Paragraphe 2 : Politique de libéralisation
financière dans la relation développement financier et croissance
économique.
Dans ce contexte d'étranglement du système
financier Mc Kinnon et Schaw (1983) ont donc préconisé de
libérer les systèmes financiers de ses entraves. Libérer
les marchés financiers c'est donc permettre la croissance de
l'investissement et donc favoriser le développement. La
libéralisation financière est apparue comme la solution pour
développer le système financier des pays en voie de
développement et accroitre son apport à l'essor
économique.
De fait, dès le milieu des années soixante-dix
et plus encore dans les années quatre-vingt, de nombreux pays en
développement ont libéré leurs systèmes financiers
des contraintes internes et l'ont ouvert sur l'extérieur en
allégeant ou supprimant le contrôle des changes sur les mouvements
de capitaux. En effet, la libéralisation financière vise à
relâcher le contrôle de l'Etat sur les taux d'intérêt,
à la diminution des réserves obligatoires, à l'abandon
complet ou partiel de l'encadrement du crédit, à la privatisation
du secteur bancaire et financier, à une meilleure réglementation
du système financier et à la mise en place de mesures visant
à promouvoir la concurrence dans le secteur financier. Ces mesures ont
théoriquement pour effet de relancer l'épargne, l'investissement
et la consommation. La libéralisation financière doit tout
d'abord relever le niveau de l'épargne, en élargissant l'offre
d'instruments d'épargne et en augmentant son rendement anticipé
grâce à des taux d'intérêt réels
élevés. Les premières expériences, en Corée
du Sud et à Taiwan, ont été un
succès. Les mécanismes de libéralisation financière
mis en oeuvre par les économies d'Asie du Sud-Est, à travers
surtout la suppression du contrôle des mouvements de capitaux, la
déréglementation des taux d'intérêt et le
relâchement des coefficients de réserves obligatoires
imposés aux banques ont indéniablement profité à
l'activité productrice de ces pays.
En Corée par exemple, la libéralisation des taux
d'intérêt s'est faite entre 1991 et 1993 et avec elle, la
modification du taux des réserves obligatoires qui est passé
d'environ 30 % en 1990 à 7 % en 1996. De la même façon, les
pays asiatiques se sont inscrits dans le processus de mondialisation
financière en adoptant des politiques d'élargissement de la
concurrence entre les institutions financières. Ainsi,
l'Indonésie et la Malaisie ont assoupli les conditions d'entrées
dans le secteur bancaire en 1988 et 1989, tandis que la Corée et la
Thaïlande modéraient respectivement en 1991 et 1993, les
restrictions jusque-là imposées sur l'activité
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
des banques étrangères en leur sein (Chang,
Velasco, 1998). Les cinq pays du sud-Est asiatique que sont l'Indonésie,
la Corée du sud, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande ont
vu les flux de capitaux tripler dans la première moitié des
années 90, passant d'environ 25 milliards de dollars US en 1990 à
66 milliards en 1996. Pour la période 1995-96, ces pays ont
bénéficié de flux nets de capitaux privés
équivalents, en moyenne à 6,6% de leur PIB (Chang, Velasco,
1998). Les flux massifs de capitaux vers les pays du Sud-Est asiatique ont
grâce à une croissance rapide des crédits domestiques et
à une transformation efficiente de l'épargne en investissements
productifs, conduit à la croissance économique de ces pays.
Ces politiques de libéralisation financière
mises en application dans ces pays asiatiques ont entraîné une
forte augmentation des dépôts bancaires, stimulé la
croissance économique sans compromettre la stabilité
monétaire. Pour Lucas et Krugman (1989), si des gains de croissance
peuvent être attendus du développement financier, rien ne permet
de conclure que la libéralisation financière renforcera le taux
de croissance à moyen et à long terme. Les libéralisations
financières en Amérique Latine à la fin des années
soixante-dix (Argentine, Chili, Uruguay) et aux Philippines comme en Turquie
dans les années quatre-vingt peuvent être
considérées comme des échecs : elles se sont traduites par
une hausse excessive des taux d'intérêt réel, des
entrées spéculatives de capitaux et finalement par de graves
crises de la balance des paiements et du système bancaire. En Afrique
dans les années 1980, sous l'impulsion des bailleurs de fonds (Banque
Mondiale, FMI...), plusieurs pays africains en particulier les pays de la zone
franc ont entrepris des programmes d'ajustement structurels, programmes qui
comprenaient un volet sur la réforme du système financier. Ces
réformes sont focalisées sur la réduction de la
répression financière par la privatisation des banques publiques,
la restructuration des banques en difficulté et la facilitation de
l'entrée de banques étrangères dans le capital des banques
domestiques. Dans l'UEMOA par exemple, les mesures contenues dans la «
Nouvelle Politique Monétaire et de Crédit »
d'octobre 1989 et complétées par les réformes de 1993
vont clairement dans le sens de la libéralisation du secteur financier.
