B. Le paysage financier de la CEMAC de 2000 à
2010
Les pays de la CEMAC tout comme les autres pays en
développement font face à des besoins en ressources
financières pour financer le développemet de leurs
économies. Le système financier de la CEMAC reste dominé
par les institutions bancaires, dont le comportement se caractérise par
une gestion très prudente en matière d'octroi de crédit
due à la volatilité des ressources, le niveau élevé
des créances douteuses et l'insécurité du cadre juridique
dans la plupart des pays membres (Banque de France, 2009). On compte au 31
décembre 2005 : 33 banques et 16 établissements financiers. Les
33 banques se répartissent comme suit : 10 au Cameroun, 3 en
Centrafrique, 4 au Congo, 6 au Gabon, 3 en Guinée Equatoriale et 7 au
Tchad. Au 31 décembre 2009 on compte dans toute la zone : 43 banques en
activité, 699 établissements de microfinance et 16
établissements financiers alors que le nombre de banques
s'établissait à 29 en 2000 (Banque de France, 2009). Le total des
dépôts bancaires a atteint 4995 milliards de francs CFA fin 2009
contre 1637 milliards en 2000, soit une hausse de 205%. Les crédits
à l'économie ont suivi cette même tendance passant de
1397
44
DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
milliards de francs CFA en 2000 à 3034 milliards, en
progression de 117,1%. Cependant la part des dépôts bancaires et
celle des crédits à l'économie par rapport au PIB sont
restées faibles passant respectivement de 10,9% en 2000 à 16,9%
en 2009 et 9,3% à 10,2%.
Tableau 3 : statistiques bancaires de la
CEMAC
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Dépôts bancaires en milliards
|
1637,4
|
1698,5
|
2087,5
|
2099,2
|
2364,8
|
2921,3
|
3399,8
|
4416,3
|
4684,4
|
4994,9
|
crédit en milliards
|
1397,1
|
1500,2
|
1596,9
|
1673,9
|
1650,3
|
1852,9
|
2019,4
|
2268,6
|
2872,6
|
3034,2
|
Dépôt/PIB%
|
10,91
|
10,39
|
12,52
|
12,05
|
16,16
|
12,08
|
12,59
|
15,48
|
13,75
|
16,72
|
crédit/PIB%
|
9,31
|
9,52
|
9,57
|
9,6
|
8,48
|
7,67
|
7,45
|
7,95
|
8,44
|
10,19
|
Intérêts des
prêts %
|
14,34
|
13,13
|
12,46
|
11,11
|
11,04
|
10,93
|
11,48
|
10,98
|
9,18
|
9,31
|
Couts des
ressources%
|
2,75
|
2,71
|
2,65
|
2,55
|
2,53
|
2,21
|
2,24
|
1,59
|
1,11
|
1,41
|
Marge d'intérêt %
|
11,59
|
10,62
|
9,81
|
8,56
|
8,52
|
8,72
|
9,24
|
9,34
|
8,03
|
7,9
|
Population %
|
31,1
|
31,9
|
32,9
|
33,7
|
34,6
|
35,5
|
36,6
|
37,5
|
38,4
|
39,4
|
Nombre de comptes
|
139059
|
153539
|
164941
|
290555
|
373215
|
441995
|
492471
|
585338
|
665759
|
987686
|
Nombre de guichets
|
95
|
107
|
112
|
130
|
139
|
145
|
190
|
213
|
243
|
275
|
compte/pop
|
0,45
|
0,48
|
0,5
|
0,86
|
1,08
|
1,25
|
1,35
|
1,56
|
1,73
|
2,51
|
Guichet/pop
|
0,0003
|
0,0003
|
0,0003
|
0,0004
|
0,0004
|
0,0004
|
0,0005
|
0,0006
|
0,0006
|
0,0007
|
Source : BEAC (2010)
Sur la même période les intérêts
moyens des prêts ont reculé, revenant de 14,3% en 2000 à
9,3% en 2009. Cette baisse s'explique par l'augmentation du nombre
d'établissements bancaires qui accroit la concurrence. Il est de
même pour les coûts des ressources qui ont enregistré une
baisse, s'établissant à 1,4% en 2009 contre 2,8% dix ans plus
tôt. Par conséquent les marges d'intérêt se sont
contractées ressortant à 7,9% en 2009 contre 11,6% en
45
DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
2000. Par ailleurs l'analyse par terme des encours de
crédits octroyés au cours de la période montre un
désengagement des banques de la CEMAC du financement des investissements
compte tenu du faible crédit sur la période
considérée.
