B. Analyse empirique de la relation entre
développement financier et croissance économique
Dans l'optique d'appréhender la véritable
interaction entre développement financier et croissance
économique, plusieurs travaux empiriques ont été
réalisés. La plupart des travaux empiriques
révèlent que les pays qui disposent des taux
d'intérêt et des taux d'investissement élevés ont un
secteur financier plus développé. Ainsi dans les pays où
le taux de croissance est faible, le niveau de l'intermédiation l'est
aussi. Par contre dans les pays où le niveau du secteur financier est
développé, on assiste à une affectation efficace des
ressources réelles vers les secteurs productifs porteurs de
croissance.
Svaleryd et Vlachos (1991) pour une analyse des effets du
développement financier sur la spécialisation industrielle dans
les pays de l'OCDE montrent entre autres que le développement financier
cause fortement la spécialisation industrielle. Savides (1995) montre
que l'indicateur du développement financier M2/PIB agit positivement sur
la croissance lorsque dans l'analyse du lien développement financier et
développement économique la variable liberté politique
n'est pas prise en compte. Goldsmith, précurseur de l'étude du
lien développement financier et croissance a réalisé des
travaux sur 35 pays en utilisant la valeur des actifs des intermédiaires
financiers par rapport au PIB pour une période allant de 1860
à1963 et trouvent un lien positif entre développement financier
et croissance économique. Toutefois beaucoup d'insuffisances ont
été relevées dans l'étude de Goldsmith entre autres
le fait qu'il n'a pas tenu compte de l'ensemble des facteurs qui influencent la
croissance.
Au cours des deux dernières décennies King et
Levine (1993a ; 1993b ; 1993c) ont été les premiers auteurs
à se pencher sur l'analyse empirique de la relation entre la croissance
économique et le développement financier. King et Levine (1993a ;
1993b ; 1993c) ont tenté de remédier aux faiblesses de
l'étude de Goldsmith par une autre étude sur 80 pays couvrant la
période 1960 à 1989 en utilisant des indicateurs de
développement financier autre que ceux utilisés par Goldsmith.
Ces indicateurs sont au nombre de quatre à savoir l'agrégat
monétaire M2 rapporté au PIB, les actifs des banques commerciales
divisés par le total des actifs des banques commerciales et de la banque
centrale, la part des crédits au secteur privé dans le total des
crédits intérieurs et la part des crédits au secteur
privé dans le PIB. Ils ont examiné systématiquement
l'ensemble des facteurs financiers susceptibles d'activer la croissance. Ils
utilisent aussi quatre indicateurs de croissance économique : le taux de
croissance du PIB réel par tête, le taux de croissance du stock de
capital, le taux de croissance de la productivité globale des facteurs
et le taux d'investissement. Ils trouvent un effet significatif positif du
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
ratio des actifs liquides du secteur financier par rapport au
PIB et concluent une corrélation robuste du degré de
développement financier avec la croissance, l'investissement et
l'efficacité du capital. Les auteurs montrent qu'au seuil de 1% chaque
indicateur de développement financier est positivement
corrélé à chaque indicateur de développement
économique. Pour traiter la causalité inverse entre
développement financier et croissance économique les auteurs ont
régressé le taux de croissance du PIB par tête sur la part
des actifs dans le PIB. Il en découle que le développement
financier exerce un impact positif et significatif sur la croissance
économique sur la période 1960 à 1989. Par
conséquent le développement financier ne suit pas simplement la
croissance mais la prédit aussi à long terme. Ils concluent
à partir de leur étude en coupe transversale qu'au-delà du
lien positif entre les deux variables, le développement financier permet
de bien prévoir la croissance. Ils trouvent aussi qu'un niveau de
développement financier élevé est associé à
une amélioration future du taux d'accumulation et à une
efficience de l'affectation du capital. Toutefois, leur étude quoique
significative ne donne pas une idée claire sur la relation entre ces
deux entités économiques car le fait que le développement
financier initial prédise la croissance de long terme ne suffit pas pour
trancher sur la causalité. De Gregorio et Guidotti (1995) aboutissent au
même résultat en considérant comme indicateur du
développement financier le ratio du crédit au secteur
privé sur le PIB.
