Sommaire
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : L'ambivalence du principe
Chapitre I : La protection des ouvrages publics Chapitre II :
L'affectation des droits des administrés
DEUXIEME PARTIE : L'adaptation du principe
Chapitre I : Les limites du principe Chapitre II :
L'infléchissement du principe
CONCLUSION
INTRODUCTION
1
Introduction
« Le droit administratif a été trop
longtemps enfermé dans une idéologie inégalitaire.
L'administration dans la conception classique est placée sur un
piédestal par rapport aux personnes privées
»1. Les rapports qui
s'établissent entre l'administration et les administrés ne sont
pas placés sous le signe de l'égalité juridique.
Contrairement au droit civil, qui vise des personnes qui sont en principes
égales et indépendantes, le droit administratif est un droit
inégalitaire, dans lequel l'administration, garante de
l'intérêt général, dispose de prérogatives de
puissance publique.
L'administration dispose, au nom de l'intérêt
général, de certains privilèges par rapport aux
particuliers. Son action ainsi que ses propres biens font l'objet d'une
protection particulière. A ce titre, l'ouvrage public se trouve
protégé par le principe d'intangibilité qui ne manque pas
d'avoir des conséquences sur le droit de propriété des
personnes concernées.
Notion difficilement saisissable par le droit
(I), l'ouvrage public est soumis à un régime de
protection particulier de l'intangibilité (II). Par une
application soutenue de cette règle protectrice du bien public,
l'ouvrage public a assurément vu son autonomie se renforcer et son
importance se développer (III).
I. La notion d'intangibilité de l'ouvrage
public
Exprimer à travers l'adage « ouvrage public
mal planté ne se détruit pas »2, le principe
d'intangibilité fait partie intégrante d'un
1 Ch. DEBBASCH, « Le droit
administratif, droit dérogatoire au droit commun ? », in Droit
administratif, Mél. R.CHAPUS, Montchrestien, Paris, 1992, p. 128.
2 CE., 7 juillet 1853, Robin de la Grimaudiére, S.,
1854, II, 113. Il est à noter que seule la jurisprudence a forgé
et appliqué le principe de l'intangibilité des ouvrages publics,
qu'aucun texte ne formule. En fait, Selon ledit principe, le juge ne peut
ordonner ni la destruction, ni le déplacement, ni la modification de
l'ouvrage public mal planté. Cette attitude es t la conséquence
de l'adage « ouvrage
2
Introduction
régime particulièrement favorable aux ouvrages
publics. Dépendance du domaine public3, l'ouvrage public
obéit au régime de ce dernier4 et
bénéficie de la protection la plus rigoureuse de
l'intangibilité puisque les particuliers ne peuvent obtenir la
démolition, le déplacement, la modification de l'ouvrage mal
planté5 quelque soit le bien fondé de leur droit.
L'intangibilité constitue la « qualité de ce qui est
intangible » et le terme intangible s'adresse à une chose
à laquelle « il est interdit de porter atteinte »
6. Le principe d'intangibilité permet
d'éviter toutes les mesures, de quelque nature que ce soit, qui
entraîneraient une atteinte à l'intégrité ou au
fonctionnement normal de l'ouvrage public.
Mais qu'est ce que signifie ouvrage public ?
L'ouvrage public7 est un immeuble
aménagé à un intérêt
général8. De ce fait, la notion d'ouvrage public
repose sur l'application de deux critères, l'un matériel et
l'autre organique9.
public mal planté ne se détruit pas ».
L. DI QUAL, « Une manifestation de la
désagrégation du droit de propriété : la
règle ouvrage public mal planté ne se détruit pas »,
JCP, 1964, I, fasc. n° 1852, § 14.
3 R. CAPITANT, « La double notion de
travail public », RDP, 1929, p. 522 ; J-M. AUBY, «
L'ouvrage public, le régime juridique », CJEG, 1962, p. 6.
4 Les ouvrages publics appartenant au domaine public sont
aussi protégés par les règles régissant le domaine
public. Dans ce cas l'ouvrage public est inaliénable, règle selon
laquelle les dépendances du domaine public ne peuvent être
cédées à des tiers avant d'avoir fait l'objet d'une mesure
de déclassement, et imprescriptible, règle selon laquelle les
personnes publiques ne peuvent être dépossédées,
à leur insu, de certaines dépendances de leur domaine public ;
absence de droit de prescrire. N. ACM, «
L'intangibilité de l'ouvrage public, un principe ébranlé
mais loin d'être enterré », RDP, n° 6, 2003, p. 1696.
5 M-P. MAITRE, « Le principe de
l'intangibilité de l'ouvrage public », LPA, 22 novembre 1999,
n° 232, p. 5.
