Section 2 : L'atteinte à la
légalité
« Une meilleure application du principe de
légalité revient à dire que le juge applique de
façon plus stricte la règle de droit, que dans le
procès qui lui est soumis, il tend à astreindre
davantage l'administration au respect de cette règle
»185. Le principe de la légalité,
caractéristique
majeur de l'Etat de droit, implique que l'administration doit,
non seulement se conformer à l'objectif de l'intérêt
général, mais aussi et surtout respecter les règles de
droit et les décisions de la justice.
L'intervention du juge dans ce cadre, vise à imposer
à
l'administration le respect des règles qui
régissent l'exercice de ses pouvoirs et à contenir les
privilèges dans les limites que leur assigne la règle de droit.
Le recours au juge constitue pour l'administré un moyen
182 TA., arrêt n° 1404 du 15 juillet 1995, chef du
contentieux de l'Etat agissant pour le compte de ministère de
l'intérieur c/ Raouf Khsir, Rec., p. 335.
183 TA., arrêt n° 19834 du 11 novembre 2003,
héritiers Essorci c/ Conseil régional du Bizerte,
inédit.
184 TA., arrêt n° 19834 du 11 novembre 2003,
héritiers Essorci c/ Conseil régional du Bizerte,
inédit.
185 G. PEISER, « Le développement
de l'application du principe de légalité dans la jurisprudence du
Conseil d'Etat », in Droit administratif, Mél. René CHAPUS,
Montchrestien, Paris, 1992, p. 517.
41
Première partie : L'ambivalence du principe
de sauvegarder ses droits ou ses intérêts dans la
mesure prévue par la règle de droit186.
Néanmoins, Soutenir que « l'ouvrage public mal
planté ne se détruit pas » parce que, quoi que violant
les droits d'un ou des administrés, il sert les intérêts de
nombreux usagers187, conduit à vider le droit à la
légalité de son contenu protecteur. Un tel droit perd tout effet
avec l'existence de principe de l'intangibilité de l'ouvrage public par
l'effet de l'abstention du juge d'annuler les actes administratifs
illégaux (§ 1). De même, il convient de
reconnaître que l'administration reste libre d'exécuter les
décisions juridictionnelles (§ 2).
§ 1 : L'illégalité sans l'annulation
Par l'action administrative, il arrive que les
administrés se trouvent lésés par l'administration
dépositaire de l'intérêt général. La
protection des droits des administrés et le respect de l'ordre
juridique, constituons les principaux éléments de la
théorie de l'Etat de droit, ne peuvent être assurés sans
l'existence d'un contrôle juridictionnel énergique et efficace au
cours d'un procès équitable188. Une condition
même de la reconnaissance de prérogatives de puissance publique,
le contrôle efficace de l'administration est une garantie
donnée aux administrés et une limitation de l'administration.
186 M. LAKHDHAR, « Le droit à la
légalité administrative », Etudes juridique, 1993-1994, p.
10.
187 M. LAKHDHAR, « La protection de la
propriété privée immobilière par le Tribunal
Administratif », RTD, 1983, p. 286.
188 « Le procès équitable suppose que
le requérant doit avoir la possibilité d'exprimer sa cause
vis-à-vis du juge administratif dans des conditions qui ne le
désavantage pas par rapport à l'administration toute puissante.
Le requérant doit avoir la possibilité d'être entendue en
bénéficiant de toutes les règles garantissant le respect
de ses droits conformément à l'article 6 § 1 de la CESDH
». V. HAÎM, « Le contribuable peut-il
prétendre à un procès équitable devant le juge
administratif », RDF, n° 25, 1999, p. 862. Voir aussi ; M.
FABRE, « Le droit à un procès équitable
», JOP, n° 31-35, 1998, p. 1425.
42
Première partie : L'ambivalence du principe
Mais il ne suffit pas de poser le principe de la soumission de
l'administration au droit. Encore faut-il avoir la certitude qu'il sera
respecté et que l'administration sera sanctionnée lorsqu'elle
aura manqué au droit. Pour cette raison, le problème de
contrôle de l'Administration est une question essentielle dans la logique
du droit administratif.