Le développement financier peut être
également lié au développement des marchés
financiers. Artje et Jovanovic (1993), à partir d'une étude
portant sur un échantillon de 75 pays concluent à l'influence
positive des marchés financiers sur la croissance. Ils trouvent que les
indicateurs du secteur bancaire sont moins corrélés au rendement
des investissements que ceux du marché boursier. Cependant il ressort de
l'étude que le développement du marché des titres ne
contribue fortement à la croissance économique que si l'on
contrôle la variance des cours boursiers.
Levine, Loayza et Beck (2000) pour évaluer l'impact du
développement financier sur la croissance ont étudié sur
la période 1960 à 1995, 74 pays de tous niveaux de
développement en utilisant deux méthodes
économétriques pour prendre en compte
l'endogénéité de la variable du développement
financier. Pour y parvenir ils font d'une part une analyse transversale et
d'autre part une analyse en panel dynamique pour résoudre le
problème de causalité inverse, de biais de
simultanéité. Ils trouvent un impact positif du
développement
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
financier sur la croissance. Il en résulte de leur
étude que l'effet du développement financier sur la croissance
passe essentiellement par l'accroissement de la productivité globale des
facteurs. L'effet à travers l'accumulation du capital est moindre. Beck
et Levine (2004), examinent l'impact du développement des
activités bancaires et celui des marchés financiers sur la
croissance en portant une étude sur 40 pays avec des données de
panel sur la période 1976 à 1998. Les résultats ont
montré que les activités bancaires et le développement des
marchés exercent de façon indépendante un effet positif
sur la croissance. Christopoulos et Tsionas (2004), sur un échantillon
réduit à dix pays en développement durant la
période 19702000, procèdent à une analyse de
Co-intégration en panel. Leurs résultats plaident en faveur d'une
causalité allant en longue période du développement
financier à la croissance et en faveur d'une absence de relation
à court terme entre les deux phénomènes. Rajan et
Zingalès (1998) ont utilisé des données industrielles pour
évaluer l'impact du développement financier sur la croissance.
Ils défendent l'idée selon laquelle le développement
financier allège les imperfections du marché qui entravent
l'accès des entreprises aux crédits. En utilisant les
données de panel sur plusieurs secteurs industriels d'un
échantillon de 41 pays la période 1980 à 1990, les
résultats montrent que le développement financier a un effet
d'autant plus fort sur le taux de croissance moyen de la valeur ajoutée
d'un secteur que le besoin de financement de ce secteur est important.
Toutefois pour certains auteurs le développement
financier est la conséquence pure de la croissance économique. Un
des grands de ce courant est Robinson (1952) qui pense que les marchés
financiers et les institutions adéquates émergent lorsque le
processus de croissance économique provoque une demande de services
financiers qui induit l'expansion du système financier. Pour Patrick
(1966), le développement financier cause la croissance dans les premiers
stades de développement, mais cet effet diminue graduellement au cours
du développement jusqu'à s'inverser. En effet si les
entrepreneurs anticipent une croissance économique future, qui
entrainera une demande accrue de services financiers, ils pourraient investir
dans la création d'activités d'intermédiation
financière en anticipation des profits futurs. Le secteur financier se
développe donc en réponse aux perspectives de croissance dans le
secteur réel. Le système financier est développé
par la croissance mais il la précède. Demetriades et Hussein
(1996) estiment dans leur étude que dans plusieurs des 16 pays de leur
échantillon la causalité semble aller de la croissance vers le
développement financier et non l'inverse.
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
D'autres économistes se sont penchés sur
l'impact mutuel de la finance et de la croissance et ils suggèrent que
les deux variables sont mutuellement causales et les travaux de Greenwood et
Smith (1997) ont porté sur cette étude. Démétriades
et Hussein (1996), Greenwood et Smith (1997), ont trouvé une relation
bidirectionnelle entre développement financier et croissance
économique. Goldsmith (1969) dans son étude a montré que
le développement financier et la croissance sont liés par une
endogenéité. Greenwood et Jovanovic (1990) présentent un
modèle dans lequel la croissance et l'intermédiation
financière sont endogènes et montrent une relation positive de
causalité two-way entre développement financier et croissance
économique. D'un côté le processus de croissance stimule
une forte participation des marchés financiers dans la sphère
économique ce qui facilite la création et l'expansion des
institutions financières et de l'autre les institutions
financières en collectant et en analysant les informations en provenance
de plusieurs investisseurs potentiels permettent d'entreprendre des projets
d'investissement stimulant de retour la croissance.
