Paragraphe 2 : La personnalité juridique des
organisations internationales
La reconnaissance de la personnalité juridique des
organisations internationales, après une période de balbutiements
et d'hésitations a été consacrée par la CIJ dans
une décision récente hautement courageuse (A). Cette
consécration a contribué de façon significative à
la montée des organisations internationales sur la scène
internationale (B).
A- La reconnaissance de la personnalité juridique
des organisations internationales
Les organisations internationales63 sont un
regroupement d'Etats indépendants et souverains. C'est une entité
autonome des Etats à l'origine de laquelle se trouve la volonté
de coopérer à la réalisation d'un objectif
déterminé inscrit dans son acte constitutif. Ce
sont en principe des sujets dérivés du droit international public
en ce sens qu'elles ne doivent leur existence qu'à la volonté
commune des Etats qui les composent. Il est donc évident qu'au
départ, seuls les Etats, sujets principaux du droit international
public, bénéficient de la personnalité
juridique64.
62 Voir dans ce sens, KPODAR (A.),
op. cit., p. 57-70.
63 Selon l'article 1er de la Convention
de Vienne sur la représentation de l'Etat et sur les relations avec les
organisations internationales du 14 mars 1975, « L'organisation
internationale s'entend d'une association d'Etats constituée par un
traité, dotée d'une constitution et d'organes communs, et
possédant une personnalité juridique distincte de celle des Etats
».
64 La personnalité
juridique s'entend en une compétence entrainant une autonomie d'action.
On comprend aisément pourquoi les Etats ont très tôt
manifesté une farouche réticence à la reconnaissance de la
personnalité juridique au profit des OI.
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Même si aujourd'hui les débats ne sont pas
totalement tranchés s'agissant essentiellement de son contenu et de son
volume, la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations
internationales, fait aussi bien au sein de la doctrine que dans l'ensemble de
la jurisprudence l'objet d'un large consensus.
Cette reconnaissance, dont les prémisses étaient
déjà ressenties avec la SDN puis la CPJI, a été
explicitement consacrée par la CIJ en 1949 dans l'affaire relative
à la compétence de l'organisation (ONU) à réclamer
réparation du fait des dommages subis. En l'espèce, pour
répondre à la question de savoir si l'organisation a une nature
qui comporte la qualité pour présenter une réclamation
internationale, la Cour devait répondre indirectement à la
question de la personnalité juridique de l'organisation. Il faut
rappeler que la question n'est pas tranchée par les termes mêmes
de la Charte. La haute Cour, pour retenir cette personnalité juridique
internationale de l'organisation, a considéré les
caractères qu'a voulu lui donner la Charte. Elle a fait appel à
deux principes à savoir celui de la spécialité et celui
des compétences implicites.
S'agissant d'abord du principe de spécialité des
OI, la Cour a examiné les missions et les fonctions assignées
à l'organisation. Entre autres attributions de l'organisation on peut
faire ressortir le maintien de la paix et de la sécurité
internationale (mission à caractère large), la réalisation
de la coopération internationale en matière économique,
sociale, intellectuelle et humanitaire (cf. article 1 de la Charte de l'ONU).
En plus des missions de l'ONU, la Cour a joint son organisation interne. A la
lumière des missions assignées à l'Organisation par les
Etats, la Cour en vient à la conclusion selon laquelle, l'organisation
n'étant pas simplement un centre où s'harmoniseraient les efforts
des Nations, elle a besoin pour pouvoir exercer les missions qui lui sont
confiées de posséder une capacité juridique
internationale.
Ce faisant, la Cour lie intimement le principe de
spécialité à la personnalité juridique. En effet,
« le principe de spécialité caractérise la
personnalité juridique »65. Il s'agit d'une
personnalité fonctionnelle66. C'est à la
lumière des missions confiées à l'organisation que non
seulement se défini les limites de ses compétences mais aussi la
légalité de ses actions. La Cour estime donc que «
L'organisation était destinée à exercer des fonctions et
à jouir des
65KPODAR (A.), « Le principe de
spécialité dans la définition des organisations
internationales », op. cit., p. 53. 66Nguyen
Quoc Dinh, Daillier (P.) et Pellet (A.), « Les
privilèges et immunités des Organisations internationales
d'après les jurisprudences nationales depuis 1945 », AFDI, 1957, p.
593.
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droits qui ne peuvent s'expliquer que si elle possède
une large mesure de personnalité juridique internationale et la
capacité d'agir sur le plan international. Elle ne peut en toute logique
répondre aux intentions de ses fondateurs si elle était
dépourvue de la personnalité juridique ».
