un ordre à son espace en l'aménageant. Et qu'il utilise son environnement. On trouve aussi, sur le Plateau, de nombreux lacs de barrages qui montrent que les rivières sont utilisées (dans un cadre dépassant d'ailleurs le territoire local) ainsi que moult retenues d'eau ou étangs qui sont les témoins d'aménagement pouvant être plus anciens. Les aménagements électriques peuvent prendre la forme des lignes à très haute tension, perchées sur de monstrueux pylônes et ouvrant de véritables voies au travers des bois, sur les collines. Plus récemment, six éoliennes ont été montées à Neuvialle (Commune de Peyrelevade). Les maires des communes, quand on leur parle de pouvoir sur l'environnement, citent d'ailleurs souvent leurs actions quant à la réfection des routes, le goudronnage de certains chemins menant à des hameaux, l'acheminement et l'épuration des eaux. « C'est lui qui a fait goudronner la route et venir l'électricité au village » dit un habitant de l'ancien maire de Tarnac. Certaines pratiques paysannes, ne serait-ce que le pâturage des landes par les troupeaux, reflètent, sinon la volonté d'une vie plus confortable, le souci d'accorder son environnement à ses pratiques. Toutes ces actions peuvent être vues comme des nécessités 27 pour habiter son espace avec une aise relative, c'est-à-dire pour ne pas subir la géographie. Avec les pratiques agricoles, on approche de l'écologie car si l'on peut considérer comme nécessaires certaines pratiques, elles peuvent n'être ou ne devenir que des choix. Le pouvoir de décision sur son espace, de la façon dont on veut l'aménager nous montre qu'un environnement physique est aussi un environnement culturel. A une échelle dépassant celle de la ferme, on peut appeler cela de la politique car l'espace devient une construction commune que peut refléter -ou non- les choix de la population, qui peut être marqué par les différentes formes des volontés et des pouvoirs humains. C'est donc maintenant au regard des rapports de pouvoir que je vais lire et décrire l'espace du plateau de Millevaches. 2 - L'environnement : indicateur des pouvoirs Par l'observation du paysage, je peux chercher quel est le pouvoir de la population sur l'environnement, compléter ou évincer mes préjugés et arriver à des premières déductions. Arrivant sur les lieux, comme un touriste, mon attention se porte sur la composition physique du paysage, sur les constructions humaines (les villages) et sur les activités humaines qui s'y déroulent. Que demande-t-on à un office du tourisme : s'il y a de beaux endroits à visiter, des beaux villages, quelques fêtes ? Mais sans trop de conseils, visitons. 2.1- La composition du paysage C'est un premier point qui retiendra mon attention car sujet à polémiques, discours oraux comme écrits. Peinture 1 : Vue de Rempnat, huile sur toile, Maryse Dupont 28 En voiture, on s'enfonce. La route paraît noire à cause des résineux, serrés sur les chaussées. Peu de points de vue me sont offert, surtout si je conduis et que je me concentre sur les virages. Seules les pelouses blanches de l'hiver peuvent donner l'impression de sortir de l'ombre. Les habitants n'hésitent pas à condamner les sapins qui permettent au gel de tenir sur la route. Sur les espaces plans, quelques ouvertures sur les landes se dégagent mais on n'a que peu de temps pour les apprécier ; ce n'est pas la même chose en vélo. Je me plais à ralentir devant les champs, les tourbières, je me rends davantage compte de la diversité des parcelles et des herbes dans ces parcelles, de l'espace dont moutons ou vaches limousines disposent pour pâturer. Le temps passé au travers des espaces ouverts semble plus important que celui mis à trouer les plantations de conifères. Et puis, dans les montées boisées, je me concentre sur l'effort ; les descentes passent vite. Le paysage m'a certainement paru plus beau sur une selle, peut-être à cause du vent dans mon dos. A pied, le parcours est plus lent. Les bois sont longs à franchir et on a parfois hâte d'en sortir pour découvrir un peu d'horizon. Il faut sélectionner ses sentiers si on veut avoir de la vue ; comme le font certains chemins balisés, potentiellement touristiques. Encore que ces derniers restent parfois bien enfermés dans les sapins. Au moins, fait-on attention aux détails : aux espèces de crocus qui sortent, au type de clôtures, aux tracés sinueux des rivières au fond des tourbières, à la nature des ponts et surtout à l'état des chemins. Cet état correspond rarement à celui des cartes IGN1 au 1/25000ème pour cause que nombre de chemins signalés se sont enfrichés, que d'autres sont devenues des pistes goudronnées et que certains ont été ouverts (donc n'existent pas sur les cartes) car ils appartiennent à des itinéraires balisés. Le déplacement sur le Plateau de Millevaches a souvent provoqué chez moi l'attente des espaces ouverts, attente que vous deviniez peu, stationnés que vous étiez devant un cadre (Tableau 1) où la vue est dégagée et où la contemplation permet à l'intellect de magnifier la nature, de croire peut-être au règne du sauvage. Sur la Vue de Rempnat, les résineux ne sont pourtant pas sans apparaître sur tout l'arrière plan et dénotent, comme le maintien des prés ou de certains chemins, des actions et des volontés humaines. Et sûrement des luttes de pouvoir. Pour dépasser ma simple perception quand à l'appréhension générale du paysage, je vais m'appuyer sur des visions cartographiques, issues de photographies aériennes. L'occupation des sols (carte 5) permet d'avoir une idée des principaux éléments du plateau de Millevaches. Je l'ai divisé en trois grands types : résineux, feuillus, espaces ouverts. On voit 1 Toutes mes cartes affichent une révision en 2000 (mais on peut se demander si certaines tracés ne datent pas encore de l'année d'édition : 1964). De par le taux de broussailles et arbres dans certains chemins, la non-mention de certaines parcelles forestières, on peut certifier que la révision de 2000 est très incomplète. Ce qui sera à prendre en compte pour relativiser les résultats du prochain comptage.
