CHAPITRE 1 :
LA PRISE EN COMPTE DES EXIGENCES DE PROTECTION DES DROITS
DE L'HOMME DANS LE CADRE NORMATIF DES OPERATIONS DE MAINTIEN DE LA
PAIX
Le cadre normatif des OMP renferme principalement les
résolutions du Conseil de sécurité, car ce sont elles qui
créent les opérations, fixent leurs mandats et déterminent
leur fin. Ce cadre normatif comprend également l'ensemble des normes qui
régissent les situations dans lesquelles interviennent les OMP, à
savoir le droit international général, le droit international des
droits de l'homme et le droit international humanitaire. La lecture de cadre
normatif laisse apparaître deux exigences en matière de protection
des droits de l'homme, à savoir l'attribution de la mission de
protection des droits de l'homme aux OMP (section1) et la soumission des OMP
aux normes relatives au droit international des droits de l'homme et au droit
international humanitaire (section2).
SECTION 1 : L'ATTRIBUTION DE LA MISSION DE
PROTECTION
DES DROITS DE L'HOMME AUX OMP
Depuis la fin de la guerre froide, les droits de l'homme font
partie des priorités de la communauté internationale dans son
ensemble. De ce fait, le droit international est passé de «
l'indifférence à l'égard des droits de l'homme à
une grande sensibilité envers ceux-ci »72. Cette
situation a entraîné la compétence du Conseil de
sécurité dans le domaine des droits de l'homme. C'est ainsi que
dans la mise sur pied des OMP, le CS accorde une place capitale à la
protection des droits de l'homme. Les OMP ont donc pour mandat de
protéger les droits de l'homme de manière explicite (paragraphe1)
et de manière implicite (paragraphe 2).
72 Ahmed Mahiou, « Le droit international ou
la dialectique de la rigueur et de la flexibilité », RCADI,
2011, p.47
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PARAGRAPHE 1 : LE MANDAT EXPLICITE DE PROTECTION DES
DROITS DE L'HOMME
Dans les mandats des OMP, le CS leur attribue les missions
concernant la situation des droits de l'homme (A) et celle concernant le
domaine de l'aide humanitaire (B).
A- Les missions des OMP dans la protection des droits
de l'homme
Les OMP ont trois missions essentielles en ce qui concerne la
protection des droits de l'homme. Il s'agit de la défense des droits de
l'homme (1), ensuite de la surveillance et de la promotion des droits de
l'homme (2).
1- La défense des droits de
l'homme
Dès la fin de la guerre froide, les conflits internes
constituent « la forme de violence la plus pernicieuse du
système international »73. Ces conflits
ont des conséquences néfastes sur les droits de l'homme,
puisqu'ils se manifestent toujours par des tueries, des génocides (cas
du Rwanda), et aussi par la dégradation de la situation humanitaire en
général. Dans ces contextes, les OMP se voient confier les
mandats de défense des droits de l'homme. Dans plusieurs
résolutions du CS, nous pouvons lire cette exigence.
Dans les résolutions 1528 (mettant sur pied L'ONUCI),
1778 (portant sur la création de la MINURCAT), et 1590 (créant la
MINUS), le CS donne pour mandat à ces OMP, la « défense des
droits de l'homme ». Puisque les résolutions du CS ne donnent
aucune définition de la notion de défense des droits de l'homme,
il faut se référer aux différents contextes dans lesquels
interviennent ces OMP. Dans une situation où les violations massives des
droits de l'homme sont perpétrées, la défense des droits
de l'homme consiste à stopper ou alors à diminuer
considérablement l'intensité de ces atteintes.
73 De Jongue Oudraat (CH), « L'Onu, les conflits
internes et le recours à la force armée », AFRI,
2000, p.1
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La notion de défense des droits de l'homme peut se
résumer en deux actions à savoir prévenir de nouvelles
violations et stopper les violations des droits de l'homme qui sont entrain
d'être perpétrées. La prévention a tout son sens
dans une situation où les violations des droits de l'homme n'ont pas
encore atteint un seuil inquiétant (cas des violations massives) ; quant
à l'action de stopper ces violations, elle devient impérative si
les OMP trouvent une situation alarmante des droits de l'homme dans un conflit.
Car elles ne peuvent se comporter en spectatrices d'atrocités. Parmi les
autres mandats des OMP en matière de protection des droits de l'homme,
figurent la surveillance et la promotion des droits de l'homme.
2- La surveillance et la promotion des droits de
l'homme
La surveillance et la promotion des droits de l'homme figurent
en bonne place dans les mandats des OMP. Dans le rapport Brahimi, il est
mentionné que les OMP devraient s'impliquer dans la surveillance des
droits de l'homme.
