Paragraphe 2 : Développement du droit des
traités
Les avis de la Cour ont apporté de véritables
contributions aux techniques d'interprétation des traités (A) et
aux conditions de validité des réserves émises par les
parties (B).
A- Les techniques d'interprétation des
traités
La question de l'interprétation des traités en
général en droit international public n'est pas
définitivement tranchée. La polémique gravite autour de la
compétence interprétative s'agissant des personnes ou organes
habiletés à le faire d'abord, et de la cohérence
même du droit qui l'abrite, le droit international public, ensuite.
Au plan des organes, il est patent qu' il n'existe pas en
droit international en général de hiérarchisation
d'organes ou de personnes pouvant imposer leur interprétation d'un
traité ou d'un accord à tous les acteurs contrairement au droit
communautaire qui a institué un organe supra centralisé et
autoritaire pouvant imposer son interprétation aux Etats membres, gage
d'unité et de l'autorité du droit communautaire29.
En droit international, on note une certaine
dispersion30 de la compétence à interpréter un
traité. Cette compétence est partagée entre trois
entités, acteurs de la vie internationale. Il s'agit d'abord des Etats,
acteurs fondamentaux des relations internationales, ensuite des organisations
ou organes internationaux et enfin des organes à vocation judiciaire.
S'agissant tout d'abord des Etats, ils disposent au nom de leur
souveraineté la compétence à donner un sens qui est le
leur aux engagements auxquels ils ont souscrit. Cette compétence leur
est inhérente. Seulement, et ce au nom du principe de la
souveraineté des Etats, cette
29 La Cour de Justice de la Communauté
Européenne (CJCE) s'est vue attribuer aux termes de l'article 177 du
Traité de Rome une compétence obligatoire en matière
d'interprétation des Traités. Son interprétation fait donc
autorité et s'impose à tous les Etats membres.
30 Cette dispersion, outre l'avantage qu'elle a de
contribuer à l'évolution du droit international, présente
l'inconvénient de générer des « conflits
d'interprétation et rend opaque la question de l'appréciation de
la validité constitutionnelle des actes des organes de l'organisation
» ; Cf. BEDJAOUI (M.), Nouvel ordre mondial et contrôle de la
légalité des actes du Conseil de Sécurité,
Bruylant, Bruxelles, 1994, p. 22.
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interprétation n'a de valeur supérieure à
celle d'un autre Etat. L'interprétation des Etats peut prendre des
formes diverses : elle peut s'illustrer soit par des déclarations ou des
attitudes contemporaines ou même postérieures à leurs
engagements, soit par des pratiques juridiques, de conduites ou de
comportements31.
Les organisations internationales ensuite, ont une
compétence interprétative non seulement des traités
auxquels elles sont parties mais aussi de leur charte constitutive. S'agissant
des traités auxquels elles ont souscrit, la compétence
interprétative des organisations internationales s'exprime le plus
souvent par voie de résolution. Ces résolutions constituent dans
la plupart des cas la position concertée des Etats membres servant ainsi
de solution à la dispersion des points de vue. Pour ce qui est des
traités constitutifs, le pouvoir interprétatif est encadré
par le principe de spécialité des organisations internationales.
C'est ainsi, qu'il arrive fréquemment qu'un Etat membre d'une
organisation s'estime ne pas se reconnaitre dans une résolution de cette
organisation parce qu'ayant excédé ses compétences
attributives32.
Pour pallier les contradictions d'interprétations
souvent rencontrées sur la scène internationale, les Etats et
organisations internationales procèdent le plus souvent par voie
d'interprétation concertée. L'interprétation qui en
découle fait autorité parce que provenant des parties ayant
elles-mêmes élaboré la règle en question. Cette
concertation peut se faire soit d'une manière authentique
c'est-à-dire formelle ou par des comportements des différentes
parties.
La compétence reconnue à des organisations
à vocation judiciaire d'interpréter des traités litigieux
est une sorte d'interprétation concertée en ce qu'il faut au
départ que les parties consentent leur soumettre le différend. La
CIJ s'est vue reconnaitre la compétence d'interpréter les
traités suivant les dispositions de l'article 36 alinéa a de son
statut. Mais si le principe est largement accepté en ce qui concerne les
traités bilatéraux et multilatéraux, la réticence
demeure grande s'agissant notamment de la compétence de la Cour à
se prononcer
31 Il faut relever que ces possibilités sont
déduites des dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des
traités pouvant aider à élucider un traité
ombrageux. Cf. les articles 31 et suivants de ladite Convention.