30 que, dans le Limousin, le PNR reste un espace fortement boisé, qui concentre presque tous les résineux régionaux. On distingue cependant une zone centrale au PNR en blanc sur la carte 5 : ce sont les hautes tourbières du Plateau et les espaces de landes sèches qui arrivent à percer un peu depuis une vue aérienne à grande échelle. L'échelle communale (carte 6) confirme le fort enrésinement mais offre une réalité plus morcelée. Si certains massifs continus de conifères existent, on voit aussi beaucoup de petites parcelles de bois et des landes présentes en proportions diverses selon les communes (Peyrelevade semble en posséder beaucoup tandis que le nord de la commune de Gentioux et la commune de Royère affichent force conifères). Notons que, selon Françoise Burel et Jaques Baudry, la fragmentation pour les bois est un des trois facteurs importants de biodiversité car permettant aux espèces généralistes (par exemple le blaireau) comme aux espèces spécialistes à un type d'élément (les bosquets pour la martre ou l'écureuil) de trouver leur place [Baudry, Burel, 1999]. Les deux autres facteurs cités sont la connectivité des espaces (en particulier arborés), satisfaisante sur le Plateau en l'absence de grandes voies de circulation (Eymoutiers-Meymac et Felletin-Meymac sont les plus roulantes et les plus larges) et l'hétérogénéité du paysage. Cette dernière est supposable selon les vues aériennes mais les plantations résineuses offriront une autre réalité. On remarquera aussi sur la carte 6 de vastes étendues d'eau : ce sont les lacs de barrages. L'habitant du Plateau comme le touriste n'aura cependant pas recours à l'avion pour apprécier la composition globale du paysage. On cherche plutôt pour cela à se hisser sur les sommets, en particulier les plus centraux à la région (c'est le cas du mont Audouze, commune de Peyrelevade) ou les plus élevé (Mont Bessou, commune de Meymac, sommet du Limousin avec ses 976 mètres d'altitude). Or les deux monts que je viens de citer n'offrent pas des points de vues extraordinaires (dessins 1 et 2). Le sommet du mont Audouze est réquisitionné pour un bâtiment militaire et tout le flanc nord est jonché de conifères, ce qui laisse à peine un horizon. Je me suis hissé sur la tour panoramique du mont Bessou, pensant qu'elle était destinée à dépasser les Douglas, mais son but n'est que d'atteindre le chiffre symbolique de 1000 mètres d'altitude et 50% du panorama reste masqué. Sur les angles de vue des deux monts, on remarque toutefois que les premiers plans sont dominés par les conifères, ce qui est de moins en moins net au fur et à mesure que l'on s'éloigne...et qu'on sort du plateau de Millevaches. Le paysage apparaît vallonné, composé de nombreuses buttes. Elles semblent, comme lorsqu'on se déplace à travers le plateau, fortement enrésinées. Dessin 1 : Panorama depuis le mont Bessou Dessin 2 : Panorama depuis le mont Audouze 31 32 Le comptage sur 4 cartes IGN1 confirme, sur une étendue plus grande, ces observations (tableau 1). Il a été effectué sur les sommets dépassant 800 mètres. Pour des sommets mitoyens, sur la même butte, le plus élevé a souvent été seul sélectionné.
Tableau 1 : Composition des sommets dépassant 800 mètres d'altitude J'avais séparé les groupes de cartes IGN, pensant que les landes pouvaient être plus nombreuses sur le nord Corrèze (Bugeat, Peyrelevade) qu'au sud Creuse (Royère, Gentioux) au vu des étendues de tourbières mais celles-ci restent cantonnées dans les lits de rivières quoique les pentes puissent être moins enrésinées. Dans tous les cas, les points de vue sont mangés par les bois, essentiellement des résineux (bien que la carte donne aussi une importante présence de feuillus côté corrézien ; les forêts étaient pourtant loin de me sembler mixtes). La vue d'ensemble du sommet, autrefois outil de défense stratégique, aujourd'hui source de méditation pour le promeneur, source de repérage des troupeaux pour le paysan, échappe à la population. Que les sommets, voire souvent les buttes entières (regardez le nombre de lignes de niveau boisées), soient majoritairement enrésinées n'est pas anodin quant aux oppositions de pouvoir. Le sommet est, sinon un lieu où l'on aime se rendre, un lieu où l'on aime emmener ses proches pour leur faire découvrir la région. C'est un choix paysager qui est déjà confisqué aux habitants du Plateau. De descendre d'échelle pour entrer dans les principaux milieux : fermés (bois) et ouverts (pré, landes, tourbières) va nous permettre d'affiner ces oppositions. 1 Cf note précédente 2 Ecart des lignes de niveau : 10 mètres. Les moyennes multipliées par 10 donnent une idée de la longueur de bois ou de landes sur la pente mais les buttes pouvant être de hauteur variable, elles valent surtout par leur comparaison. 33 Les forêts : essentiellement des plantations de résineux. Sur le Plateau, les bois de feuillus résultent beaucoup de la déprise agricole (abandon des parcelles) mais sont utilisés par les particuliers pour le chauffage. Nombre d'habitations comportent une cheminée. C'est un moyen encore économique de chauffage. Mais ces feuillus : hêtres, chênes et bouleaux pour l'essentiel, qui sont les colonisateurs adaptés, « naturels », du paysage sont peau de chagrin sur le Plateau. La carte du Limousin (carte 7) donnant la proportion de résineux dans l'espace boisé fait ressortir une zone à plus de 60%, voire 80% de résineux : le plateau de Millevaches. Carte 7 : Part des résineux dans l'espace boisé1 Les chiffres brut2 sur le PNR donnent 52% du territoire couvert de bois dont 56% de résineux (les périphéries du parc abaissant cette part) et, parmi eux, 38% sont des Douglas (Pseudostuga menziesi). Les Epicéas communs (Picea excelsa) et les Pins sylvestre (Pinus sylvestris) sont très présents également. Les plans de reboisement des montagnes datent de 1 Extraite de Le Limousin coté nature, Espaces naturels du Limousin, 2000. 2 Brochure du PNR : Forêt : essence (s) d'un enjeu, février 2012. 34 1860 et visaient, entre autres, à empêcher des crues en aval. Les résineux, en particulier, absorbent beaucoup d'eau. Mais la population paysanne, suffisamment nombreuse, s'était toujours opposée au boisement etcelui n'a pu s'opérer avant le milieu du vingtième siècle et l'exode rural massif. Les contestations des années 1970 (coupes ou mises à feu de jeunes plants, prégnantes sur la commune de La Villedieu) n'ont pas empêché l'enrésinement. La forêt, privée à 95%, cristallise aujourd'hui de nombreuses tensions et c'est pourquoi on retrouve plusieurs thèses qui lui sont consacrée. Pascal Terracol évoque la privatisation d'une économie forestière publique à travers Didolot qui décrit « les offensives de l'ONF qui manoeuvrent les communes pour faire disparaître les sections » (p.244) [Terracol, 2009]. Si cette forêt de résineux compte de nombreux petits propriétaires, elle appartient pour l'essentiel à des non-résidents (par héritage), souvent parisiens, ou tout du moins citadins [Beynel, 1998]. Sur les communes de Gentioux et Peyrelevade, les résidents ne possèdent qu'entre 30 et 50% de la forêt, et seulement entre 15 et 30% pour ceux des communes de Faux et Tarnac1. Le pouvoir des habitants sur leurs forêts paraît donc assez limité. La progression du Douglas dénote la mainmise des groupements forestiers : l'essence pousse vite et fournit un bois de qualité acceptable (loin d'égaler pourtant celle des bois scandinaves ou polonais qui sont utilisés pour les charpentes), bref elle est actuellement rentable pour les coopératives forestières. L'Epicea demeure parfois (et parfois comme contrainte) dans la réflexion de certains forestiers car étant un bon pourvoyeur de cèpes : certains utilisateurs locaux de la forêt (chasseurs, paysans,...) verraient donc d'un mauvais oeil sa disparition au profit du Douglas. Il est possible