6 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association
Henri Capitant, PUF, 2éme éd., p. 566.
7 La définition d'ouvrage public n'est
inscrit dans aucun texte législatif ni en Tunisie ni ailleurs, et ne
peut être dégagée qu'à partir d'un examen de
l'abondante jurisprudence intervenue en la matière.
8 R. CMAPUS, Droit administratif
général, T.2, Montchrestien, 15ème éd.,
2001, p. 568 ; Ph. GODFRIN, Droit administratif des biens :
domaine, travaux, expropriation, Armand Colin, 5ème éd., p. 223;
M. GUYOMAR, Concl. sur TC, 12 avril 2010, Electricité
réseau distribution de France c/ Michel, « Ouvrage public et
service public de l'électricité », RFDA, mai- juin 2010, p.
553 ; S. PIERRÈ-CAPS, « La notion d'ouvrages
publics tendances de la jurisprudence récente », RDP, n° 6,
novembre- décembre 1938, p. 1672.
9 M. GUYOMAR, Concl. sur CE, 29 avril 2010,
M. et Mme Béligaud, RFDA, mai- juin 2010, p. 562.
3
Introduction
La notion d'ouvrage public renvoie tout d'abord à des
éléments concrets tenant à sa nature matérielle qui
regroupe trois éléments. Il s'agit de caractère immobilier
de l'ouvrage, l'aménagement particulier dont celui-ci a fait l'objet,
enfin son affectation d'intérêt général.
1- Un ouvrage public est avant tout un immeuble. Seul un
bien
immobilier est susceptible de recevoir la qualification
d'ouvrage public. Selon le professeur René CHAPUS,
« il n'ya d'ouvrage public qu'immobilier »10.
L'immeuble, c'est-à-dire, « toute chose fixe qu'on ne peut pas
déplacer sans dommages »11, peut avoir la
qualité d'ouvrage public ou par nature, ou par leur destination.
L'ouvrage public peut être un immeuble par nature. Il
peut prendre la forme d'un fonds de terre, d'un bâtiment ou d'une plante
tant qu'elle n'est pas détachée du sol12. Les
installations13 et canalisations14 qui font partie
intégrante du fonds ou du bâtiment auxquels elles sont
attachées que les récoltes pendantes par les racines et les
fruits non encore cueillis peuvent être qualifiés comme des
ouvrages publics15.
L'ouvrage public est immobilier aussi par destination. Par
ailleurs, le matériel et les autres objets que le propriétaire du
fonds a placés pour le service de l'exploitation de ce
fonds16 prennent cette qualification. De
10 R. CHAPUS, Droit administratif
général, T.1, Montchrestien, Paris, 11ème
éd., 1999, p. 466.
11 Article 3 du CDR.
12 Article 5 du CDR.
13 TA., arrêt n° 16781 du 28 avril 2000,
héritiers Najoua Gadour c/ la commune de Zermdine, Rec. p. 140.
14 TA., arrêt n° 21896 du 26 janvier 2000, chef du
contentieux de l'Etat agissant pour le compte du ministère de
l'agriculture c/ Neji Mhiri et autres, Rec. p. 281.
15 « Les récoltes pendantes par les racines et
les fruits non encore cueillis sont également immeubles. Dès que
les épis sont coupés et les fruits détachés,
quoique non enlevés, ils deviennent meubles ». Article 7 du
CDR.
16 Article 9 du CDR
4
Introduction
même, les objets mobiliers17 peuvent prendre
la qualification d'ouvrage public lorsqu'elles constituent des
éléments accessoires non dissociables d'un ensemble plus vaste
qui est incontestablement un ouvrage public18.
Toutefois, cette condition, qui s'applique quelle que soit
l'importance de l'ouvrage, est parfois entendue extensivement. La
théorie de l'ensemble technique conduit à un élargissement
non négligeable de la notion de l'ouvrage public19. Certaines
installations complexes, composées d'éléments immobiliers
et mobiliers présentant entre eux un lien fonctionnel, sont
considérées globalement comme des ouvrages
publics20.
2- Le bien immeuble, doit être nécessairement le
résultat d'un
travail de l'homme. La qualification d'ouvrage public est
réservée aux seuls biens immobiliers qui ont fait l'objet d'une
opération d'aménagement21. Le terme même
d'ouvrage public implique que l'immeuble soit, selon la formule
consacrée, oeuvré, c'est-à-dire qu'il soit
nécessairement « le fruit du travail de l'homme
»22. Les ouvrages restés dans
leur état naturel ne peuvent pas être des ouvrages publics. Le
conseil d'Etat français a refusé la qualification d'ouvrage
public pour
17 TA., arrêt n° 21817 du 15 mai 1998, chef du
contentieux de l'Etat agissant pour le compte du ministère de la
santé publique c/ Mohsen Mabrouk, Rec. p. 342 ; TA., arrêt n°
599, rendu le 12 mars 1990, chef du contentieux de l'Etat agissant pour le
compte du ministère de télécommunication c/ Monji Ben
Khodhr Balghouthi, inédit.
