B- L'exception au principe : la légitime
défense
L'objectif des Etas n'était pas de mettre hors la loi
l'usage de la force dans leurs rapports mutuels - ce qui serait d'ailleurs
utopiste - mais plutôt de l'encadrer suffisamment. De ce fait, le
principe de non recours à la force dans les rapports entre Etats est
assorti d'exceptions. Il s'agit tout d'abord de la prérogative reconnue
au Conseil de sécurité d'intervenir par la force en cas de
constatation d'une situation de menace contre la paix ou de rupture de la paix
(chapitre VII de la Charte) et ensuite le cas de la légitime
défense.
L'article 2 paragraphe 4 de la Charte doit être en effet
lu en rapport avec l'article 51 du chapitre VII de la Charte, consacré
à l'action du Conseil de sécurité des Nations-Unies en
vue
105 Voir, affaire licéité de la menace ou de
l'emploi d'armes nucléaires, AC, 8 juillet 1996 ; Conséquences
juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien
occupé, AC, 9 juillet 2004.
106 Voir, activité militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 26 novembre 1984.
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du maintien de la paix et de sécurité
internationales, qui consacre explicitement la légitime défense
comme exception de l'interdiction générale du recours à la
force. La Charte affirme en cet article qu'« Aucune disposition de la
présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime
défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des
Nations-Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que
le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires
pour maintenir la paix et la sécurité internationales ».
La légitime défense exprime l'idée de
défense par un Etat agressé ou la défense d'un autre Etat
par un Etat tiers justifiée par la réciprocité des
relations internationales. L'article 51 tout en donnant les caractères
de la légitime défense, l'assortit de conditions. S'agissant des
caractères de la légitime défense, il précise
qu'elle est un droit naturel, immuable et universel. La Cour précise
qu'il s'agit d'une règle coutumière107. Elle peut
intervenir soit dans un cadre individuel ou dans un cadre collectif surtout
dans le cadre d'accords conclus entre certains Etats108
(Traité de l'Atlantique Nord de 1949 ; Pacte de Varsovie de 1955).
Le recours à la légitime défense est
strictement encadré. D'abord, il doit s'agir d'une agression
dirigée contre un membre des Nations-Unies. Mais la pratique montre
qu'il s'applique aussi à certains Etats comme la Suisse. Les
débats sur son éventuelle application aux organisations
internationales ne sont pas encore tranchés totalement.
Ensuite, il doit s'agir d'un cas d'agression. La Charte ayant
gardé un mutisme sur le sens et la portée de l'agression, la
pratique des Etats ont conduit à une extrapolation du champ d'action de
la légitime défense. Selon la
Résolution109« l'agression est l'emploi de la force
armée par un Etat contre la souveraineté,
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un
autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des
Nations-Unies ». Pour la Cour, on ne peut parler d'agression « qu'en
cas d'opération militaire de grande ampleur. Il n'y a pas forcement une
confrontation directe d'armée à armée ; l'envoi de bandes
armées dans un
107 Voir, activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 26 novembre 1984.
108 Craignant la menace de la paix du fait de ces accords
entre Etats les amenant à agir au titre de la légitime
défense, la Cour encadre cette faculté en précisant dans
l'arrêt sur les activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 26 novembre 1984, que
l'Etat agressé doit faire une déclaration expresse
vis-à-vis des Etats dont il sollicite de l'aide.
109 Cf. Résolution 3314 (XXIX) du14 décembre
1974. L'article 3 alinéa g ajoute que l'agression est la « forme la
plus grave et la plus dangereuse de l'emploi illicite de la force ». Cette
résolution donne une liste non exhaustive des actes constitutifs
d'agression : envoi de forces armées dans le territoire d'un autre Etat
sans son consentement, le survol non autorisé du territoire d'un Etat
par des aéronefs militaires d'un autre Etat, la forte concentration des
troupes armées régulières à la frontière
d'un autre Etat etc.
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autre Etat suffit »110. Dans son avis de 1996,
la Cour précise qu'on ne peut parler d'agression que lorsque celle-ci
« met en cause la survie » de l'Etat agressé111.