que l'épicéa demeure uniquement dans la réflexion. Le pin sylvestre, cité plus haut, est surtout une espèce pionnière de reconquête des landes, moins rentable, mais il peut intéresser les forestiers car souffrant moins des sécheresses. On est loin d'une situation, voulue par Marius Vazeilles2 ou les paysans décident leur paysage forestier en possédant chacun quelques hectares qui leur permettraient de faire face aux forces qui les exploitent. Les héritiers non résidents, telle cette habitante de Limoges que j'ai interrogée, peuvent déléguer la gestion de leurs bois aux coopératives forestières : elle ne connaissait pas les essences qu'elle possédait et quand je lui demande si elle a un pouvoir de décision sur ses bois, elle me dit que oui, qu'elle va voir sur place avec les experts forestiers et qu'elle s'en remet toujours à leurs conseils puisqu' « ils savent ». Un enrésinement massif est pourtant 1 Chiffres de la carte n°24 [Beynel, 1998] 2 Forestier communiste du début du XXème siècle. Il a milité pour introduire une forêt paysanne sur le Plateau à l'aide des résineux qui pourraient pousser sur les parcelles incultes. Il se détournera de la forêt, constatant peut-être l'échec de sa vision et un enrésinement échappant aux plus modestes, pour se tourner vers l'archéologie. Un musée porte son nom à Meymac.
35 loin d'être écologiquement supportable par les sols. Les résineux acidifient en effet davantage les sols que les feuillus [Augusto, 1999] (p.55) et altèrent la vie du sol : on trouve moins de minéraux et de vers de terre sous les résineux. Cette mainmise d'experts forestiers, avec leur volonté de maintenir les résineux, est loin d'être la plus pertinente pour l'environnement. Des chasseurs m'ont relaté que le petit gibier a périclité, faute notamment de bosquets feuillus et que le gros gibier (chevreuils, sangliers) n'utilise presque pas les forêts de résineux où il ne trouve pas sa nourriture : « L'automne a ses quartiers permanents sous la futaie de résineux. Nulle vie ne subsiste sous ces voûtes rousses qu'on croirait hypogées. Les bêtes fuient la litière stérile d'aiguilles » Miette (p.64)[Bergounioux, 1995]. Quant aux jardiniers, ils remarquent que les fruitiers ne grandissent pas en bordure des résineux. Mais descendons à l'échelle de la parcelle pour voir ce qu'il en est de la gestion forestière. Le visage des parcelles est tout aussi condamnable d'un point de vue écologique que la composition des bois. On voit des arbres serrés, alignés (photo 1), de la même essence et du même âge sous lesquels, en effet, rien n'a la place de pousser. Seule l'odeur de résine Cliché personnel. Faux-la-Monatgne Cliché personnel. Faux-la-Monatgne Photo 1 : Plantation résineuse (02/2012) Photo 2 : Désouchage après coupe rase (02/2102) 36 printanière pourrait être agréable mais on se rend compte de la pauvreté des senteurs dans les plantations de conifères lorsqu'on arrive sous les feuillus. Les arbres sont coupés à une quarantaine d'années car chaque génération veut récolter le pécule de l'ensemble de sa parcelle : s'ils ne grandissent que peu, ils pourraient pourtant grossir encore et fournir un bois de meilleure qualité. Au lieu de ça, on observe des hectares lunaires après coupe rase. Pierre Bergounioux a écrit plusieurs lignes sur la forêt dans Un peu de bleu dans le paysage dont celles-ci : « Quelque chose d'intemporel plane sur les coupes jonchées d'andains, de grumes balafrées, saignantes, de sifflets de Douglas pareils à des tranches de pastèque, sur le sol défoncés » [Bergounioux, 2001]. Les souches sont arrachées (photo 2), ce qui implique le retournement profond d'un sol déjà affaibli par la monoculture et on replante encore des résineux derrière (photo3) selon les mêmes procédés. Le critère d'hétérogénéité de Françoise Burel et Jacques Baudry n'est donc pas vraiment satisfait1. Ce paysage boisé n'est pas seulement d'une laideur affligeante et crument ressentie en ce moment où les arbres arrivent à la quarantaine (donc à l'âge des coupes rases) mais il est des plus nuisibles aux sols. Ces résineux en rangs d'oignons se sont abattus comme des dominos lors de la tempête de 1999, dans un rapport de 2,33 résineux touchés pour 1 feuillu2, montrant une certaine faillite de la gestion forestière mise en place par les coopératives qui perdure pourtant. Ces plantations intensives entraînent aussi toute l'armada de gros camions et de grosses pistes qui les suivent. Certaines fois, de longs camions en chargement -d'un tonnage qui excède souvent la loi selon le maire de Nedde- peuvent boucher des routes, entravant donc la circulation des habitants. Les pistes forestières, quant à elles, ont pu détruire des sentiers pédestres. Des panneaux stipulent parfois le danger de pénétrer les plantations résineuses, soustrayant des hectares entiers à l'accès des habitants. J'ai aussi vu, au nord de Plazanet (commune de Faux), une grande plantation, entièrement bordée de grillage et constellée de pancartes rouges stipulant : « Propriété privée / Chasse gardée / Sous peine de poursuites / Cueillette & ramassage interdits (bois, champignons, fleurs, fruits...) ». Les hectares de résineux sont surtout confisqués aux habitants. Si certains paysans retraités déclarent acceptable la présence des « sapins » sur les pentes, où rien d'autre ne pousse, presque tous les habitants que j'ai rencontré condamnent leur présence intrusive. Plusieurs citent pour exemple le bourg de Gentioux puisqu'on a planté jusqu'au portes. Le village est, en effet, entouré de sapins. L'entrée dans Tarnac depuis la route de Peyrelevade se fait aussi sous les 1 Se rappeler de la page 23. 2 Rapport calculé d'après les chiffres extraits de Forêt Limousin n°25 (2000) par Myriam Guillabot pour sa thèse [Guillabot, 2008] p 149. 37 aiguilles et de nombreux autres hameaux tutoient les bois. Eu égard au matériel et au personnel qu'il faut mobiliser pour une coupe, les revenus des plantations sont à relativiser, surtout pour les petits propriétaires. Je cite un habitant interrogé par Tania Nasr : « Une forêt comme les nôtres, c'est bien le bout du monde si ça fait 2%, alors c'est pas mieux que la banque, il faut pas imaginer qu'avec des arbres vous êtes nanti.»