Dans la même logique et pour affirmer son postulat, la
Cour déduit, par le biais de la méthode d'interprétation
extensive incluant le but et l'objet du texte constitutif, implicitement
l'existence sans conteste de la personnalité juridique au profit de
l'organisation. Elle affirme qu'on« doit admettre que ses membres (les
Etats) en lui assignant certaines fonctions avec des devoirs et les
responsabilités qui l'accompagnent, l'ont revêtu de la
compétence pour lui permettre de s'acquitter directement de ses
fonctions ». Dans cette même lignée, affirme Pierre Marie
Dupuy qu'il « existe en droit international une présomption de
personnalité juridique au bénéfice des organisations
internationales. Cette présomption n'est cependant pas
irréfragable et doit être confirmée par l'examen des termes
de la charte constitutive de chacune d'entre elle »67 peu
importe, selon M. Yassen68 « que celle -ci soit implicitement
insérée dans l'acte constitutif, il suffit qu'il l'implique
».
La personnalité juridique reconnue doit faire l'objet
de précision. D'abord, elle reste purement fonctionnelle en ce sens
qu'elle s'exerce dans le cadre de ses attributions alors qu'elle reste pleine
et entière pour les Etats. Ainsi, l'organisation n'étant pas un
Etat, elle ne possède guère les mêmes droits et devoirs
qu'un Etat. Ensuite, la personnalité juridique de l'organisation ne fait
pas d'elle un « super-Etat » disposant d'un absolu pouvoir sur les
Etats. En effet, la reconnaissance de la personnalité juridique signifie
que « l'organisation est un sujet de droit international, qu'elle a la
capacité à être titulaire de droits et devoirs
internationaux et qu'elle a la capacité à se prévaloir de
ses droits par voie de réclamations internationales
»69.
67DUPUY (P. M.), Droit international
public, Paris, Dalloz, 1995, p. 179. C'est aussi la position de
l'école d'accès inductif qui lie la personnalité juridique
des organisations internationales à la volonté des Etats membres
exprimée dans l'acte constitutif ; voir dans ce sens BOWET (D.
W), The internationals institutions, London, 1970, p. 303-304 ;
YASSEN (M.) « La personnalité juridique a pour fondement,
d'après le droit international, l'acte constitutif qu'exprime la
volonté des Etats qui créent une organisation internationale
» ; BROWNILE (I.), Principles of public international law,
Oxford, 1973, p. 520.
68YASSEN (M.), op. cit., p. 54.
69DISTEFANO (G.) et BUZZINE (P. G.), Op. cit., p.
237.
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La personnalité juridique reconnue aux organisations
internationales leurs permet, sur la scène internationale, de jouer un
rôle non négligeable aux côtés des traditionnels
sujets de droit international.
B- Les implications de la personnalité juridique des
organisations internationales
La personnalité juridique des organisations
internationales entraine certaines conséquences dans leurs actions sur
le plan interne et international. Ces conséquences pour l'essentiel se
résument en des compétences reconnues à l'organisation.
S'il est indéniable que la personnalité
juridique des organisations internationales se déduit de l'ensemble de
ses attributions et missions et donc de ses compétences, le raisonnement
contraire n'est pas réfutable. On peut faire aussi la lecture selon
laquelle les compétences des organisations internationales sont une
conséquence immédiate de cette personnalité juridique. Les
compétences, explicites c'est-à-dire mentionnées dans le
texte constitutif ou implicites c'est-à-dire déduisables en cas
de silence du texte constitutif des organisations internationales se
manifestent par des actions aussi bien au plan interne qu'international. La
personnalité juridique interne de l'organisation, toujours
fonctionnelle, varie suivant les organisations. Elle se manifeste le plus
souvent par l'acquisition de biens meubles et immeubles lors de sa constitution
sur le territoire d'un Etat. Cette constitution se matérialise dans bien
de cas par la signature d'un accord de siège avec l'Etat hôte.
L'organisation a également des compétences normatives se
traduisant par la rédaction de règles techniques ou
financières nécessaires à son bon fonctionnement.
La personnalité juridique internationale des
organisations internationales leur permet de mener certaines actions de grande
importance. D'abord, la personnalité juridique donne aux organisations
internationales le droit de créer des actes juridiques dans leur domaine
de compétence. Il s'agit de la capacité à prendre des
actes unilatéraux comme des résolutions (ayant juridiquement
force obligatoire) et des recommandations (si la décision ne constitue
qu'une simple invitation)70 et des traités.