La BCEAO a remplacé ses deux principaux taux à savoir le taux
d'Escompte préférentiel (TEP) et le taux d'Escompte Normal (TEN)
par un taux d'escompte unique (TES), taux directeur auquel l'institut
d'émission refinance le système bancaire pour les besoins de
trésorerie qui n'ont pu être couverts. Dans le cas des conditions
applicables par les banques, la réforme d'octobre 1989 a permis aux
banques, avec la suppression des taux débiteurs planchers, de fixer
librement leurs conditions débitrices à condition toutefois de
ne
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
pas dépasser un taux débiteur plafond qui ne
tient compte ni de la durée, ni de la nature des crédits. En
octobre 1993, les conditions débitrices ont été totalement
libéralisées. Toutefois, les banques ne doivent pas maintenir des
taux d'intérêt excédant le taux d'usure dont le niveau,
déterminé par le Conseil des Ministres de l'Union est fixé
à deux fois le taux d'escompte. La libéralisation des conditions
créditrices répondait à deux objectifs : consolider
l'épargne et privilégier davantage les placements longs. A partir
d'août 1998, des coefficients différenciés ont
été appliqués selon les pays, de façon à
prendre en compte les évolutions divergentes des crédits à
l'économie. En outre, ils ont été sensiblement
relevés : 9,0% pour le Bénin, le Burkina, la Côte d'ivoire,
le Mali et le Togo contre 5,0% pour les autres pays. Les programmes sectoriels
de crédit dans l'Union ont été supprimés en octobre
1989. Les banques ont eu toute la latitude pour financer l'économie sur
la base de critères exclusivement financiers. Pour les États
souhaitant favoriser le financement des secteurs considérés
prioritaires, ils ont été invités à rechercher
d'autres mécanismes d'incitation fiscale ou financière. Cependant
la libéralisation financière n'a pas eu les effets
escomptés. La libéralisation financière ne s'est pas
accompagnée du développement du système financier en
Afrique. La libéralisation financière n'a pas favorisé
l'expansion des crédits au secteur privé dans les pays africains
comme cela avait été escompté. Les déconvenues de
la libéralisation financière ont conduit à tempérer
l'enthousiasme initial quant aux effets bénéfiques du
développement financier (Andersen et Tarp, 2003). La
libéralisation des systèmes financiers semble avoir induit une
rapide croissance financière mais aussi une forte instabilité
financière dans les pays en développement. D'autre part Mc Kinnon
et Schaw en proposant de libérer le système financier, fondaient
leur analyse sur l'hypothèse implicite que le marché financier
est un marché parfait. Stiglitz et Weiss (1981) ont
démontré qu'il pouvait exister un rationnement de crédit
même sur des marchés compétitifs de crédit. La
libéralisation financière pourrait dès lors être
inefficace compte tenu des imperfections du marché de crédit. La
hausse des taux d'intérêt est perçue
généralement comme la caractérisation de la
libéralisation financière et l'ouverture internationale sur le
monde financier. Toutefois les pays qui ont libéralisé de
manière progressive leurs systèmes financiers dans des conditions
de croissance et de stabilité macroéconomique ont connu une
hausse tempérée des taux d'intérêt ; par contre si
la conjoncture économique est mauvaise par exemple dans le cas d'une
inflation, la hausse des taux d'intérêt peut être brutale si
les autorités pratiquent une politique monétaire restrictive
visant à maitriser l'inflation. La libéralisation
financière peut aussi entrainer de graves
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
dangers dans les réformes structurelles. La hausse des
taux d'intérêt provoque une hausse des coûts que supportent
déjà les entreprises qui doivent aussi et maintenant s'ajuster
aux nouvelles conditions de prix relatifs de crédit. Un certain nombre
d'économistes trouvent aussi à la libéralisation
financière quelques insuffisances. En premier lieu l'augmentation de la
monnaie scripturale qui accompagne l'augmentation de la masse monétaire
comporte un risque de crise bancaire. L'incapacité d'une banque à
assurer la liquidité des dépôts entrainant ainsi sa
défaillance peut rapidement se transmettre à l'ensemble du
système financier en l'absence d'un système efficace de
surveillance des banques et d'assurance des dépôts. Ainsi un
développement trop rapide de la monnaie scripturale qui ne peut
s'accompagner de la mise en place d'un véritable système de
surveillance peut engendrer des défaillances bancaires en série.
L'augmentation du nombre des banques et de la concurrence tend à
réduire la longévité des relations entre les banques et
les clients ; les clients passant plus rapidement d'une banque à une
autre. D'autre part, l'intensification de la concurrence conduit les banques
à élever les taux d'intérêt créditeurs pour
non seulement conserver les dépôts mais aussi attirer de nouveaux
dépôts ce qui tend à réduire leur marge. Ceci est
considéré comme favorable au développement de
l'épargne et de l'investissement. Mais la réduction de la marge
bancaire peut conduire les banques à accroitre leur rendement en
acquérant des actifs plus risqués et ceci en adoptant un
comportement de spéculateur. Une autre explication de la prise excessive
de risques par les banques fait référence à un possible
comportement d'aléa moral. Selon l'analyse de Stiglitz et de Weiss
(1981), le comportement normal d'une banque face à l'incertitude est de
limiter volontairement son taux d'intérêt et réduire la
demande de crédit afin d'éviter dans un contexte
d'asymétrie d'information, une sélection adverse. Le comportement
d'aléa moral des banques s'exprime par le fait que les banques sont
incitées à faire des prêts très risqués
à des taux d'intérêt excessivement élevés ,
à prendre des risques de change et de transformation des
échéances pour accroitre leur activité avec l'idée
que si la conjoncture reste favorable elles feront d'importants profits, alors
que, si la conjoncture se retourne en entrainant la défaillance de
nombreux emprunteurs, les pertes massives du système bancaire seront
prises en charge par l'autorité monétaire nationale ou les
institutions financières internationales. L'idée que le
développement financier peut permettre le développement
économique n'est donc possible qu'à la réunion d'un
certain nombre de conditions. Ces conditions préalables sont en fait au
nombre de deux : un environnement macroéconomique stable et une
surveillance adéquate de système bancaire. La première
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
condition suppose des déficits gouvernementaux et
extérieurs raisonnables et un taux d'inflation faible. Quant à la
surveillance du système bancaire, elle vise à empêcher des
banques de succomber à la tentation d'une gestion risquée
lorsqu'elles évoluent dans un environnement moins
réglementé.
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