(p.139) [Nasr, 2005]. L'argent va surtout aux dirigeants des coopératives forestières ou aux gros propriétaires, extérieurs au Plateau. L'exploitation des résineux se pratique selon un mode colonial. La population recevant très peu de bénéfices de cette activité mais subissant la dégradation environnementale qui l'accompagne. Un habitant de Faux l'a comparé pour cela au passage d'une autoroute. Si l'on ajoute encore la volonté des coopératives forestières d'augmenter les surfaces de Douglas, le secteur pourrait subir d'ici quelques années le syndrome hollandais avec une dépendance accrue au cours monétaire du bois de cette essence. Si la filière argue des emplois qu'elle apporte (de moins en moins nombreux avec la mécanisation et pour beaucoup situés dans les villes périphériques du Plateau avec le grossissement des structures), elle empêche aussi la reconquête d'activités agricoles car les Douglas disputent les bonnes terres aux champs. Voyons justement ce qu'il en est des espaces ouverts. Les prés, les landes et les tourbières Les espaces ouverts se situent surtout dans les vallées, sur les plateaux d'altitude autour de Millevaches et Peyrelevade, le long des ruisseaux. Si certains occupent des sommets, la comparaison entre nombre moyen de lignes de niveau boisées et non-boisées (Tableau 1, p.24), rappellent qu'ils sont très absents des pentes. Ce ne fut pas le cas au début du siècle où des buttes entières étaient dénudées et où les landes représentaient l'essentiel du paysage du Plateau. Tarnac en comptait plus de 60% au début du XIXème siècle, Gentioux et Royère plus de 50%1. Si l'on veut se faire une idée de la composition plus ancienne du paysage, on peut se référer à l'étymologie des villages (voire annexe 2) : on remarquera l'importance des noms liés aux feuillus (Faux, Royère, les Vergnes) ainsi que la présence de noms évoquant des activités pastorales (La Nouaille, les Jarousses, Vassivière) et des noms évoquant les milieux humides (Rozeille, la Gane, Longeyroux). La tradition, la mémoire, le patrimoine paysan, se rattache, sur le Plateau, à la lande où pacageaient les brebis et aux 1 Source : carte n°2 [Beynel, 1998] Cliché personnel. Chavanac. Photo 4 : Tourbière du Longeyroux (03/2012) 38 Graphique 1 : Part des diverses activités agricoles 39 tourbes qui servaient au chauffage. Les espaces ouverts revendiquent une autorité historique, à plus ou moins juste titre selon l'éloignement du passé considéré. Il est vrai que leur beauté surprend. Peut-être parce que landes sèches et tourbières sont rares dans la région et qu'on est peu habitué à ces milieux. Mon esprit se plait à voyager entre les bruyères ou au-dessus des touffes de molinie (photo 4). La descente sur Orliac depuis la route de Faux offre, l'espace d'un instant un point de vue imprenable sur le lac du Chamet, les landes et les prés qui l'environnent. Entre Pigerolles et Peyrelevade, les espaces ouverts conquièrent les vallonnements et l'impression d'ouverture, d'espace, est enfin sensible. Tourbières et landes font aujourd'hui l'objet de protection (Natura 2000 en particulier) et nombre de ces milieux ont été conciliés avec l'élevage et sont pacagés durant l'été. Ils offrent un complément d'herbe appréciable pour les éleveurs en recherche d'hectares. La protection et le maintien de troupeaux sur espaces diminue fortement la menace d'enfrichement et d'emboisement. Ils témoignent aussi d'un pouvoir de groupes écologistes internationaux devenu pouvoir institutionnel qui ont voulu les conserver pour sauvegarder leurs espèces endémiques1 et donc leurs apports à la biodiversité. Les champs, quant à eux, sont quasiment tous des prairies. On ne cultive presque plus de blé sur le Plateau. L'animal le plus présent est la vache limousine (graphique 1) pour l'élevage de broutards ou de veaux de lait sous la mère. Les ovins n'arrivent plus qu'en seconde position, contrairement au début du XXème siècle. Cela résulte autant, sinon plus, d'une adaptation au marché (la limousine se vend bien : il suffit de regarder les boucheries parisiennes) qu'à l'environnement et les nombreux éleveurs qui ne font que du veau sous la mère ou des broutards restent les plus dépendants des cours. Les ovins sont eux aussi davantage utilisés pour la viande que pour le lait ou la laine. Pour une zone de montagne, on trouve relativement peu de fromages locaux dans les commerces ou sur les marchés alors qu'il y a de très bonnes tomes de brebis aux artisous. Le Nouaille, par exemple, revendique sur étiquette sa provenance du plateau de Millevaches. La faible diversité du secteur agricole peut souligner un manque de pouvoir en ce qui concerne l'accès direct à plusieurs ressources pour les producteurs comme pour nombre d'habitants (voisins, amis...) qui pourraient leur être liés. « Les investissements sont lourds pour changer de production » commente un paysan. 1 Espèces propres à milieu, souvent rares. 40 L'occupation des sols reflète un conflit entre le pouvoir des habitants locaux et celui des propriétaires extérieurs. Suite à l'exode rural, le fort taux de plantations résineuses possédées par des citadins extérieurs au Plateau et le fait que celui-ci soit décrié par de nombreux habitants, dont les agriculteurs, indique que la population ne choisit plus son paysage, qu'elle manque de pouvoir sur cette composante naturelle et des plus visibles de l'environnement qu'est l'horizon physique. La tension locale sur l'occupation des sols est illustrée par le fait que certains se battent encore pour récupérer des terrains en herbe, pour les soustraire à la friche ou à l'enrésinement. Tania Nasr a relevé un propos caractéristique : « Maintenant c'est... un peu la guerre. Les terrains que j'ai pris à Angioux, c'était pour couper court à des plantations, les agriculteurs de Pigerolles avaient décidé qu'on ne les planterait pas.» (p. 200)[Nasr, 2005]. Dans le même sens, j'ai rencontré un propriétaire passant environ sept mois de l'année sur Faux dont la volonté de louer ses terres à un agriculteur pour que le paysage soit entretenu, ouvert, était explicite. Un couple de retraités a, dans le même esprit, racheté une ferme (inoccupée depuis 1910) au Bois Jambret pour remettre le bâtiment sur pieds et transformer les friches annexes en pâtures, entretenues par les chevaux. La reconquête des champs n'était pas leur seul souci mais également la reprise et la réhabilitation du bâti. Car les oppositions de pouvoir qui valent pour les parcelles cadastrées valent aussi pour les habitations. 2.2 - Les maisons, le patrimoine bâti et historique Les maisons Si la beauté de l'environnement végétal ne m'a pas sauté aux yeux, je me suis en revanche plu à contempler les villages que j'ai traversés, en particulier les petits hameaux. Tous affichent leurs façades de granit apparent, aux ouvertures encadrées de linteaux et de massives pierres de taille (photo 5 et 6), typiques des constructions de maçons creusois. On croirait les villages sortis du sol tant la pierre est présente. La répétition, le nombre de hameaux de caractère impressionnent davantage que la traversée d'un seul d'entre eux, fusse-t-il le plus beau. Peu de murs sont aujourd'hui crépis. Dans certains villages, les habitants m'ont d'ailleurs dit qu'ils ne l'avaient jamais été ; dans d'autres, les propriétaires l'ont retiré pour faire valoir la superposition des pierres, souvent très bien taillées. A l'intérieur des maisons, les hauts plafonds affichent encore leurs larges poutres et les salons leur table de bois. Cliché personnel. Sur la commune de Rempnat Cliché personnel. Peyrelevade. Photo 5 : Maison joints brossés (03/2012) Photo 6 : Maison joints de fer (02/2012) Cliché