Section 2 : Une fonction consultative
ombragée
La moindre visibilité des vertus de la fonction
consultative de la Cour est imputable d'abord, suivant le système des NU
à la prééminence de la fonction contentieuse (Paragraphe
1) et à la concurrence dont elle fait l'objet de la part des autres
mécanismes de règlement des différends et la
prolifération de juridictions spécialisées au plan
international (Paragraphe 2).
Paragraphe I : La prééminence de la
procédure contentieuse
La prééminence de la procédure
contentieuse à la procédure consultative est due au fait que,
d'une part, les Etats continuent, suivant le schéma traditionnel,
d'être les « maîtres » de la vie internationale (A), et
d'autre part, que les organes et institutions autorisés à
solliciter l'avis de la Cour, rencontrent certains obstacles (B).
A- Les Etats comme acteurs principaux
Le système mis en place à San Francisco n'est
pas de nature à permettre une plus large utilisation de la fonction
consultative de la Cour internationale de justice, organe judiciaire principal
de l'organisation mondiale. Ce système, en conférant une part
belle aux Etats, acteurs principaux des relations internationales, consacre
indirectement la prééminence de la fonction contentieuse sur
celle consultative de la Cour étant justement donné que seuls les
organes et institutions des Nations-Unies autorisés par la Charte ont la
possibilité de solliciter l'avis de la Cour. L`Article 34 alinéa
1 du Statut de la Cour précise que « Seuls les Etats ont la
qualité pour se présenter devant la Cour ». La
compétence de la Cour est subordonnée au consentement
préalable des Etats. Les Etats peuvent saisir la Cour de trois (03)
manières possibles : 1. Soit en vertu d'un accord «compromis»
conclu entre eux dans le but précis de soumettre leur différend
à la Cour ; 2.Soit en vertu d'une clause juridictionnelle : c'est le cas
surtout où les Etats concernés sont partis à un
traité dont l'une des dispositions permet la soumission à la Cour
des différends concernant l'interprétation ou l'application dudit
traité. A
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l'heure actuelle, plus de trois cents traités ou
conventions contiennent des clauses de ce genre ; 3. Soit par l'effet
réciproque de déclarations faites aux termes du Statut et en
vertu desquelles chacun des Etats en cause a accepté la juridiction de
la Cour comme obligatoire pour leurs différends avec un autre Etat ayant
fait une telle déclaration. Les déclarations de soixante-sept
(67) Etats sont actuellement en vigueur. Un certain nombre d'entre elles sont
toutefois assorties de réserves qui excluent certaines catégories
de différends.
Ce système n'offre pas la possibilité aux Etats
à saisir la Cour afin d'obtenir son opinion sur une question juridique
qu'ils estiment important. Lorsqu'en 1947, dans l'affaire touchant à la
compétence du Conseil de sécurité, le représentant
de la Colombie affirmait en méconnaissance des dispositions de la Charte
et du Statut de la Cour que, « Le gouvernement des Pays-Bas, après
avoir formulé ses réserves ici, peut, à n'importe quel
moment, saisir la Cour international de justice et lui demander
d'apprécier la légalité de la
Résolution129 », il mettait indirectement en question le
système onusien en matière de demande d'avis. Le
représentant des Pays-Bas lui avait répondu en ces termes, «
Seul peut demander un avis consultatif un organe habileté à le
faire par la Charte des Nations-Unies elle-même ou soit en
conformité de la Charte. Cette demande peut émaner du Conseil de
sécurité ou de certains organes, mais elle ne peut émaner
d'un Etat membre »130. Les Etats ne sont donc pas
autorisés à déférer directement les
décisions ou résolutions de leurs organes ou institutions qu'ils
contestent devant la Cour pour avis. Les différends qui opposeraient
aussi l'organe aux Etats membres ne peuvent directement être
tranchés par avis de la Cour. La seule possibilité offerte aux
Etats est de convaincre l'organe concerné de la nécessité
à saisir la Cour afin d'obtenir de l'éclairage sur la question
juridique en cause.
En effet, les Etats ont la possibilité de demander
à l'organe politique auquel ils appartiennent de solliciter l'avis de la
Cour sur une question juridique controversée donnée. Seulement,
cette possibilité est dans la pratique difficilement utilisable. Selon
Bendjoui (M.), cette difficulté à faire admettre à
l'organe politique l'utilité de consulter la Cour peut avoir deux (02)
origines, soit la question soulevée est d'une moindre importance ou
soit, l'Etat est faible ou isolé131.
129 Conseil de Sécurité, 173è séance,
1er août 1947, p. 1693.
130 Idem.
131BENDJAOUI (M.), Nouvel ordre mondial et
contrôle de la légalité des actes du Conseil de
sécurité, Bruylant, Bruxelles, 1994, p. 97.
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Dans la première hypothèse, en principe, les
décisions des organes politiques s'imposent aux Etats qui ont
l'obligation de s'y soumettre. Les questions de moindres importances ou
frivoles d'un Etat sont considérées comme un frein à
l'action de l'organe politique et donc ne suscitent pas un grand
intérêt au point de convaincre l'organe à saisir la
Cour.
Dans la seconde hypothèse par contre, il n'est pas
aisé pour un Etat faible ou isolé de pouvoir obtenir
l'adhésion d'autres Etats au point d'avoir la majorité
exigée pour faire plier l'organe ou l'institution à la
nécessité de demander l'opinion de la Cour.
Ce schéma entraine de facto une utilisation moindre de
la procédure consultative par rapport à la procédure
contentieuse largement utilisée par les Etats. La pratique de la Cour -
sur le plan quantitatif - est largement illustrative. En effet depuis sa
création en 1946 en lieu et place de la CPJI, la CIJ a rendu cent onze
(111) arrêts contre seulement vingt-sept (27) avis
consultatifs132.
Les organes et institutions habilités à saisir
la Cour pour avis rencontrent en pratique des obstacles à l'utilisation
de cet arsenal juridique qui leur est offert.
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