Sur ce dernier point, les points de vue au sein de la
70 Cette distinction entre
résolution et recommandation a été proposée par
certains auteurs comme critère de classification des OI. Mais il
n'apparaît pas assez déterminant en ce qu'il fera tantôt
d'une organisation un organe consultatif tantôt un organe normatif ou
encore exécutives « selon qu'elles ont ou non le pouvoir de prendre
des résolutions obligatoires pour leurs membres et peuvent ou non
assurer elles-mêmes l'exécution de leurs décisions »
cf. KOUASSI (E. K.), Cours d'institutions internationales,
Lomé, CERDIA, p. 106-107.
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doctrine ne sont pas unanimes. Pour le premier courant, la
capacité des organisations internationales à conclure des
traités est une conséquence de leur personnalité
juridique. Selon cette école dite d'accès objectif, le droit de
conclure des traités n'est rien d'autre qu'une expression du fait que
les organisations internationales disposent de la personnalité juridique
car s'il a été instauré que l'organisation internationale
est un sujet de droit international, elle est alors ipso facto titulaire de la
capacité à conclure des traités et il serait illogique que
celle-ci, en tant que participant des relations internationales, soit
privée du droit de confirmer et d'exprimer sa personnalité par la
conclusion des traités avec d'autres sujets.71 Cette
conception est critiquable sur le point qu'elle positionne les organisations
internationales au même diapason que les Etats72 et qu'elle
tend à universaliser cette compétence à toutes les
organisations à caractère général73.
Pour la seconde école, la capacité des
organisations internationales à conclure des traités ne peut se
comprendre que comme étant une preuve de leur personnalité
juridique. La Cour Internationale de Justice en déclarant que « la
pratique, surtout au point de vue de la conclusion des conventions dont la
partie contractuelle est l'ONU, confirme sa personnalité juridique
internationale »74 s'inscrit indiscutablement à
l'école de déduction inductive de la capacité à
conclure des traités comme preuve de la personnalité
juridique.
Pour la troisième école, il n'existe aucun lien
nécessaire entre la personnalité juridique et la capacité
de conclure des traités ; elle les considère comme les
catégories indépendantes75. Quoiqu'il en soit, le lien
entre la capacité juridique des organisations internationales à
conclure des traités internationaux et leur personnalité
juridique ne peut pas être sérieusement nié.
Par ailleurs la personnalité juridique des
organisations internationales leur donne la capacité de faire des
réclamations internationales (même si celle-ci n'a pas fait
l'objet de reconnaissance explicite par la Charte) dans le cadre des dommages
propres (directement
71 Voir dans ce sens, P. Reuter, Les institutions
internationales, Paris, 1956, p. 232.
72 En principe si les Etats possèdent ex
iure proprio cette compétence, les organisations internationales ne
l'acquièrent qu'ex consenso c'est-à-dire par la conjonction des
volontés des Etats exprimées dans l'acte créateur.
73 Il se révèle que dans la pratique
la capacité des organisations n'est pas identique ; tout est question du
contenu de son texte constitutif. Voir Kasme (B.), La capacité de
l'Organisation des Nations Unies de conclure des traités, Paris,
1960, p. 25
74 CIJ, Recueil 1949, pp. 174 et 179.
75 Pour cette école, la capacité de
conclure des traités des organisations est donnée aux
organisations internationales par la force des règles du droit
international général.
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causés à son patrimoine) ou des dommages
indirects (causés à l'un des agents de l'Organisation). Il est
important de relever, comme la Cour l'a d'ailleurs fait, que
l'opposabilité (notamment à un Etat tiers) de cette
compétence n'est pas la même pour toutes les organisations
internationales. Ainsi à l'exception de l'ONU qui possède une
personnalité internationale objective, les effets de la
personnalité internationale des autres Organisations internationales ne
concernent pas les Etats tiers.
Les attributions de la Cour internationale de justice
répondaient à l'ultime souci de contribuer à la
préservation de la paix et de la sécurité internationale.
Dans ce sens, les avis ont apporté une contribution significative.
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CHAPITRE II : CONTRIBUTION AU MAINTIEN DE LA PAIX ET
DE LA SECURITE INTERNATIONALES
La recherche de la paix et de la sécurité
internationales est l'un des objectifs principaux des Nations-Unies et c'est
d'ailleurs la raison fondamentale de l'existence de l'organisation mondiale.
L'organisation et le fonctionnement76 du système onusien sont
élaborés de manière à parvenir à la
réalisation de cet objectif. La CIJ occupe dans cette mission de
pacification de la Société internationale une place de
référence (Section I). Sa contribution en la matière est
assez éloquent (Section 2).
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