personnel. Commune de Tarnac 41 Peinture 2 : Fasenat, pastel sur toile, Remy Feinte Photo 7 : Le facteur n'est pas passé (03/2012) 42 Beaucoup de bâtisses sont très bien entretenues. Beaucoup d'habitants font part de toute l'attention qu'ils portent à l'entretien de leurs granges, de leurs maisons, voire de leurs villages. Et nombre d'entre eux disent l'avoir fait seul, sans aide. Même s'il existe de nombreuses aides pour la restauration du bâti, venant de diverses sources (PNR, fonds associatifs, ...), elles ne suffiraient pas, sans la volonté et l'attachement des habitants, à maintenir un tel nombre de maisons de pierre en remarquable état. Cette volonté ne date pas d'aujourd'hui puisque, à l'époque des saisons parisiennes ou lyonnaises, Anne Stamm raconte que « Les gains des migrants hommes ont été le plus souvent utilisés à arrondir ou à reconstituer la propriété. » (p.112)[Stamm, 1983]. Un maçon m'a raconté que 90% de son travail consistait encore en la réfection de ces maisons de pierre, qui datent pour la plupart de la fin du XIXème ou du début du vingtième. Aujourd'hui, les joints brossés, blanc et plus lumineux, mettant mieux en valeur la pierre (photo 5) sont les plus demandés et on fait moins de joints de fer (photo 6) au ciment. La nouvelle modernité est de mettre en avant le passé, le travail des anciens. C'est un pouvoir apparent que celui de donner de la poésie à ses maisons, et cela même jusque dans l'abandon, par la toile (Peinture 2). Il est vrai que la mort et l'abandon peuvent aussi donner du charme. Les églantiers et les bouleaux se conjuguent aux fenêtres, percent les tuiles dans une image romantique. Les ronces menacent de reprendre quelques granges et quelques fermes. Mais le silence, l'impression d'abandon vient davantage du nombre de logements vacants, de volets fermés, de cheminées éteintes que de l'écroulement des murs. Car, sur le plateau de Millevaches, les logements vacants et les résidences secondaires dominent les bourgs.
Source : INSEE (2008) Tableau 2 : part des résidences principales sur les communes témoins 43 Dans moult hameaux (Les maisons, commune de Tarnac, par exemple), ne demeure qu'un seul résident qui peut avoir les clefs de tout le village. La part des résidences principales peine à atteindre les 50% et reste très inférieure sur le Plateau aux moyennes départementales comme en attestent les dernières données de l'INSEE sur le Tableau 2. L'annuaire en attente à la porte et les feuilles mortes sur le pallier (photo 7) caractérisent l'utilisation très partielle des bâtiments. Quant au titre de cette photo, il n'a rien d'usurpé puisque c'est la délégation du dépôt des bottins à une compagnie privée qui va permettre à celui-ci de demeurer des mois suspendu à une poignée. Autant dire que la population qui habite sur place toute l'année ne possède pas les lieux et doit faire face à la confiscation du bâti vacant (en indivis) ou saisonnier. A l'arrivée du soleil, la population peut doubler de volume. Un habitant d'un hameau de La Nouaille, s'il mentionne la bonne entente dans tout le village, y compris avec les estivants, relate les conflits dus à leur retour temporaire : on ne peut presque plus se garer dans le village, ni faire tourner un moteur (de tronçonneuse) car le moindre bruit gêne les citadins et comme « ils sont les plus nombreux, ils font ce qu'ils veulent ». L'habitat est un terrible élément sur lequel la population semble dénuée de pouvoir direct. Dans une région autant désertée que le Plateau de Millevaches, avec tant de maisons inoccupées, les nouveaux arrivants (le solde migratoire est positif) peinent à trouver à se loger. On se trouve même forcé de construire pour accueillir et un certain mitage peut poindre, comme dans le bourg de Gentioux. Cela peut laisser amers bien des anciens habitants qui trouvent l'image de leur paysage changée Yves Luginbühl parle en ces termes du problème du mitage dans sa thèse : « Il faut reconnaître que le problème est de taille, car le développement de l'habitat est sans nul doute la transformation la plus visible dans le paysage » (p.100) [Luginbühl, 1981]. Car le mitage consomme de l'espace rural et n'obéit plus à l'architecture traditionnelle locale. Je peux tirer ici une première conclusion dans la première partie pour dire que ce qui relève du foncier, terrains comme habitations, dans l'environnement, n'appartient pas à la population et, de plus, est une source de mécontentement pour les habitants permanents. La population se trouve sans pouvoir direct sur la nature physique de son environnement, nature qui lui est imposée par l'extérieur, sans son avis, que ce soit du fait de l'exploitation forestière ou de la confiscation du bâti qui entraîne le mitage des villages. Si la population ne veut pas subir complètement un environnement imposé, elle doit donc trouver d'autres sources de 44 pouvoir que le foncier. Toutefois on peut également considérer que la réfection de l'habitat par les propriétaires saisonniers, attachés à leurs racines, participe à maintenir vivace, par la pierre, la mémoire des lieux et sauve de l'écroulement plusieurs fermes et granges que les habitants n'auraient pas le pouvoir financier d'entretenir. Donc qu'un pouvoir d'attraction est rendu aux villages et à leurs habitants par la reconnaissance de l'histoire, la mémoire des bâtisseurs. Les maisons ne sont d'ailleurs pas la seule composante du patrimoine, en particulier bâti, à être valorisée. Le petit patrimoine historique Il me semble impossible de parler du Plateau sans mentionner l'abondante présence de ce qu'on appelle parfois le petit patrimoine bâti et dont les figures qui lui sont les plus associées sont les fontaines, lavoirs, croix, et autres chapelles, fours à pain voire pierres d'éviers (comme en peut en voir sous les fenêtres de la Peinture 2 et de la Photo 7). Si ce patrimoine est marqué par un pouvoir de la population ? Il se pourrait. Les églises, les chapelles, les croix aux intersections reflétaient certainement, lors de leur édification, le quadrillage du pouvoir de la religion catholique. Mais celles-ci, surtout les croix, sont davantage objets de musée en plein air qu'objets de culte. Les croix en pierre (un exemple en photo 10) sont très nombreuses sur le Plateau. Le granit a continué d'être préféré au fer forgé ou à la fonte et dans leur contemplation, on admire également les durs coups de burin des tailleurs. Ce matériau, ainsi que le bon état, tout juste un peu passé, un peu attrapé par l'érosion ou la mousse, donne un charme particulier à ses croix. Certaines ont leur originalité. On voit une belle croix cerclée à l'entrée nord de Royère. Au pied de l'église de Gentioux, une haute croix de granit porte son Christ et derrière lui, à l'ombre du clocher, crucifiée avec lui, elle porte une vierge en train de prier1. La population, malgré ce qu'en dit Anne Stamm, n'est plus franchement empreinte de religion [Stamm, 1983-et même un