Il faut relever que les différentes approches ne
comblent pas le vide juridique relatif aux simples menaces contre un Etat ni le
cas d'agression de groupes terroristes. Cet état de chose a conduit
à des prises de positions diverses par les Etats justifiant leurs
actions par leur droit inaliénable de la légitime
défense.
En matière de menaces, le cas le plus exprès est
celui de l'attaque de l'Irak par les Etats Unis arguant l'existence d'une
véritable menace de leur sécurité par le fait que l'Irak
disposerait d'armes à destruction massive. La fameuse théorie
montée à cette occasion fut celle de la légitime
défense préventive. Même si, au sein de la doctrine, les
pourfendeurs et les défendeurs s'affrontent par leurs argumentaires, il
ne fait pas de doute que cette théorie ne cadre pas avec les exigences
de la légitime défense. En effet, la légitime
défense suppose l'existence réelle et prouvée d'une
agression ; elle doit en outre lui être postérieure et la riposte
doit remplir le critère de proportionnalité. Dans le cadre de
l'attaque des Etats Unis d'Amérique, il est incontestable que ces
conditions sont loin d'être réunies. La position idéale
à adopter en la matière pour être compatible avec les
objectifs de la Charte consisterait à laisser au Conseil de
sécurité la seule compétence à constater
l'existence de menace et à déterminer les actions à mener
pour y mettre fin. Tel semble être la position du Conseil exprimée
dans sa Résolution 1441.
Les cas d'agression du fait de groupes non étatiques
soulèvent également quelques difficultés. En effet peut-on
légitimement évoquer la légitime défense pour
justifier une intervention (recours à la force) contre un groupe
terroriste ? La position de la Cour en la matière n'a pas fluctué
: l'agression doit être imputable à un Etat. Ainsi, la Cour n'a
pas légitimé la construction du mur par Israël en territoire
palestinien occupé112 du fait que les attaques dont il fut
l'objet ne peuvent pas être imputées à la Palestine dont il
nie d'ailleurs l'existence.
Mais la pratique semble laisser croire à une extension
du champ d'action de la légitime défense. Dans l'affaire relative
à l'attaque d'Israël au Liban, la Cour pour exclure le droit de
110 Voir, activité militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 26 novembre 1984.
111Voir, affaire licéité de la menace ou
de l'emploi d'armes nucléaires, AC, 8 juillet 1996.
112 Voir, Conséquences juridiques de
l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, AC,
9 juillet 2004.
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la légitime défense évoqué par
Israël pour justifier son action, l'a fait sous l'aspect de la
disproportion de la riposte. Il semble exister dès lors une implicite
consécration du droit de légitime défense une fois que le
principe de proportionnalité et le respect du droit international en
général sont réunis. Tel fut la position du Conseil de
sécurité dans sa Résolution S/RES/1368 adoptée en
toute précipitation le 12 septembre 2001. Il serait
préférable dans cette hypothèse de faire agir la
légitime défense dans un cadre collectif pour ne plus retomber
dans les risques liés à l'unilatéralisme des actions des
Etats.
La contribution de la Cour au travers de ses avis dans le
cadre de sa compétence consultative est, on ne peut en douter,
véritablement significative. Cette contribution peut, cependant,
être rehaussée en corrigeant certaines carences et obstacles
inhérents à l'organisation et au fonctionnement de la Cour.
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DEUXIEME PARTIE
UNE FONCTION REVALORISABLE
La Cour internationale de justice occupe une place
stratégique dans le système onusien de maintien de la paix et de
la sécurité internationales. Elle a fait ses preuves en apportant
sa contribution sur divers plans en vue de la pacification de la
Société mondiale par le bais de la promotion et la valorisation
du droit international.
Etant donné que cette société
internationale est en perpétuelle mutation, la Cour est appelée
à faire face dans le futur à des besoins nouveaux où son
apport serait très important. La Cour, pour être au rendez-vous,
doit pouvoir entreprendre une réforme de son système judiciaire
en introduisant, aussi bien dans son organisation que dans son fonctionnement,
des innovations remarquables et décisives (Chapitre 2) après un
diagnostic des handicaps ou obstacles actuels qui freinent son dynamisme
(Chapitre I).
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