CHAPITRE DEUXIEME : LES CONFLITS ARMES EN AFRIQUE
D'entrée de jeu, il est impératif
d'éclaircir le concept de conflit armé avant d'entrer dans le vif
du sujet. Cela va nous amener à aborder la question de conflit
armé par le modèle du Comité Internationale de la Croix
Rouge (CICR) en se focalisant sur la distinction qu'il a établi. Le CICR
distingue deux sortes50 des conflits armés : Le conflit
armé international qui oppose deux États ou plus, et le conflit
armé non international qui oppose les forces gouvernementales à
des groupes armés non gouvernementaux, ou des groupes armés entre
eux.
Les traités de droit international humanitaire font
également une distinction entre le conflit armé non international
au sens de l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, et
celui qui relève de la définition figurant à l'article 1
du Protocole additionnel II.
a) Le conflit armé international
D'après la convention de Genève51,
les conflits armés internationaux sont ceux qui se déroulent
entre "Hautes Parties contractantes", c'est-à-dire entre États.
On parle donc de conflit armé international lorsqu'un ou plusieurs
États ont recours à la force armée contre un autre
État, quelles que soient les raisons ou l'intensité de cet
affrontement.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
(TPIY) a proposé une définition52
générale du conflit armé international. Dans l'affaire
Tadic, le Tribunal a stipulé qu'un conflit armé existe chaque
fois qu'il y a recours à la force armée entre États.
Depuis lors, cette définition a été adoptée par
d'autres instances internationales.
50 CICR, Comment le terme « conflit
armé » est-il défini en droit international humanitaire
?, Mars 2008, P.1.
51 L'art. 2 commun aux Conventions de
Genève de 1949 dispose qu'en dehors des dispositions qui doivent entrer
en vigueur dès le temps de paix, la présente Convention
s'appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit
armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties
contractantes, même si l'état de guerre n'est pas reconnu par
l'une d'elles. La Convention s'appliquera également dans tous les cas
d'occupation de tout ou partie du territoire d'une Haute Partie contractante,
même si cette occupation ne rencontre aucune résistance
militaire.
52 J. PICTET, Commentaire de la Convention de
Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des
Malades dans les forces armées en campagne, CICR, Genève,
1952, p. 34.
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b) Le conflit armé non international
Selon H.-P. Gasser53, il est
généralement admis que « les conflits armés non
internationaux sont des affrontements armés qui se produisent sur le
territoire d'un État, entre le gouvernement d'une part, et des groupes
d'insurgés d'autre part. Un autre cas est celui où le
gouvernement perd toute autorité dans le pays, ce qui incite divers
groupes à se battre pour prendre le pouvoir»
Quant au CICR54, Un conflit armé non
international est un affrontement armé prolongé qui oppose les
forces armées gouvernementales aux forces d'un ou de plusieurs groupes
armés, ou de tels groupes armés entre eux, et qui se produit sur
le territoire d'un État [partie aux Conventions de Genève]. Cet
affrontement armé doit atteindre un niveau minimal d'intensité et
les parties impliquées dans le conflit doivent faire preuve d'un minimum
d'organisation.
Dans ce travail, il est important de signaler que
malgré cette distinction, nous ne seront pas limité par aucune de
ces catégories car la thématique dont nous traitons peut faire
recours à toutes les deux. Ainsi pour se faire, après que nous
ayons placé un mot sur le concept « conflit armé », il
est opportun de brosser l'historique des conflits armés en Afrique dans
la première section, placer un accent sur les causes et les
conséquences qui motivent ces conflits armés dans la
deuxième section et pour finir nous dégagerons le rapport entre
ces conflits armés et les sociétés multinationales dans la
dernière section.
53 H.P. Gasser, International Humanitarian Law:
an Introduction, in: Humanity for All: the International Red Cross and Red
Crescent Movement. , Berne, H. Haug (éd), 1993, p. 555.
54 CICR, Comment le terme « conflit
armé » est-il défini en droit international humanitaire
?, op. cit., p.3.
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Section première : Bref historique des conflits
armés en Afrique
Bernard Lugan55 considère que l'Afrique
d'«avant les Blancs», était sous l'impulsion des Jihads, tout
l'arc sahélien, depuis le Sénégal jusqu'au Soudan, avait
subi une profonde mutation, la guerre religieuse servant de paravent aux
sultanats nordistes qui s'étendirent aux dépens des États
et royaumes animistes. En Afrique centrale et australe, la guerre fut
créatrice d'empires, qu'il s'agisse des royaumes Luba, Lunda, Shona ou
Zulu. En Afrique orientale, l'impérialisme guerrier et commercial
zanzibarite précéda l'expansion européenne et il
s'étendit vers l'Ouest, jusqu'au centre de la forêt congolaise,
bouleversant les rapports de force et entraînant la mutation de
sociétés. Avec la conquête coloniale, les Afriques furent
confrontées à la modernité européenne. À
l'exception de l'échec italien en Éthiopie, les guerres y
tournèrent toutes à l'avantage des colonisateurs, même si,
ici ou là, des batailles retardatrices furent occasionnellement
remportées par les Africains.