autre ouvrage de 1997]. C'est la valeur patrimoniale, culturelle, des petites croix, comme celle des fontaines, des ponts, de touts les petits édifices de pierre qui est reconnue et valorisée. De nombreux panneaux routiers indiquent leur présence, font converger le passant vers eux, le font s'arrêter sur le Plateau. Une tombe sculptée (dont on peut admirer la finesse des détails sur la photo 8) au cimetière de Gentioux, une croix à Villemoneix, une croix du 1 Ce type et cette abondance de croix me semble relativement rare, surtout en Limousin, mais n'est pas spécifique à la région. Le granit est présent dans toutes les zones d'altitude du Massif Central et j'ai aussi constaté la présence de la vierge sur une croix jouxtant l'église de Chavagnac dans le Cantal. Photo 9 : Pont-planche de la Gane (Faux) (03/2012) Cliché personnel. Gentioux Cliché personnel. Faux-la-Monatgne 45 Photo 8 : Tombe sculptée à Gentioux (03/2012) Cliché personnel. Commune de Gentioux Photo 10 : Croix à Villemoneix (Gentioux) (03/2012) 46 mouton à Peyrelevade, le pont de Senoueix1, la fontaine du Longy mais aussi des rochers (Clamouzat) sont ainsi indiqués. Le patrimoine semble dégorger de partout quand on empreinte les routes d'une commune comme Gentioux-Pigerolles. Ce patrimoine n'a pas besoin d'être spectaculaire pour être considéré et figurer dans les guides (ou fiches communales) comme c'est le cas du pont en pierre plate de la Gane (Photo 9) à Faux. Ce type de pont est parfois mentionné sous le nom de pont-planche. La mise en relief accentuée de ce patrimoine est souvent le fait des communes. On peut considérer qu'il montre une espérance (et une forme de soumission) au tourisme ou une volonté de conservation par la lumière que des habitants peuvent lui donner via les institutions. Mais son entretien est aussi le fait d'habitants qui y sont attachés. Des habitants prennent l'initiative de retaper leurs lavoirs dans certains hameaux. Des associations se sont montées comme l'A.R.H.A de Tarnac, « Eclats de Rives » à Saint-Martin-le Château ou « la pierre levée » à Peyrelevade pour entretenir fontaines, ponts, chemins, et murets de pierres bordant les chemins. La mémoire n'est pas qu'une volonté de spectacle. La mention du passé peut indiquer un pouvoir, surtout quand il dénote un certain état d'esprit, de résistance, de la population. Il devient un facteur de culture qui rappelle qu'on a un rôle, non neutre, à jouer quant au pouvoir. Il en va ainsi par le rappel des guerres, et de leur refus, sur le plateau de Millevaches. Quand l'histoire glorifie le pouvoir de résister et de refuser la guerre La conservation du patrimoine prend un tour beaucoup moins anodin quand on sait que la mémoire de la résistance, très active sur Plateau, notamment du fait de la forte implantation du communisme sur moult communes, est entretenue par diverses stèles et plaques et que le souvenir des guerres est décorée par sa condamnation ou par la paix (photos 11, 12, 13). Le monument de Gentioux est le symbole de la non-allégeance aux armes, au refus d'un pouvoir imposé sous le couvert de la Patrie. Le sud creusois avait été très touché par la première guerre mondiale. En nombre de morts, sur les 25 cantons, ceux du Plateau : La Courtine, Gentioux et Royère, figurent dans les 5 premiers. La mutinerie des soldats russes du camp de La Courtine en 19172, isolés sur le Plateau par crainte de la contamination des idées révolutionnaires et démobilisatrices. Ces soldats, avant d'être sommés par les armes de se rendre, avaient pu se mêler à la population pour aider aux travaux des champs. Lors de l'ainsi 1 Qui est devenu la carte postale typique de la Creuse. 2 Ce furent 16000 soldats russes, envoyés en France par Nicolas II et désirant regagner leur pays à la révolution, qui furent envoyés à La Courtine. Photo 11 : Plaque à La Villedieu (03/2012) Cliché personnel. La Villedieu Cliché personnel. Limite des communes de Gentioux-Pigerolles et Peyrelevade Photo 12 : Croix blanche vers Neuvialle (03/2012) Cliché issu de la-feuille-de-chou.fr consulté en avril 2012 47 Photo 13 : Monument aux morts de Gentioux 48 nommée « seconde guerre mondiale », le communiste Georges Guingouin entre en résistance, avec l'appel du 18 juin du général De Gaulle, avant son parti. Il est souvent appelé « premier maquisard de France ». En 1956, en partance pour la guerre d'Algérie, un camion de soldats exprimant leur opposition à la guerre, fait étape à La Villedieu. Des habitants, les soutenant, organiseront une manifestation pacifiste pour s'opposer à leur départ. Pour cette action, René Romanet, maire de La Villedieu, Gaston Fanton, instituteur à Faux et Antoine Meunier seront condamnés par le tribunal militaire de Bordeaux, notamment à des peines d'emprisonnement et à la privation de leurs droits civiques. C'est pour se rappeler de ces faits, s'opposer aux guerres coloniales et à la répression de ceux qui refusent la guerre que l'association Mémoire à vif s'est crée à La Villedieu en 2001. C'est une association à portée nationale. Quant à Guingouin, son nom est tagué sur des murs d'Eymoutiers pour stipuler qu'il faut toujours résister même si le personnage est loin d'être porté aux nues par les habitants. Ceux-ci peuvent, par exemple, rappeler son autorité un peu trop marquée. Enfin, le monument de Gentioux est le rendez-vous annuel d'une manifestation pacifiste, dénonçant la guerre (voir coupures de presses de l'Annexe 3). Le rayon d'attraction de cette manifestation est assez large. Le refus de la guerre et, avec lui, le refus de la soumission, sont donc encrés dans le paysage du plateau de Millevaches, et reconnus depuis l'extérieur du Plateau. La mémoire joue un rôle non négligeable comme élément de l'environnement et son maintien montre, malgré la désertification des bourgs, une volonté de ne pas détruire les actions passées. Si le maintien des petits édifices montre plutôt une volonté de mainmise sur son patrimoine qu'une revendication, les monuments, plaques et mouvements qui condamnent la guerre et l'obéissance aux ordres sont autant d'éléments culturels sur le Plateau qui signent une démarcation de la population face à un pouvoir ne prétendant qu'une légitimité hiérarchique et institutionnelle pour se faire valoir. Puisque l'histoire fait partie de la culture, voyons comment celle-ci s'insère dans l'environnement local. 2.3 - Un pouvoir d'habitants indépendants à travers le marquage culturel Le plateau de Millevaches est un terrain d'exercice pour la culture, un terrain, certes peu peuplé, mais où sont proposées de nombreuses activités. Trois centres d'arts sont situés sur le Plateau à Eymoutiers, Vassivière -qui prête des oeuvres aux particuliers- et Meymac. On trouve également de petits musées. Plusieurs pièces de théâtre sont annoncés par affichage 49 (récemment1 Résistances- paroles de femmes à Faux) ainsi que de régulier concerts, en particulier au bar de Royère (L'Atelier). A Tarnac, je suis aussi allé à un concert un lundi soir. Une association à également organisé, plusieurs années consécutives, le festival (bien annoncé) des bistrots d'hiver qui conjugue apéro-débat (j'ai assisté à l'un d'eux sur la gestion forestière et à un sur la réappropriation possible des sectionnaux), déjeuner et concert. 