Or, accueillir un argument de la poursuite de
l'intérêt général conduirait non seulement à
exonérer l'administration du respect de la légalité
(A) mais également d'offrir la possibilité de
régulariser les violations de la règle de droit
(B).
A. La violation « autorisée » de la
règle de droit
Le juge administratif est « le gardien de la
légalité administrative »189. De ce fait, la
caractéristique du régime administratif est la soumission de
l'action administrative à un droit fait pour elle, distinct du droit
applicable aux particuliers190.
La spécificité du rôle protecteur du juge
administratif réside dans son domaine de compétence qui est celui
du contrôle de l'action administrative. Ce contrôle se fait
conformément au principe de légalité qui exige que
l'administration conduise son action suivant la dialectique suivante : comment
satisfaire les besoins d'intérêt général tout en
sauvegardant les droits des administrés191?
Or, le juge administratif semble être loin de procurer
une protection suffisante aux administrés. En effet, le principe de
l'intangibilité des ouvrages publics « donne des pouvoirs
exorbitants à
189 J. RIVERO, « Le juge administratif
gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de
la légalité », in Le juge et le droit public, Mél.
offerts a Marcel WALINE, T.2, Paris, juillet 1974, p. 701.
190 J. RIVERO, « Le juge administratif
gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de
la légalité », Mél. offerts a Marcel WALINE, T.2,
Paris, juillet 1974, p. 701.
191 J. RIVERO, « Le juge administratif
gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de
la légalité », Mél. offerts a Marcel WALINE, T.2,
Paris, juillet 1974, p. 702.
43
Première partie : L'ambivalence du principe
l'administration qui peut être incitée
à faire l'économie d'une expropriation régulière
»192. L'application de la règle de
l'intangibilité de l'ouvrage public permet, en effet, à
l'administration d'arriver au même résultat qu'au terme d'une
expropriation pour cause d'utilité publique sans avoir à mettre
en oeuvre cette procédure contraignante193.
Cette violation grave par l'administration de la
procédure légale est autorisée par le juge administratif
qui n'hésite pas à déclarer, à travers une
jurisprudence constante, que la création d'un ouvrage public même
illégalement implanté fait face à toutes mesures qui
peuvent porter atteinte à l'intégrité de cet
ouvrage194. Or, une telle politique jurisprudentielle «
risque d'encourager l'administration à s'engager dans une politique
machiavélique basée sur le principe de la justification des
moyens par la fin poursuivie »195. Car l'effet d'une telle
idée est de légitimer l'illégalité pour le motif
que les intérêts servis sont plus nombreux que
l'intérêt sacrifié196.
Dans ces conditions, le principe de l'intangibilité de
l'ouvrage public acquiert en Tunisie une fonction redoutable de protection des
prérogatives de l'administration et de légitimation de ses
agissements, quel que soit le degré de leurs
inégalités197. « De toute manière, et
du
192 M-P. MAITRE, « Le principe de
l'intangibilité de l'ouvrage public », LPA, 22 novembre 1999,
n° 232, p. 8.
193 M-P. MAITRE, « Le principe de
l'intangibilité de l'ouvrage public », LPA, 22 novembre 1999,
n° 232, p. 8.
194 TA., aff. n° 1/16656, rendu le 25 avril 2009, El Fkiri
c/ SONEDE, Rec, p. 305.
195 M. LAKHDHAR, « La protection de
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la propriété privée
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immobilière par
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le
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Tribunal
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Administratif », RTD, 1983, p. 283.
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196 M. LAKHDHAR, « La protection de
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la propriété privée
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immobilière par
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le
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Tribunal
|
Administratif », RTD, 1983, p. 286.
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197 M. LAKHDHAR, « La protection de
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la propriété privée
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immobilière par
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le
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Tribunal
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Administratif », RTD, 1983, p. 287.
44
Première partie : L'ambivalence du principe
moins en ce qui concerne les dépossessions
irrégulières, leur intégration aux matières
administrative est susceptibles de procurer à l'administration une
protection renforcée »198.
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