Paragraphe I : Le principe de spécialité
des organisations internationales
Le principe de spécialité est un principe
fondamental en droit des organisations internationales46. Il permet
non seulement de définir les organisations en question mais aussi de les
identifier.
Le principe de spécialité47
évoque l'idée selon laquelle les organisations internationales
sont des sujets dérivés du droit international
créées pour atteindre des objectifs particulièrement
45 Certains auteurs par contre contestent une
éventuelle existence du droit des organisations internationales. Voir
sur ce point, Reuter (P.), Le développement de l'ordre juridique
international, Ecrits de droit international, Paris, Economica, 1995, p.
189-190.
46 Certains auteurs répugnent l'idée
d'existence du droit international propre aux organisations internationales.
Ils arguent qu'étant donné que chaque organisation dispose d'un
acte créateur qui lui est propre, définissant son organisation et
son fonctionnement, on se retrouve en présence de plusieurs droits des
organisations internationales. Il conviendrait de parler « des droits
des organisations internationales » que « du droit des
organisations internationales ». Cf. Reuter (P.), Le
développement de l'ordre juridique international, Ecrits de droit
international, Paris, Economica, 1995.
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fixés par les Etats membres et que c'est la
réalisation de ces objectifs qui détermine l'étendue de
leur compétences (Avis consultatif CIJ 8/07/1996). Le principe de
spécialité clairement reconnu par la Cour internationale de
justice (A) a connu une évolution dynamique dans la jurisprudence de
celle-ci (B).
A- La reconnaissance du principe de
spécialité
Les organes principaux et institutions
spécialisées de l'ONU, aux termes de l'article 96 al.2 de la
Charte des Nations-Unies, ont compétence pour saisir la Cour pour
solliciter des avis consultatifs. A l'analyse de cet article, trois conditions
cumulatives sont requises pour fonder la compétence de la Cour à
donner un avis à la question que lui poserait une organisation
internationale. D'abord, l'institution dont émane la requête pour
avis doit être une organisation dûment autorisée,
conformément à la Charte, à demander des avis à la
Cour. Ensuite, l'avis sollicité doit porter sur une question purement
juridique. Enfin, cette question doit se poser dans le cadre de
l'activité de l'institution.
Si au demeurant, les deux premières conditions ne
posent pas de problèmes majeurs, la troisième condition fait elle
souvent l'objet de controverses eu égard à la multitude des
théories en présence.
C'est justement cette dernière condition qui a permis
à la Cour, dans sa fonction consultative d'exercer un contrôle sur
lesdites organisations et contribuer de ce fait à l'édification
du droit qui doit les régir. Il s'agit ici essentiellement du principe
de la spécialité. La Cour a eu à plusieurs reprises
l'occasion de mettre l'emphase dans ses avis sur le principe de
spécialité qui doit gouverner l'action des OI. Mais c'est dans
son avis sur la licéité de la menace ou de l'emploi de l'arme
nucléaire qu'elle se fera beaucoup plus explicite. Saisie pour avis sur
la base de la résolution WHA46.40 de l'OMS, la question à
laquelle la Cour devait répondre est la suivante : « Compte tenu
des effets des armes nucléaires sur la santé et l'environnement,
leur utilisation par un Etat au cours d'une guerre ou d'un conflit armé
constituerait-elle une
47 Selon Chaumont (Ch.), « la
spécialité, trait commun de toutes les organisations
internationales, signifie donc l'affectation d'une structure à un but
d'intérêt commun, affectation qui implique la limitation de
compétences. Cette limitation s'étend au point de vue des Etats
membres de l'organisation », Chaumont (Ch.), « La signification du
principe de spécialité des organisations internationales »,
in Mélanges Rolin (H.), Problèmes
de droit des gens, Paris, Pedone, 1964, p. 58.
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violation de ses obligations au regard du droit international
y compris la constitution de l'OMS ?».
A la question de savoir si l'organisation mondiale pour la
santé était fondée à saisir la Cour, après
analyse des règles pertinentes de l'organisation notamment sa
constitution48 et la pratique coutumière de l'organisation,
la Cour retient essentiellement « Qu'aucune desdites fonctions
n'entretient avec la question qui lui a été posée de
rapport de connexité suffisant pour que cette question puise être
considérée comme se posant dans le cadre de l'activité de
l'Organisation mondiale pour la santé». Il est important de relever
que de l'avis de la Cour, la question de l'OMS portait directement sur la
licéité de la menace et de l'utilisation de l'arme
nucléaire. Ceci explique parfaitement la position de la Cour lorsqu'elle
a accepté donner son avis sur pratiquement la même question
posée cette fois-ci par le Conseil de
sécurité49. Il s'agit de toute évidence d'une
interprétation restrictive du principe de spécialité.
L'organisation n'a de compétence que celles qui lui ont
été expressément reconnues par les Etats et contenues dans
le traité qui l'institue. La Cour estime que « La
licéité ou l'illicéité de l'utilisation d'armes
nucléaires ne conditionne en rien les mesures spécifiques, de
nature sanitaire ou autres qui pourraient s'imposer pour tenter de
prévenir ou de guérir certains de leurs effets. Que des armes
nucléaires soient utilisées licitement ou illicitement, leurs
effets sur la santé restent identiques ». De la sorte, l'OMS est
incompétente pour saisir la Cour pour avis sur la question
épineuse de l'utilisation ou du recours à l'arme
nucléaire.
Le principe de spécialité, pris sous l'angle
d'une interprétation stricto sensu, a été et même
continue de s'appliquer à des organisations et institutions. En
témoigne la prolifération d'organisations internationales avec
des spécifications précises50. Outre l'avantage de
l'efficacité des organisations internationales du fait de leur
spécialisation, le principe de spécialité contribue dans
une large mesure à éviter les chevauchements de
compétences entre elles.
48 Les fonctions de l'OMS sont résumées
en 22 points de a à v à l'article 2 de son traité
constitutif.
49 Dans sa résolution 49/75K, le Conseil de
Sécurité a saisi la Cour pour qu'elle se prononce sur la
licéité de la menace ou de l'utilisation de l'arme
nucléaire. Ici, contrairement à ce qui était retenu dans
le cas de l'OMS, la Cour a estimé que le Conseil était dans son
domaine de spécialité, savoir la recherche et le maintien de la
sécurité internationale, et donc pleinement recevable au
rôle de la Cour. Cf. Licéité de la menace ou de l'emploi
d'armes nucléaires, AC, 08 juillet 1996, Recueil CIJ 1996.
50 Voir sur ce point KPODAR (A.) « Le principe
de spécialité dans la définition des organisations
internationales », R.B.S.J.A, n°17, 2006, p. 59-61.
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Mais le principe de spécialité a connu, sous
l'influence de plusieurs théories, un certain dynamisme dans son
interprétation et dans son application au point qu'il est, aujourd'hui
légitime de s'interroger sur sa réelle
portée51. La Cour n'a pas manqué de suivre cette
évolution.
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