Dans la résolution 1509 (2003), il est fait mention que
la MINUL a pour mission de surveiller les droits de l'homme. Le même
mandat de surveillance a été attribué à L'ONUCI
dans la résolution 1609 (2005) du CS, à la MINURCAT dans la
résolution1778 (2007) et à la MINUS dans la résolution
1590 (2005).
À partir de ces mandats, on se rend compte à
quel point la tâche de surveillance des droits de l'homme est importante
sur le terrain des conflits. Cette tâche renvoie particulièrement
à la vérification du respect des droits de l'homme de la part des
belligérants, et permet d'informer l'ONU sur la situation réelle
des droits de l'homme.
La vérification revient à dire que les OMP ont
pour mission d'observer la concordance du comportement des belligérants
avec les normes relatives au droit international des droits de l'homme et au
droit international humanitaire. Les conflits dans lesquels interviennent
généralement les OMP connaissent une pluralité de
protagonistes. On distingue les forces de l'État dans lequel se
déploie l'opération, Les forces en opposition au pouvoir
établi qui peuvent être soient des rebelles, des milices ou des
bandes armées. La vérification permet donc aux OMP de
contrôler toutes ces parties aux conflits afin de savoir si elles se
soumettent aux normes relatives aux droits de
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l'homme et au droit humanitaire. La suite logique de cette
tâche est l'information sur la situation des droits de l'homme.
À partir de la surveillance exercée par les
casques bleus, l'ONU peut être informée sur la situation
réelle des droits de l'homme sur le terrain des conflits. En effet,
l'ONU est une partie neutre dans les conflits, et s'il fallait attendre des
informations de la part des États dans lesquels se déploient les
OMP, cela serait une cause perdue. Car pour des questions d'image, aucun
État ne veut souvent reconnaître que la situation des droits de
l'homme est dramatique dans son territoire. L'information des OMP permet de ce
fait de mettre le système des Nations Unies en alerte, quant aux mesures
à prendre pour améliorer la situation des droits de l'homme.
La promotion des droits de l'homme constitue également
une tâche très importante des OMP en ce qui concerne la protection
des droits de l'homme. Pour se rendre compte de cette importance, il faudrait
lire les résolutions du CS lorsque celles-ci attribue des tâches
aux OMP dans le domaine des droits de l'homme ; la promotion des droits de
l'homme y figure toujours. La promotion des droits de l'homme peut se
définir comme « toute action tendant à favoriser le
développement et le respect de ces droits »74. L'importance de la
promotion des droits de l'homme en période de conflit se justifie de
plusieurs manières. D'abord, elle permet d'informer les acteurs aux
conflits relativement aux normes de protection de la personne humaine. Car si
les forces Étatiques ont souvent des connaissances dans ce domaine, les
membres des bandes armées et des rebellions sont
généralement ignorantes. Ensuite, cette promotion permet
d'informer les populations civiles sur leurs droits. Cela permet aux
populations civiles de pouvoir éviter les violations des droits de
l'homme, mais aussi de briser le silence lorsqu'elles ont connu les violations
de leurs droits. Car la plupart des victimes des violations des droits de
l'homme, ont souvent peur de dénoncer leurs bourreaux. La promotion des
droits de l'homme permet donc aux populations de dénoncer les
violations, afin de mieux lutter contre l'impunité.
74 Keba Mbaye, Les droits de l'homme en
Afrique, 2e édition, éditions A.Pedone, Paris,
p.88
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B- Les missions des OMP dans le domaine de l'aide
humanitaire
Depuis la fin de la guerre froide, les débats
humanitaires sont une priorité pour la communauté internationale
des États dans son ensemble. La raison est que les conflits internes que
connait la société internationale ont des conséquences
désastreuses sur le plan humanitaire. On note par exemple l'augmentation
du nombre de réfugiés et de déplacés internes, la
famine généralisée et la mortalité infantile. Face
à ces situations les OMP ont l'obligation morale d'agir, mais aussi la
contrainte juridique aujourd'hui avec la responsabilité de
protéger. Notre étude étant basée sur la protection
des droits de l'homme, il est judicieux de présenter les liens entre
l'assistance humanitaire et les droits de l'homme (1) et les tâches
proprement dites des OMP dans le domaine de l'assistance humanitaire (2)
1- Les liens entre l'assistance humanitaire et les
droits de l'homme
La détérioration de la situation humanitaire
dans les conflits, a pour effet la fragilisation des droits de l'homme.
