B- La position de la Cour
Le droit à l'autodétermination des peuples est
un droit fondamental reconnu à chaque peuple. Il n'y a plus, de l'avis
de la Cour, de raisons qu'un peuple soit privé de ce droit par le biais
d'un quelconque assujettissement. Telle est la position de la Cour dans son
avis sur l'indépendance de la Namibie du 21 juin 197199. Les
faits de l'espèce sont assez complexes. En effet, il s'est agi d'une
requête pour avis adressée à la Cour par l'AG suite au
refus d'obtempérer de l'Afrique du Sud à la résolution 276
du Conseil de Sécurité de l'ONU lui demandant de mettre fin
à son mandat sur le territoire de la Namibie. Il faut préciser
que le mandat en question confié par la SDN à l'Afrique du Sud
visait en général le bien-être et le développement
des peuples qui n'ont pas encore la capacité de se gouverner par
eux-mêmes ; c'est la mission sacrée de civilisation suivant les
dispositions de l'Article 22 p1 du Pacte de la SDN. Cette mission était
confiée à des Nations dites civilisées qui sont capables
de l'assumer en raison de leurs ressources, de leurs expériences et de
leur position géographique. A l'exception des mandats de type A
utilisés pour des communautés déjà dotées
d'une constitution et appelées à accéder rapidement
à l'indépendance, la Cour devait, pour répondre à
la question qui lui est posée, reconsidérer et ré-encadrer
la mission confiée à l'Afrique du Sud par le mandat de type C qui
excluait le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
99Conséquences juridiques pour les Etats de
la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie, AC, 21 juin 1971,
Rec. CIJ 1971.
45
De l'avis de la Cour, à la lumière de
l'évolution des relations internationales et du droit international, les
termes (rédigés en caractères évolutifs) de
l'article 22 du mandat litigieux notamment la notion de « mission
sacrée de civilisation » doit exclusivement s'entendre en une
mission qui a pour objectif ultime l'autodétermination et
l'indépendance des peuples en cause. Par son avis, la Cour a ainsi
contribué à l'indépendance si attendue de la Namibie.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a
retenu également l'attention de la Cour dans son avis sur la
construction d'un mur par Israël en territoire palestinien occupé
qui était à l'issue de la première guerre mondiale
placé sous mandat de type A par la SDN et confié à la
Grande - Bretagne. Il devait donc acquérir son indépendance
provisoirement suivant l'article 22 du Pacte de la SDN qui dispose que «
Certaines communautés, qui appartenaient autrefois à l'Empire
Ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur
existence comme nations indépendantes peut être reconnue
provisoirement ».
Les évènements postérieurs n'ont pas
permis l'accession de la Palestine à l'indépendance, notamment
l'annexion israélienne. La Cour, pour se prononcer sur la
légalité ou non du mur construit par Israël, a tout d'abord
rappelé sa position exprimée dans son avis sur « Le statut
international du Sud-Ouest africain » relative aux mandats en
général à savoir que : « Le mandat a
été créé, dans l'intérêt des habitants
du territoire et de l'humanité en général, comme une
institution internationale à laquelle était assigné un but
international : la mission sacrée de civilisation » avant de viser
les différents textes qui consacrent le droit
ergaomnes100 des peuples à leur libre disposition.
Ainsi, a-t-elle évoqué le paragraphe 4 de l'article 2 de Charte
des NU (supra), la résolution 2526 de l'AG 101qui
souligne que « nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou
l'emploi de la force ne sera considérée comme légale
» et fait obligation à « tout Etat de s'abstenir de recourir
à toute mesure coercitive qui priverait (les peuples) de leur droit
à l'autodétermination ».Elle a également visé
l'article premier commun au Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (supra) qui réaffirme le droit de
tous les peuples à disposer d'eux-mêmes et fait obligation aux
Etats parties de faciliter la réalisation de ce droit
conformément aux dispositions de la Charte.
100 Voir Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt CIJ
du 30 juin 1995.
101 Résolution 2526 de l'AG de l'ONU du 24 octobre
1970.
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A la lumière de tous ces textes et des
différents accords conclus sous l'égide de l'ONU, la Cour
déduit une violation par Israël, puissance occupante, du droit
sacré de la libre disposition du peuple palestinien et fait obligation,
d'une part, à Israël de mettre un terme aux violations du droit
international dont il est l'auteur et cesser immédiatement les travaux
d'édification du mur et, d'autre part, à tous les Etats à
ne pas reconnaitre la situation illégale découlant de la
construction dudit mur. Même si dans la pratique on peut regretter
l'application qui n'est pas faite de cet avis, l'apport de la Cour reste de
toute évidence fondamental.
Tel était également la conclusion de la Cour en
1975 dans son avis sur le Sahara Occidental102, en reconnaissant que
le territoire du Sahara Occidental n'était pas un terra nullius
avant la colonisation par l'Espagne et qu'il avait des liens juridiques
d'allégeance avec le Maroc et l'ensemble mauritanien, lesquels ne sont
pas de nature à entraver « l'application du principe
d'autodétermination grâce à l'expression libre et
authentique de la volonté des populations du territoire ». Ici
aussi, l'on regrette la non flexibilité des puissances impliquées
notamment le Maroc, la Mauritanie et l'Algérie pour un dénouement
de la situation conflictuelle dans la région malgré l'avis de la
Cour.
Par ailleurs, l'avis consultatif de la Cour sur
l'indépendance kosovare103 en estimant « que l'adoption
de la déclaration d'indépendance du 17 février 2008 n'a
violé ni le droit international général, ni la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, ni le cadre
constitutionnel» malgré les multiples critiques dont il fut l'objet
aussi parmi les juges104 qu'au sein de la doctrine, a
considérablement contribué à la consolidation de la paix
dans les Balkans.
L'autodétermination n'est strictement pas synonyme dans
la pratique d'absence d'heurs entre Etats souverains. L'utilisation de la force
souvent rencontrée sur la scène internationale a occupé
une place sensible dans les avis de la Cour.
102Sahara occidental, AC, 16 octobre 1970, Recueil
CIJ, 1976.
103 Cf. Conformité au droit international de la
déclaration unilatérale d'indépendance relative au
Kossovo, AC, 22 juillet 2010.
104 Dans son opinion dissidente, le juge KOROMA estime que la
conclusion de la Cour ne tient pas sur un plan juridique en ce qu'elle risque
de créer un précédent permettant à tout groupe
ethnique, linguistique ou religieux de déclarer son indépendance
et de se séparer de l'Etat dont il fait partie sans le consentement de
ce dernier, et en dehors du contexte de la décolonisation. Ceci
reviendrait ni plus ni moins à annoncer aux groupes dissidents du monde
entier qu'ils sont libres de contourner le droit international, pourvu,
simplement qu'ils agissent d'une certaine manière et rédigent une
déclaration unilatérale d'indépendance dans certains
termes.
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