Durant la période coloniale, l'Afrique connut les deux
conflits mondiaux. La parenthèse impériale fut ensuite
refermée sans affrontements majeurs, sans ces combats de grande
intensité qui ravagèrent l'Indochine56. Les
guérillas nationalistes n'y furent jamais en mesure de l'emporter sur le
terrain, pas plus en Algérie que dans le domaine portugais à
l'exception peut-être de la Guinée-Bissau, ou encore en
Rhodésie. Partout, la décolonisation fut un choix politique
métropolitain; elle ne fut nulle part imposée sur le terrain.
Après 1960, l'Afrique fut ravagée par de
multiples conflits qui firent des millions de morts et des dizaines de millions
de déplacés. Alors que jusque-là le coeur de la
confrontation entre les deux blocs avait été l'Asie (Chine,
guerre de Corée, guerre d'Indochine puis du Vietnam, etc.), l'Afrique
55 Bernard Lugan est un universitaire et
professeur à l'Ecole de Guerre à Paris, il enseigne aux Ecoles de
Saint-Cyr-Coëtquidan. Il est conférencier à l'IHEDN et
expert auprès du TPIR (Tribunal Pénal International pour le
Rwanda-ONU). Cfr B. LUGAN, les guerres d'Afrique : de l'origine à
nos jours, Paris, Editions du rocher, 2013. 56Péninsule
située entre l'Inde et la Chine, comprenant la Birmanie, la
Thaïlande, la péninsule de Malacca, le Cambodge, le Laos et le
Viêt Nam. Dans un sens plus restreint, le mot Indochine ne désigne
que le Cambodge, le Laos et le Viêt Nam qui, entre 1893 et 1954, furent
réunis sous le nom d'Indochine française.
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devint à son tour une zone disputée, tant au
Congo que dans la Corne ou dans le cône sud. Considérés
comme des mouvements révolutionnaires, progressistes, ils furent tout
naturellement des alliés du bloc de l'Est et du mouvement ouvrier
international, qui les armaient, finançaient, l'internationalisme
prolétarien obligeant.
L'autre camp de l'Occident était celui du « monde
libre », qui estimait qu'il était de son devoir de mener une guerre
préventive contre « l'expansionnisme soviétique ».
Il justifiait ainsi sa participation par des interventions militaires
musclées aux côtés des dictateurs africains au pouvoir pour
réprimer tout mouvement révolutionnaire qualifié de
« mouvement communiste » ou de « la subversion
communiste ». Beaucoup des patriotes, nationalistes, progressistes et
révolutionnaires africains ont perdu ainsi leurs vies dans cette
rivalité Est-Ouest comme Patrice Lumumba, Barthélemy Boganda,
Amical Cabral, Mario de Andrade, Um Nyombé, Ernest Ouandié,
Ibrahim Abatcha, Robenate, Outel Bono... D'autres ont survécu et
occupent aujourd'hui des postes clés dans les appareils d'Etat mais
n'ont retenu aucune leçon de l'histoire. Sur les décombres du
matérialisme dialectique, force est de constater des présidences
à vie, exception faite des dirigeants de l'ANC, qui ont réussi
à faire émerger la démocratie en Afrique du
Sud57.
Nous comprenons ici que la situation des conflits en Afrique
ne s'était pas apaisée avec l'indépendance de celle-ci
mais elle s'est dégradée. D'une part, parce que les
métropoles avaient accordées une indépendance avec les
yeux braqués aux ex-colonies et d'autre part, parce que les
indépendants africains avaient du mal à s'entendre dans la
gestion de leurs pays.
Jean-Pierre, lui ne cesse pas de soutenir qu'après la
«guerre froide», l'Afrique est devenue l'actrice de sa propre
histoire. Tous les placages idéologiques et politiques qui lui avaient
été imposés depuis des décennies volèrent
alors en éclats et le continent s'embrasa. Durant la décennie
2000-
57 J.P. BOULADA, conflits armés en
Afrique : classifications, causes et alternatives, Laltchad, 2003.en ligne
sur le
www.laltchad.com en avril 2014.
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2010, 70% des décisions de l'ONU et 45% des
séances du Conseil de sécurité furent consacrées
aux conflits africains58. Dans un souci de préserver la paix
sur le continent, l'Organisation de l'unité africaine a
été créée en 1963, puis remplacée en 2002
par l'Union africaine. En 2008, sur 88 000 casques bleus de l'ONU
déployés dans le monde, 61 000 sont engagés en Afrique
dans huit conflits ouverts ou larvés. Pour les Nations unies, la facture
militaire africaine atteint 5,5 milliards de dollars sur un total mondial de
7,2 milliards. D'aucuns pensent que le bilan de cette organisation
régionale reste toujours mitigé vu que les guerres, les
terrorismes et d'autres conflits armés ne cessent de déchirer
l'Afrique59.
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