Section 2 : La paix et la sécurité
internationales dans la jurisprudence de la Cour
Les avis consultatifs de la CIJ ont contribué
significativement à la consolidation de la paix et de la
sécurité internationale en reconnaissant d'une part le droit
à l'autodétermination de certains peuples (Paragraphe I) et
d'autre part en limitant l'usage de la force (Paragraphe 2).
Paragraphe I : En matière du droit à
l'autodétermination
Nous examinerons le contenu du principe du droit à
l'autodétermination (A) avant de relever la position de la Cour en la
matière (B).
A- Le contenu du droit à
l'autodétermination
Le droit à l'autodétermination est un principe
cardinal du droit international public. L'idée de liberté qu'il
véhicule découle directement de la philosophie des
lumières, notamment celle de
92 CIJ, Mémoires, Personnel diplomatiques et
consulaires des Etats-Unis à Téhéran, p. 29.
93 Voir, Avis sur certaines dépenses des
Nations Unies, Avis Consultatif, 20 juillet 1962.
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J. J. ROUSSEAU94. Encore appelé le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit à
l'autodétermination95 des peuples est le principe selon
lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer
la forme de son régime politique et de sa voie de développement
sans aucune ingérence externe. Il sous-tend par ailleurs la
souveraineté pleine et entière sur les ressources dont regorge
son territoire.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes fut
consacré par des textes aussi bien internationaux que régionaux.
Sur le plan international, on peut faire référence entre autres
à la Charte des NU qui énonce déjà dans son article
premier que l'objectif de l'Organisation est de « développer entre
les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de
l'égalité des droits des peuples et de leur droit à
disposer d'eux-mêmes ». Dans son article 55, la Charte rappelle le
même objectif, en prévoyant que l'ONU entend promouvoir le
développement économique et social, la coopération
internationale et le respect universel des droits humains « en vue de
créer les conditions de stabilité et de bien-être
nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et
amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité
des droits des peuples et de leur droit à disposer
d'eux-mêmes». La contribution concrète de l'ONU
relative à l'autodétermination des peuples a été
matérialisée par la résolution 1514 (XV) de l'AG en date
du 14 décembre 1960. Dans cette résolution sur « L'octroi de
l'indépendance aux pays et peuples coloniaux », les Etats ont
reconnu que « Tous les peuples ont le droit à
l'autodétermination » et ont proclamé solennellement
que« La sujétion des peuples à une subjugation,
à une domination et à une exploitation étrangères
constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme, est contraire
à la Charte des Nations - Unies et compromet la cause de la paix et de
la coopération mondiales ».L'article 1er commun aux deux
Pactes - le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques-
se fait plus explicite sur la question de la libre disposition des peuples
:« 1. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En
vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et
assurent librement leur développement économique, social et
culturel.2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples
94Ce principe fut reconnu premièrement par
Lénine qui dans son écrit « La révolution sociale
et le droit des Nations à disposer d'elles-mêmes »
considérait le droit à l'autodétermination comme un
critère général de la libération des peuples
opprimés. Il fut proclamé pendant la première guerre
mondiale dans les 14 points de Wilson afin de légitimer les nouvelles
frontières de l'Europe.
95 Certains auteurs lient le droit à
l'autodétermination au principe des nationalités, cf. DALLIER(P.)
et PELLET (A.), Droit international public,Nguyen Quoc Dinh, Paris,
LGDJ, 6éd., 1999, p. 61. D'autres par contre les différencient.
Selon SCELLE (G.), alors que dans la première hypothèse la
volonté prédomine, dans la seconde, elle est purement secondaire,
cf. SCELLE (G.), Précis du droit des gens, Paris, Sirey, 1932,
II, p. 257.
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peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs
ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui
découlent de la coopération économique internationale,
fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit
international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses
propres moyens de subsistance.3. Les Etats parties au présent Pacte, y
compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires non
autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la
réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et
de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des
Nations-Unies ». La Déclaration relative aux principes de
droit international touchant les relations amicales et la coopération
entre les Etats conformément à la Charte met l'accent sur «
Le droit des peuples à déterminer leur statut politique, en toute
liberté et sans ingérence extérieure et de poursuivre le
développement économique, social et culturel
»96.
Sur le plan régional, la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples dispose à son article 20 que « Tout peuple a
droit à l'existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et
inaliénable à l'autodétermination. Il détermine
librement son statut politique et assure son développement
économique et social selon la voie qu'il a librement choisie. Les
peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer
de leur état de domination en recourant à tous moyens reconnus
par la communauté internationale. Tous les peuples ont droit à
l'assistance des Etats parties à la présente Charte, dans leur
lutte de libération contre la domination étrangère,
qu'elle soit d'ordre politique, économique ou culturel
»97.L'acte final d'Helsinki qui constitue le texte fondateur de
l'Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE) adoptée le 1er aout 1975 consacre le principe
de l'autodétermination dans son chapitre VIII. La Convention
Américaine des Droits de l'Homme pour sa part ne consacre pas
explicitement le principe. Mais plusieurs de ses dispositions peuvent
être utilisées pour sauvegarder ce droit98.
Le droit à l'autodétermination a
contribué à l'indépendance entière de certains
peuples colonisés ou occupés. Seulement il n'est pas sans
soulever certaines inquiétudes notamment le
96 Cf. la Résolution 2625 de l'AG
adoptée le 24 octobre 1970. On retrouve les mêmes dispositions
à l'article 1.2 de la Déclaration et le programme d'action de
Vienne adoptée en juin 1993 à l'issu de la 2ème
conférence sur les droits de l'homme.
97 Le droit à l'autodétermination des
peuples est fortement exprimé dans la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples. Qualifié de droit imprescriptible et
inaliénable, le droit à l'autodétermination peut
être, suivant les dispositions de cette Charte, arraché par tout
moyen et si nécessaire avec le concours des autres Etats partis à
la Charte (articles 20 et 21 de la Charte).
98On peut faire référence aux
articles 4 (droit à la vie) ; 11 (droit à la protection de
l'honneur et de la dignité de la personne) ; 21 (droit de la
propriété privée).
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risque de balkanisation du monde que le principe contient en
germe. C'est dans cette optique que le droit à
l'autodétermination fut encadré par deux principes cardinaux que
sont, le principe de l'intégrité territoriale et celui de la
non-ingérence. Le paragraphe 6 de la Résolution 1514 (XV) dispose
en effet que « Toute tentative visant à détruire
partiellement ou totalement l'unité nationale et
l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts
et les principes des Nations Unies ». Mais cette Résolution,
à partir de 1990 fut l'objet de nombreuses transgressions avec la
reconnaissance internationale de l'indépendance de l'Erythrée et
du démembrement de la Yougoslavie ou de l'URSS. Le principe de
non-ingérence défini à l'article 2 du Chapitre I de la
Charte ne connait d'exception qu'en cas de non-respect des droits de l'homme ou
de menace contre la paix.
La position de la Cour en matière du droit à
l'autodétermination se déduit largement de plusieurs de ses avis
consultatifs.
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