L'action humanitaire permet donc une amélioration de la situation des
droits de l'homme. Le but de l'assistance humanitaire est de protéger la
dignité humaine et de sauver des vies75. Elle a trois
caractéristiques à savoir, le principe d'humanité, le
principe d'impartialité et le principe de neutralité. Le principe
d'humanité est celui qui entretient plus de liens avec les droits de
l'homme. À travers ce principe, les civils ont le droit fondamental
d'être protégés contre les attaques, la torture et les
autres atteintes à leur intégrité physique et morale. Ce
principe repose également sur le droit des victimes de la guerre de
recevoir l'assistance humanitaire.
Le rôle de l'assistance humanitaire est de fournir
l'aide essentielle à la survie de la population civile, notamment
à travers la fourniture de vivres et de médicaments. L'assistance
humanitaire et la protection des droits de l'homme entretiennent de ce fait des
liens étroits ; car l'assistance permet l'épanouissement des
droits de l'homme. À travers des tâches telles que la distribution
des vivres, de médicaments, l'assistance humanitaire permet de
protéger le droit à la vie, le droit à
l'intégrité physique, tous droits qui se classent au rang des
droits fondamentaux et contribuent à protéger la dignité
humaine en période de conflit armé. L'action humanitaire
protège de ce fait les droits de
75 Cornelio Summaruga, « action humanitaire et
opérations de maintien de la paix », RICR 824, p.194
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l'homme en période de conflit, car elle soulage les
souffrances et introduit dans ces situations des valeurs fondamentales telles
que le respect de la vie et la dignité humaine76.
Pour établir le rapport entre l'assistance humanitaire
et les droits de l'homme, nous nous referons à la protection par
ricochet. Elle est une technique jurisprudentielle par laquelle les organes de
la Convention européenne peuvent « étendre la protection de
certains droit garantis par la Convention à certains droits non
expressément protégés par elle »77. La
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a emprunté
cette technique interprétative européenne78. Ainsi,
dans l'affaire 97/93 du 6 novembre 2000, John K. Modise c. Botswana, la
Commission a condamné l'expulsion de Monsieur Modise du Botswana,
arguant que « la déportation ou l'expulsion affecte
sérieusement d'autre droits fondamentaux de la victime, et dans certains
cas ceux des membres de sa famille ». Dans l'affaire 155/196 Social and
Economic Rights Action Centre, Centre for Economic and Social Rights c.
Nigeria, la commission a « grâce à cette méthode
téléologique, également consacré le droit à
l'alimentation pourtant implicite dans la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples, à travers les dispositions relatives au droit
à la vie, à la santé »79.
A partir de la protection par ricochet, nous constatons que la
nourriture et les médicaments apportés aux populations en
détresse protègent leur droit à la vie. Avec leurs
missions dans le domaine de l'aide humanitaire, les OMP ont donc des missions
dans la protection des droits de l'homme.
2- Les tâches des OMP dans le domaine de
l'aide humanitaire
Depuis l'instauration en 1988 par l'Assemblée
Générale des Nations Unies d'un « nouvel ordre international
humanitaire »80, les questions humanitaires sont au centre des
débats à l'ONU. Dans ce sens, l'on a assisté à une
rupture entre les OMP de l'après-guerre froide et celles d'avant ; les
nouvelles ayant désormais dans leurs mandats des
76 Ibid. p.192
77 SUDRE (F), Droit international et
européen des droits de l'homme, Paris, PUF, édition de 1989,
p. 183
78 OLINGA (A-D), « Les emprunts normatifs de
la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples aux
systèmes européens et interaméricain de garantie des
droits de l'homme », Revue trimestrielle des droits de l'homme,
no 65, 2003, p. 518
79 Bombela Mosua (G), « Le standard africain
de société démocratique », Mémoire de DEA en
Droit public, 2007-2008, Université de Yaoundé II Soa, p. 66
80 Assemblée Générale,
Résolution 43/131 du 8 Décembre 1988
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objectifs sur le plan humanitaire. Le maintien de la paix est
désormais indissociable du domaine humanitaire. C'est pour cette raison
que Boutros Boutros Ghali affirmait qu' « il est essentiel que
l'organisation trouve des moyens d'associer l'action humanitaire... aux
opérations de rétablissement, de maintien et de consolidation de
la paix »81.
L'intégration des tâches humanitaires dans les
OMP a débuté en 1992, avec trois opérations dont deux ont
été déployées en Afrique. Dans le mandat de
l'ONUSOM I, le CS lui donne pour mission d' « assurer la
sécurité dans les ports de Mogadiscio et des villes
concernées, et d'escorter les convois de secours humanitaires jusqu'aux
lieux de distribution, et de protéger les centres pendant les
opérations de distribution »82.