13 lieux recevaient cette saison et parmi les débats, de nombreux thèmes abordaient des sujets environnementaux, ou mettaient en avant les filières courtes de production. Le nombre d'activités culturelles visibles (ne serait-ce que par les affiches) sur un territoire aussi peu densément peuplé dénote un certain investissement des habitants sur leur territoire. Les sujets abordés sont révélateurs de la volonté de maintenir présent un esprit critique sur ce Plateau. La nature de certaines manifestations y corrobore. C'était le cas des « nuits du 4 août » l'été dernier à Peyrelevade, fête anarchiste avec débats, projections et concerts sur 3 jours et dont l'affiche (copie en annexe 4) revendique l'esprit d'insubordination. Et c'est le cas également du festival Bobines Rebelles (projections) qui se tient en juin à Royère et qui programme beaucoup de documentaires libertaires. Le prix en est volontairement libre pour, comme le précise un des organisateurs, que chacun puisse venir, et donner selon ses ressources. Et le festival dégage chaque année de quoi continuer l'an prochain. Le mythe du Plateau lu comme territoire anarchiste trouve donc une résonance dans l'activité culturelle qu'on peut y trouver en y séjournant. Dans la prise en charge culturelle du territoire par les spectacles engagés, peut se deviner un pouvoir local d'habitants prônant leur autogestion. La marque de la culture libertaire ne se trouve pas seulement dans l'affichage évènementiel mais également dans les inscriptions au bord des routes, sur des panneaux ou des transformateurs E.D.F. Lorsqu'on arrive sur Gentioux depuis la route de Felletin, on peut trouver deux déclarations comme quoi on ne se laissera pas faire (Photo 14 et 15). Le slogan « Toujours insoumis », depuis plusieurs années sur le panneau du Parc Naturel régional semble marquer la porte d'entrée du Plateau tant il est immanquable. On trouve le même adjectif, en voie d'effacement, sur le goudron de la route entre Peyrelevade et Tarnac. 1 Et je dis ça le 14 avril 2012. Photo 14 : Panneau routier du PNR (02/2012) Photo 15 : Transformateur électrique (03/2012)
50 La reprise, tournée en dérision, du zoologique « Prière de ne pas nourrir les habitants » avec la signature du Parc rappelle par sa simple présence que la population de céans n'est pas à mettre dans une cage. Je peux aussi l'interpréter de la manière suivante : « les habitants n'ont pas besoin qu'on leur impose une nourriture extérieure »... enfin, chacun peut y lire sa petite cocasserie. Le fait qu'il soit signé « Le Parc » avertit aussi que l'étiquette PNR ne va ni ranger, ni dompter les esprits. Les bêtes restent sauvages. Ces deux inscriptions sont loin d'être les seuls. Autour de Nedde, plusieurs transformateurs électriques sont tagués d'avertissements insurrectionnels suite aux arrestations à Tarnac, l'entrée au bourg de La Villedieu se fait sous la mention « Police partout, justice nulle part » : on n'est pas spécialement habitué à ce balisage rebelle dans les campagnes limousines. Les graffitis contre le nucléaire ont aussi fleuri -surtout après Fukushima- : on en trouve jusque Felletin, Meymac ou Eymoutiers. La contestation du nucléaire vise aussi le passé d'extraction de l'uranium sur le Plateau et l'omerta qui règne autour de l'ex usine de traitement des déchets nucléaires de Bessines-sur-Gartempe1 au nord de Limoges. 1 Une pollution de la Gartempe en aval de l'usine a été relevée par la Commission de Recherche et d'Informations Indépendantes sur la RADioactivité (CRIIRAD) en 1994. Une opposante au nucléaire relate qu'elle se trouvait peu de pouvoir sur le sujet, au regard de la possibilité des lobbies nucléaires d'acheter le silence des Bessinauds et de leurs élus. Silence qui leur aurait valu une belle place... et un musée de la mine d'uranium pour vanter la science nucléaire qui doit bientôt ouvrir ses portes. 51 En sillonnant les bourgs, j'ai pu remarquer le déploiement de banderoles dénonçant des fermetures de classes dans plusieurs communes : à Felletin et à Nedde par exemple. Plusieurs habitants m'auront cité ces menaces de fermeture pour imager la faiblesse de leur pouvoir. Si ces dernières inscriptions sont le signe d'un pouvoir étatique ou industriel capable de maltraiter le territoire, donc subi par les habitants, elles montrent aussi que ce pouvoir n'est pas reconnu comme légitime et qu'il trouvera une opposition parmi la population. Opposition qui fait partie de cette culture de la résistance pouvant irriguer l'environnement et que peut résumer ce diction dit ironiquement « creusois » dans le dernier Communard1 : « Qui se laisse gouverner, doit accepter d'être irradié ». Dans le paysage culturel du Plateau, comptent justement deux journaux : Le Communard, saisonnier, sous-titré « un peu de cassis et beaucoup de rouge » à teinte communiste et libertaire, et IPNS, paraissant tous les trois mois depuis 10 ans, qui traite avec un oeil critique des sujets locaux, sous-titré pour sa part « Journal d'information et de débat du plateau de Millevaches ». A ceux-là, s'ajoutent la présence de deux autres journaux saisonniers et anarchistes : La vache qui rugit (centré sur Limoges) et Creuse-Citron (dont les origines se situent du côté de Royère). C'est une présence importante sur une zone si faiblement peuplée. Télé Millevaches, qui a aujourd'hui son siège à Faux existe depuis 1986. Avant d'entrer dans les critiques, son but est de donner la parole aux habitants du Plateau. Ne disposant pas d'un canal, le magazine -gratuit- était enregistré sur casettes vidéo disponibles dans les mairies ou autres points dépôts. Des projections publiques permettaient des contacts et débats autour des émissions. Le principe a changé de support et utilise disques compact et internet et, aujourd'hui, quelques canaux. Cette activité culturelle n'est pas uniforme sur tout le plateau de Millevaches. Elle est surtout intense sur le sud de la Creuse, et en particulier sur les communes témoins de cette étude. La forte imprégnation culturelle sur cette zone est d'ailleurs l'un des facteurs qui a orienté ma sélection. Certains nouveaux habitants citent d'ailleurs ce dynamisme culturel comme leur facteur principal de choix d'installation autour de Gentioux. Un couple de Haute-Corrèze (du coeur du plateau de Millevaches peut-on dire) a choisi le plateau de Gentioux pour cela. Et a conclu que la Haute-Corrèze n'était pas dans la même dynamique, ne serait-ce que démographiquement. Mais elle reste irriguée par les médias locaux : Le communard, IPNS et Télé-Millevaches. 