Une étude sur les pays de l'UEMOA à l'exception
de la Guinée-Bissau sur la période 1970 à 1995 a
été menée par Raffinot et Venet (1998) qui ont
tenté d'établir, dans une analyse en données de panel, une
relation qui expliquerait la croissance économique à partir des
déterminants traditionnels, ou de ceux suggérés par la
théorie de la croissance endogène. Ils évaluent leur
analyse en combinant les variables traditionnelles de croissance aux variables
de l'approfondissement financier pour juger du lien entre développement
financier et croissance économique. Il ressort nettement qu'aucune de
ces variables n'est positivement et significativement corrélée
avec la croissance. Les résultats de l'analyse ne sont pas satisfaisants
car ils conduisent à rejeter toute influence de l'approfondissement
financier sur les taux de croissance du PIB dans les pays francophones
d'Afrique de l'Ouest sur la période étudiée.
D'après Raffinot et Venet la conclusion de l'étude proviendrait
de l'effet d'ensemble (le regroupement des pays au sein de l'UEMOA). Car, dans
chaque pays, les variables d'approfondissement financier sont assez bien
corrélées avec la croissance. Mais entre pays, cela n'est plus
vrai. Spears (1992) a étudié la causalité entre le
développement financier et la croissance économique pour les pays
sub-saharienne y compris les pays de l'UEMOA. Il a montré ainsi que
l'intermédiation financière (mesurée par M2/PIB) cause au
sens de Granger, la croissance du PIB par tête au Kenya et au Malawi, au
Cameroun, en Côte d'Ivoire. Le Burkina Faso présente la
particularité d'avoir une causalité bidirectionnelle. Ce
résultat fut
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
fort contestable du fait de l'absence des variables
d'intérêt dans ces analyses, ce qui laisse croire une
surévaluation de l'effet de la finance sur la croissance Les tests de
causalité faits sur l'étude de Raffinot et de Venet ont conclu
sur une liaison causale entre approfondissement financier et croissance
réelle. Cette hypothèse se vérifie pour le Bénin,
la Côte d'Ivoire, le Mali sur la période étudiée. En
revanche, une causalité inverse apparaît dans les cas du Burkina
Faso, du Sénégal et du Togo. Enfin, dans le cas du Niger, aucune
causalité n'a pu être mise en évidence. En somme
l'étude sur l'UEMOA de Raffinot et Venet ont permis de conclure que dans
l'UEMOA, l'approfondissement financier n'explique pas la croissance
économique à partir des régressions de panel
effectuées dans le cas des pays francophones de l'UEMOA entre 1970 et
1995. Andersen et Tarp (2003) ont montré que la relation positive entre
développement financier et croissance trouvée par Levine, Laoyza
et Beck (2000) ne se vérifie plus lorsqu'on restreint
l'échantillon aux pays d'Afrique au sud du Sahara et d'Amérique
Latine. Ils soulignent aussi que les études sur données
temporelles propres à un pays ne mettent pas clairement en
lumière une causalité allant du développement financier
à la croissance.
Par exemple, Ram (1999) montre que lorsqu'on utilise des
données annuelles relatives à 95 pays sur la période
1960-1989, une relation positive et significative entre le taux de
liquidité et la croissance n'apparaît que pour neuf d'entre eux.
Luintel et Kahn (1999), trouvent une corrélation négative entre
développement financier et croissance sur sept des dix pays sur lesquels
a porté leur étude. Ils montrent ainsi que la corrélation
diminue et devient non significative pour les pays de l'OCDE. De Gregorio et
Guidotti (1992) élargissent l'échantillon de King et Levine en
subdivisant l'échantillon en trois groupes de pays selon le niveau
initial de revenu par tête. Ils montrent que la corrélation entre
développement financier et croissance augmente et devient significative
au fur et à mesure que le revenu initial par tête diminue. En
réduisant l'échantillon aux seuls pays de l'Amérique
Latine, ils trouvent un impact négatif du développement financier
sur la croissance. Loayza et Rancière (2004) suggèrent une
relation positive entre la finance et la croissance économique à
long terme contre une relation négative à court terme. Loayza et
Rancière (2004) estiment que cette variation de l'impact du
développement financier sur la croissance économique sur le court
et le long terme est fortement liée à la fragilité
financière qu'ils mesurent à travers la récurrence des
crises financières et la volatilité de l'indicateur de
développement financier.
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