Dans le cas mozambicain, il est demandé à
l'ONUMOZ de « sécuriser les routes essentielles pour
protéger les convois humanitaires qui les empruntent
»83. Après ces opérations, les tâches
humanitaires se sont érigées en une fonction essentielle des OMP.
Cela a montré l'adaptation des OMP quand elles sont confrontées
à des situations d'urgences humanitaires. Cela est également
révélé par la prise de conscience au sein de l'ONU des
difficultés liées à l'accès aux victimes des
conflits84. Presque toutes les OMP intervenant dans les crises
africaines ont dans leurs mandats des missions dans le domaine de l'aide
humanitaire. Ainsi dans le conflit Burundais, l'ONUB a eu pour mandat
« de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire
»85. Dans le même sens la MONUC, L'ONUCI et la
MINURCAT ont eu des mandats dans le même domaine86. La MINUL
et la MINUS n'ont pas échappé à cette
exigence87. Une lecture des résolutions du CS fait ressortir
les tâches suivantes : la sécurisation de l'acheminement de l'aide
humanitaire, la sécurisation des centres de distribution de l'aide
l'humanitaire et la distribution de l'aide humanitaire.
En ce qui concerne la sécurisation de l'acheminement de
l'aide humanitaire, les militaires ont pour rôle d'escorter les
véhicules de vivres et de médicaments tout au long de leur trajet
afin d'éviter les attaques des belligérants.
81 Rapport du SGNU à l'Assemblée
Générale sur les activités de l'organisation de la
47e à la 48e session
82 Rapport du SGNU sur la situation en Somalie du 24
août 1992, doc 5/24480 p.25
83 Rapport présenté par le SGNU sur
l'opération des Nations Unies au Mozambique doc s/24892
84 Klein (P), « La protection de l'assistance
humanitaire : un nouveau mandat pour les forces des nations unies »,
RQDI, Vol 8
85 Voir Résolution du CS 976 (2004) par 5
86 Voir Résolution du CS 1279 (1999) ;
Résolution 1609 (2005) ; Résolution 1861 (2009)
87 Voir les résolutions du CS 1509 (2003) et
1590 (2005)
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Pour ce qui est de la sécurité des centres de
distribution de l'aide, il s'agit pour les Casques bleus de permettre que la
distribution de l'aide se fasse sans entraves. Il faut dire que les Casques
bleus interviennent également pour distribuer l'aide humanitaire.
Même s'il existe des critiques sur l'intervention des militaires dans le
processus de l'aide humanitaire88, il faut reconnaître que les
troupes armées sont particulièrement expertes dans la
coordination des activités humanitaires, ce qui rend leur collaboration
indispensable89. Tel que nous venons de le démontrer, il ne
fait aucun doute que l'assistance humanitaire contribue à la protection
des droits de l'homme. Ainsi, en ayant des missions dans le domaine
humanitaire, les OMP ont des missions dans le domaine de la protection des
droits de l'homme. Avec les mandats des OMP, l'humanitaire devient un nouvel
élément de gestion, et éventuellement de résolution
de conflits internes90.
À la lecture des résolutions du CS, il
apparaît que les OMP ont un mandat clairement énoncé dans
le domaine des droits de l'homme. Mandat qui concerne à la fois les
activités dans le cadre de la protection des droits de l'homme, et des
activités dans le domaine de l'aide humanitaire. Il convient dès
lors de présenter le mandat implicite des OMP en matière des
droits de l'homme.
PARAGRAPHE 2 : LE MANDAT IMPLICITE DE PROTECTION DES
DROITS DE L'HOMME
Les mandats des OMP présentent comme nous venons de le
voir des objectifs dans le domaine de la protection des droits de l'homme. Ces
objectifs sont explicitement exprimés et concernent la situation des
droits de l'homme en général. Ces mandats confèrent
également des tâches aux OMP de manière implicite dans le
domaine des droits de l'homme, à savoir la protection des civils (A) et
la protection des groupes vulnérables (B).
88 Ces critiques proviennent du fait que l'aide
humanitaire est neutre, et l'intervention des militaire a pour risque de la
rendre politisée et partiale.
89 Major Vic Sattler « les défis des
opérations militaires durant les opérations d'aide humanitaire,
Bulletin de doctrine et d'instruction de l'armée de terre,
volume 5, 1, Printemps 2002, p.85
90 Corten (o), Klein (p), « action humanitaire
et chapitre 7 : la redéfinition du mandat et des moyens d'action des
forces des Nations Unies », AFDI, 1993, p. 117
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