B- La prolifération de juridictions
spécialisées
Le phénomène de la multiplication des
juridictions sur la scène internationale, largement commenté au
sein de la doctrine, sera, dans le cadre de notre analyse, abordé sous
uniquement l'aspect de ses incidences sur la juridiction de la
Cour140.
L'architecture du système onusien laisse planer un
doute sérieux sur la qualité de la Cour par rapport aux autres
juridictions au plan international. S'il est en effet, indiscutable que la Cour
jouit d'une grande notoriété et autorité morale, sa
prééminence sur d'autres juridictions n'est pas acquise.
L'Article 92 de la Charte des Nations-Unies, en faisant de la Cour l'organe
judiciaire principal des Nations-Unies, lui accorde, sur un plan purement
institutionnel, une position hiérarchiquement supérieure par
rapport aux autres juridictions. Cette supériorité est rapidement
recadrée voire niée par l'Article 95 qui précise en
substances qu' « Aucune disposition de la présente Charte
n'empêche les membres de l'organisation de confier la solution de leurs
différends à d'autres tribunaux en vertu d'accords
déjà existants ou qui pourront être conclus à
l'avenir ». De ce fait, la Cour apparait, au plan relationnel, comme une
juridiction parmi tant d'autres141. La
prétendue supériorité est décriée par
d'autres juridictions notamment le Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (TPIY) dans la célèbre affaire Tadic en ces
termes, « En droit international, chaque tribunal est un système
autonome » et « Il n'existe aucun lien hiérarchique entre le
tribunal et la CIJ »142. Certains auteurs ont
vu dans cette affaire Tadic, à la lumière des conclusions du
tribunal qui sont quasiment opposées à celle de la CIJ, une
certaine « guerre des droits »143.
140 La multiplication des juridictions fait
l'objet de plusieurs analyses doctrinales. Voir à cet effet ABI-SAAB
(G.), « Fragmentation or unification : Some concluding remarks »,
Symposium NYU, 2000, p. 919ss.
141DUPUY (R. -J.), Le droit
international, Paris, PUF, 2001.
142 Celebici, Delalic et Consort, Arrêt du
20 février 2001.
143 Cette lecture est contestée par
une partie de la Cour qui ne voit en cette affaire un cas solitaire. Aussi
relèvent-ils qu'on ne peut prétendre parler d'une fragmentation
du droit international du fait de la multiplication des juridictions
étant donné qu'il reste lui-même profondément
relatif, fragmenté, tiraillé et éclaté aussi bien
dans son interprétation que dans son application. Voir FOURET (J.) et
PROST (M.), « La multiplication des juridictions
internationales : De la nécessité de remettre quelques pendules
à l'heure », Revue québécoise de droit
international, 2002, p. 120ss.
69
La Cour, hors du cadre purement institutionnel est
concurrencée par l'émergence de juridictions
spécialisées permanentes ou non. C'est le cas notamment de
l'arbitrage international qui, malgré son coût assez
élevé, reste largement préféré par les
Etats. Le tribunal de la mer crée par la Convention de Montego Bay du 10
décembre 1982 (entrée en vigueur le 16 novembre 1996) prive, en
ce qui la concerne, la Cour d'un pan considérable de sa
compétence qu'est l'arbitrage des conflits relatifs à la mer.
Dans cette lignée, il convient de faire aussi référence
aux projets judiciaires régionaux.
Somme toutes, l'exercice pour nous n'a pas consisté
à faire un procès au phénomène de multiplication de
juridictions spécialisées et régionales144,
mais de montrer en quoi elles constituent des concurrents sérieux de la
Cour - ce qui explique d'ailleurs sa moindre sollicitation - afin de verser
dans des réflexions pouvant contribuer à son éclosion.
144 Pour CAFLISCH (L.), « Cent ans de règlement
des différends interétatiques », RCADI, 2001, p.
300 : « Il semble préférable de multiplier les moyens de
règlement, même si ceux-ci peuvent se chevaucher, plutôt que
de chercher à les tenir bien distincts et de s'exposer au risque de ne
couvrir que partiellement les différends à venir : le trop plein
dans ce domaine est clairement préférable au trop vide.
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CHAPITRE II : LA NECESSITE DE LA REVALORISATION DE
LA FONCTION CONSULTATIVE
La réforme de la Cour, organe judiciaire principal des
Nations-Unies, s'impose aujourd'hui. En effet, malgré la vague de
réformes qu'a connue l'Organisation mondiale notamment ses organes
politiques après la seconde guerre mondiale étalant les carences
de la SDN, la Cour est restée malheureusement presque identique à
sa devancière, la CPIJ.
La nécessité de sa réforme, à la
lumière des nouvelles exigences de la vie internationale, se
révèle incontournable (Section I). Dans cet ordre d'idée,
des voix, pas des moindres, aussi bien au sein de la doctrine qu'au sein des
acteurs politiques, se sont-elles fait entendre : « Je crois, disais, M.
José Figueres Olsen, que les défis sans précédent
que pose le monde actuel obligent, en effet, la Cour à s'adapter aux
nécessités politiques »145.
Cette réforme, malgré l'adhésion qu'elle
suscite, se heurte à de considérables obstacles aussi bien
politiques qu'institutionnels laissant planer une incertitude sur son heureux
aboutissement (Section 2).
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