1 Se référer à l'avant-dernière note. 52 Il n'est pas que les inscriptions et l'affichage qui marquent culturellement et physiquement le paysage puisque les journaux sont visibles dans les kiosques ou bistrots et que les secrétariats de mairie disposent du magazine de Télé Millevaches sur le comptoir. La forte présence de la culture et les manifestations d'un esprit critique face au pouvoir institutionnalisé supposent un mode et un rythme de vie qui diffère de la soirée individuelle devant sa télévision. Des habitants veulent créer et avoir accès à la culture, avoir un rôle actif dans leur environnement intellectuel. Le dynamisme local peut aussi se constater physiquement par les changements dans le paysage, c'est-à-dire les éléments qui peuvent constituer une cassure dans le paysage. Je rappelle ici la définition du pouvoir que j'ai choisi en introduction : « la capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir ». 2.4 - Les cassures dans le paysage Le bourg de Gentioux est en grands travaux. La moitié de la route est coupée et défoncée par les engins. Des camions de travaux manoeuvrent sur la place principale et le long des trottoirs. On ne traverse le bourg, en voiture, que difficilement. Des tuyaux apparaissent parfois avant d'être recouverts. Il se construit un réseau de chaleur au bois. Les habitations du bourg pourront être raccordées à ce réseau collectif de chauffage. Ce système est souvent utilisé pour les bâtiments publics (mairie ou école) comme à Peyrelevade ; il sera proposé également aux particuliers à Gentioux. Le bois est une énergie localement disponible sur le Plateau et ce type de réseau peut aussi utiliser le bois des résineux. Ce n'est à priori pas un pouvoir aussi direct que le chauffage au bois par sa cheminée, très répandu, mais pour ceux dont la cheminée aurait du mal à chauffer toutes les pièces ou pour ceux qui n'en disposeraient pas, ce sera peut-être la capacité d'avoir chaud à l'aide d'une énergie locale (normalement moins chère puisque collectivisée...ça reste à voir). Pour la commune, qui a décidé ce système, c'est un moyen d'indépendance vis-à-vis d'autres sources d'énergies non locales et dont le coût augmente et risque de continuer à augmenter. C'est un signe qu'elle est prête à se lancer dans les innovations. Soulignant une indépendance beaucoup moins discutable, c'est une absence qui surprendra à La Villedieu : celle des compteurs d'eau. Les sources sont captées directement et fournissent l'eau potable gratuitement aux habitants et sans traitement. Cette gratuité, n'étant profitable qu'aux habitants, n'avait pas forcément reçu une appréciation bienveillante de l'administration régionale et le maire a dû insister plus ou moins selon les interlocuteurs pour 53 la faire admettre. L'accès à l'eau potable ne nécessitant parfois qu'un simple captage (et une attention portée quant à l'utilisation des sols), ne devrait-il pas être un des droits les plus primordiaux ? ... C'est essentiellement par le bâti que j'ai repéré ces cassures. Peut-être suis-je trop habitué à la région pour remarquer des changements dans l'occupation des sols. Certaines parcelles, anciennement boisées se couvrent de genêts : peut-être ne seront-elles pas replantées et il est possible que certains troupeaux de moutons reviennent à des endroits où ils n'allaient plus. Leur rôle d'entretien des landes est reconnu. Mais revenons à l'habitat. J'ai vu plusieurs maisons, d'aspect neuf, construites en bois. Elles dénotent de moins en moins dans le paysage. Elles sont souvent construites à la périphérie des villages mais certains ajouts de bois peuvent compléter des maisons de pierre au centre des hameaux. Elles montrent une préférence du bois par rapport au parpaing mais également le besoin de logements et probablement la difficulté d'accès au foncier ancien. Le choix du bois est présent aussi pour les yourtes. On en trouve quelques unes à Lachaud, sur la commune de Gentioux. S'il est possible que leur existence relève d'un faible pouvoir d'achat, elles sont également le signe d'un autre rapport à l'environnement, à rapprocher de celui de la cabane d'Henry Thoreau qu'on peut lire dans Walden [Thoreau, 1947]. C'est une recherche de simplicité et d'intégration à la nature. Les yourtes servent -entre autres- à accueillir des jeunes, pour des chantiers d'été par exemple. Il est donc possible d'en déduire une activité des jeunes en rapport à l'environnement (qui se vérifie à Lachaud), le pouvoir d'une vie sans exploitation intensive de l'environnement. Je vais prendre un dernier exemple quelque peu différent. Quand je suis arrivé au village de Variéras (commune de Pérols-sur-Vézère) et que j'ai fait part de mon sujet d'études à un artisan qui travaillait sur les lieux, il m'a tout de suite dit que j'étais bien tombé. Son père, Maurice Gorsse, avait construit un toit de chaume pour sa maison. Charmé, d'autres habitants lui ont commandé leurs chaumières. Il en a ensuite construit quelques unes dans le village, sans aide d'aucune sorte hormis celles d'amis (puisque les aides lui étaient refusées, entre autres par la municipalité) mais pariant qu'elles allaient plaire, être achetées et habitées. Ce qui fut le cas. Suite au succès, le hameau s'est agrandi et des chaumières sont également commandées dans d'autres villages. Cliché personnel. Commune de Pérols-sur-Vézère 54 Photo 16 : Chaumières à Variéras (03/2012) L'artisan m'a précisé que les chaumières devaient être peu chères et que, lors des ventes, étaient privilégiés les habitants qui y vivraient à l'année (il y a donc pas mal de résidences principales) et les jeunes (ou les familles). Variéras est aujourd'hui le plus gros hameau de la commune et a donc un poids démographique significatif. Plusieurs habitants sont conseillers municipaux. C'est un pouvoir pris à l'intérieur de la commune. Ces habitants qui ont agrandi le village en chaumières ont, pour leur part, eu le pouvoir sur sa composition visuelle et sociale. Les chaumières individuelles sont disposées de manières à garder une sensation d'espaces et de nature, voire de vacances pour les habitants (photo 16). Mais ces chaumières (dont les murs restent en parpaing : question de coût) pourraient aussi s'apparenter au mitage de la campagne. La disposition, si elle semble esthétique, me donne aussi l'impression d'un manque de cohésion, d'une recherche de son carré individuel exagérée. Il n'y a pas (encore) de bar où les gens se rencontreraient, ni de lieu culturel où la collectivité prendrait un sens. J'aurai la sensation du manque de la possibilité de liens en m'installant là-bas, d'un manque de désordre, d'animation, de vie peut-être tout simplement. Je finirai d'ailleurs cette partie avec la vie sur le Plateau, pour annoncer les activités humaines que l'on peut y rencontrer avant de me tourner précisément vers les modes de pouvoir de la population. Mais je me permets, pour cette première partie, une conclusion avant la lettre. 55 |
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