18 B. STIRN, Concl. sur CE., 15 février
1989, Dechaume, RFDA, 1990, p. 231.
19 F. MELLERAY, « Incertitudes sur la
notion d'ouvrage public », AIDA, 5 juillet 2005, p. 1378.
20 J. DUFAU, Droit des travaux publics, Presses
Universitaires de France, p. 85.
21 J. DUFAU, Droit des travaux publics, Presses
Universitaires de France, p. 88.
22 J-M. AUBY, P. BON et J-B. AUBY, Droit
administratif des biens : domaine public et privé, travaux et ouvrages
publics, expropriation, Dalloz, Paris, 4éme éd., 2003,
p. 210.
Introduction
une piste de ski en elle-même non
aménagée23. En revanche, constitue un ouvrage public
une piste de ski comportant des aménagements24.
3- Un ouvrage ne peut avoir le caractère d'un ouvrage
public
que s'il est affecté à un intérêt
général25, qu'il s'agisse d'affectation à
l'usage direct du public ou d'affectation aux besoins d'un service
public26. L'affectation à l'intérêt
général justifie le régime juridique particulier qui est
appliqué à l'ouvrage public et la situation qui lui est faite par
rapport aux ouvrages privés27.
Le juge administratif28 a considéré
qu'un immeuble ne peut être qualifié comme ouvrage public que s'il
est affecté à satisfaire un intérêt
général29. En revanche, il a refusé la
qualification d'ouvrage public à un mur dans la mesure où il
n'est pas affecté pour satisfaire un intérêt
général30.
Si les trois conditions, le caractère
immobilière, l'aménagement et l'affectation à
l'intérêt général, constituant
l'élément matériel, sont qualifiées par la doctrine
d'«éléments constants de la définition
»31
23 CE., 12 décembre 1986, Rebora, CJEG, J, 1987, p.
601.
24 CE., 27 juin 1986, Grospiron, CJEG, J, 1987, p. 564 ; CE.,
13 février 1987, Viéville, CJEG, C, p. 321.
25 R. CHAPUS, Droit administratif
général, T.2, Montchrestien, 15ème éd.,
n° 680.
26 J-M. AUBY, P. BON et J-B. AUBY, Le droit
administratif des biens : domaine public et privé, travaux et ouvrages
publics, expropriation, Dalloz, Paris, 4éme éd., 2003,
p. 210.
27 J-M. AUBY, « L'ouvrage public »,
CJEG, 1961, p. 535.
28 TA., affaire n° 33162 du 1 juillet 2001, chef des
contentieux de l'Etat agissant pour le compte de ministère de la
santé publique et le ministère du domaine de l'Etat et des
affaires foncières c/ Hechima Dchich et autres, inédit.
"
29
30 TA., arrêt n° 21707 du 10 avril 1998, chef du
contentieux de l'Etat agissant pour le compte du ministère de la
santé publique c/ Mohamed Mansri et autres, Rec., p. 220.
31 R. CHAPUS, Droit administratif
général, T.2, Montchrestien, 15ème éd.,
n° 677.
5
6
Introduction
d'ouvrage public, l'élément organique, qui
renvoie au propriétaire du bien32 est plus incertain. Est-ce
qu'un ouvrage public peut appartenir à une personne privée sans
pour autant perdre sa qualité d'ouvrage public ?
Pour le juge administratif, un immeuble ne peut être
qualifié d'ouvrage public que s'il est à la
propriété de l'Etat ou d'une autre personne
publique33. Or, cet élément ne constitue pas une
condition indispensable à la qualification d'ouvrage public. Les
ouvrages publics n'appartiennent pas nécessairement à des
personnes publiques.
L'extension d'un régime de droit public à un
ouvrage appartenant à une personne privée recouvre deux
hypothèses34. La première est celle de l'application
de la théorie de l'accessoire35. En effet, la qualité
d'ouvrage public peut être attribuée à un ouvrage
appartenant dans les biens d'une personne privée est incorporé
matériellement à une personne publique dont il devient une
dépendance36. La seconde est celle de l'affectation à
l'intérêt général qui parait impliquer l'application
du régime de l'ouvrage public37.
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