32 Tel a été l'attitude de l'ex URSS
et d'autres pays socialistes par rapport à la résolution A/37/98
D du 13 décembre 1982 de l'AG confiant des pouvoirs d'enquête au
Secrétaire Général. La polémique a
été grande s'agissant de la résolution de l'AG 1583 (XV)
et 1590 (XV) du 20 décembre 1960 ; 1595 (XV) du 03 avril 1961, 1619N
(XV) du 21 avril 1961 et 1633 (XVI ) du 30 octobre 1961 relatives aux
opérations des NU au Congo entreprises en exécution des
résolutions du Conseil de Sécurité en date des 14 juillet,
22 juillet, et 09 aout 1960 et 21 novembre 1960 ainsi que les
résolutions de l'AG 1474 (ES-IV) du 20 septembre 1960.
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sur le contenu de la Charte. Elle est encore plus accrue
s'agissant du contrôle effectué par la Cour sur les actes du
Conseil de sécurité pris suivant les dispositions de la Charte.
Les raisons évoquées sont entre autres, la crainte d'une
paralysie ou d'un retardement de l'action du Conseil33 et la crainte
de voir le Conseil enserrer dans un carcan juridique défini par la Cour
et incompatible aux fins politiques34.
La CIJ dans l'exercice de sa compétence
interprétative des traités s'inspire des modalités et
méthodes d'interprétation définies dans la Convention de
Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (entrée en vigueur
le 27 janvier 1980). La Convention de Vienne en ses articles 31 à 33
définit la règle générale à suivre en
matière d'interprétation des traités et les
méthodes complémentaires lorsque l'application de la règle
générale se révèlerait insuffisante. Ainsi, suivant
l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, «
Un traité doit être interprété de bonne foi suivant
le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur
contexte et à la lumière de son but ».
On note trois méthodes dans cette règle
générale d'interprétation des traités. D'abord, il
faut s'en tenir au sens ordinaire des dispositions du traité. A cet
effet, la CIJ dans son avis consultatif du 08 juin 1960 a déclaré
que « Les termes doivent être interprétés suivant leur
signification naturelle et ordinaire, selon le sens qu'ils ont normalement dans
leur contexte. C'est seulement si leurs termes sont équivoques qu'il
faut recourir à d'autres interprétations »35.
Ensuite, on peut faire recours au contexte d'élaboration du
traité. Le contexte selon la Convention de Vienne sur les traités
se résume au texte, au préambule et aux annexes inclus, les
accords ayant des rapports avec le traité en cause, et instruments
acceptés par les parties36.
33 « Si nous prenons chaque fois la décision de
renvoyer une question à la Cour avant de décider de prendre une
mesure quelconque, en définitive nous n'aurons jamais la
possibilité d'agir ». Cf. Conseil de Sécurité,
195ème séance, 26 aout 1947, p.2215 (sur la question
indonésienne).
34« Si nous nous enfermons dans ce cadre rigide, nous
trouverons sans doute fort gênant quand nous essayerons de
résoudre les problèmes d'un monde qui évolue très
rapidement » Cf. Conseil de Sécurité,
195ème séance, 26 aout 1947, p.2215 (sur la question
indonésienne).
35 Cf. « la composition du comité de
sécurité maritime de l'organisation intergouvernementale
Consultative de la navigation Maritime » CIJ, 08 juin 1960, Rec. CIJ 1960,
P.36 ; « Interprétation de la convention de l'OIT de 1929 sur le
travail de nuit des femmes » CPJI, avis n°50, 15 novembre 1932 «
le texte de l'article 3 considéré isolement ne soulève par
lui-même aucune difficulté : il est rédigé en termes
généraux exempts d'ambigüités ou d'obscurités
» ; « Interprétation de l'article 4 de la Charte » «
pour admettre une autre interprétation que celle qu'indique le sens
naturel des termes, il faut une raison décisive », CIJ, AC, du 28
mai 1948, Rec. CIJ 1948.
36 Voir CPJI, arrêt du 30 aout 1924, affaire
Mavrommatis « Pour examiner la question pendante devant la cour, à
la lumière des termes mêmes du traité, il faut
évidemment lire celui-ci dans son ensemble, et l'on ne saurait
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Enfin, la Cour fait souvent recours au but de la convention ou
à l'effet utile du traité37.
Au rang des moyens complémentaires
d'interprétation des traités, on retrouve l'interprétation
du comportement des parties38, les travaux
préparatoires39 et les circonstances de conclusion du
traité.
La Cour très souvent, en matière
d'interprétation des traités, s'écarte de la question qui
lui a été posée si celle-ci se trouve être mal
formulée40, ou examine le contexte de la demande41
ou encore cherche à clarifier la question lorsque celle-ci est floue ou
vague42.
L'aspect épineux des réserves aux conventions,
pratique suivie souvent par les Etats au nom de leur souveraineté, a
fait aussi l'objet de clarification dans les avis de la haute Cour.
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