Tableau 4 : Evolution des crédits à
l'économie suivant le terme dans la CEMAC (en milliards de francs
CFA)
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Court terme
|
1030,2
|
1107,9
|
1126,5
|
1153,8
|
1115,4
|
1239,0
|
1233,4
|
1371,3
|
1800,5
|
1823,0
|
Moyen terme
|
320,2
|
348,5
|
426,3
|
474,1
|
491,9
|
556,7
|
721,6
|
834,4
|
994,8
|
1102,7
|
Long terme
|
46,7
|
43,8
|
43,5
|
45,9
|
42,9
|
57,2
|
64,4
|
62,8
|
77,2
|
108,4
|
CEMAC
|
1397,1
|
1500,2
|
1593,3
|
1673,9
|
1650,3
|
1852,9
|
2019,4
|
2268,6
|
2872,6
|
3034,2
|
Source : BEAC (2010).
Graphique 2. Evolution de l'octroi des crédits
à l'économie selon les termes
Source : élaboré par l'auteur à
partir des données de la BEAC
46
DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
Pour sa part le secteur de la microfinance a connu une
évolution notable au lendemain des crises bancaires des années
1980. En effet l'accroissement du nombre d'établissements de
microfinance s'est accompagné d'une forte augmentation de plus de 282
milliards de francs de dépôts et de plus de 140 milliards de
crédits distribués par ce secteur (BEAC, 2010). S'agissant des
marchés financiers de la sous-région, la Bourse des valeurs
mobilières de l'Afrique centrale (BVMAC) a enregistré trois
valeurs à sa cote depuis son lancement en 2008 (BEAC, 2010).
En somme la faiblesse des crédits des institutions
financières à l'économie de la zone franc est frappante
(9% du PIB en CEMAC, 17% dans l'UEMOA). Les systèmes financiers des pays
de la zone franc sont peu profonds. Le total des bilans des banques de l'UEMOA
et de la CEMAC est inférieur à la somme des actifs de la
première banque sud-africaine. Les mauvaises performances en
matière de collecte de l'épargne dans la zone franc s'expliquent
généralement par des facteurs exogènes au secteur
financier tels le comportement d'épargne, la faiblesse des revenus, la
thésaurisation informelle et le manque de confiance dans le
système bancaire mais aussi par des choix propres aux acteurs financiers
comme le manque de produits innovants et la faible rémunération
de l'épargne selon l'AFD (2009). La contrainte financière est
fortement ressentie par les chefs d'entreprise dans les pays de la zone franc
que dans les autres régions du monde. Ces contraintes s'expliquent selon
la nationalité, le secteur d'activité et la taille de
l'entreprise. Les contraintes d'accès au financement sont avant tout
exacerbées pour les investisseurs locaux, les étrangers trouvant
plus facilement des solutions. La nationalité du détenteur des
capitaux est un puissant facteur de discrimination dans l'accès aux
services financiers. Selon l'AFD (2009), au Mali par exemple, 50% des
entreprises locales interrogées déclarent
bénéficier des services bancaires contre 75% des entreprises
contrôlées par des capitaux étrangers. Cet écart est
encore plus important au Benin ou 19,2% des entreprises locales ont
accès aux services bancaires contre 60% des entreprises
étrangères. Au sein de secteur manufacturier au Mali, la
moitié des TPE (très petite entreprise) ayant sollicité un
crédit se sont vues opposer un refus contre 24% des petites entreprises
et 16,67% des moyennes entreprises (PME/PMI). Cet accès
préjudiciable aux TPE est d'autant préjudiciable à
l'économie que les TPE emploient une grande partie de la population
active et produisent pour satisfaire la demande intérieure. Au final
dans les PAZF, mieux vaut être une grande entreprise détenue par
des capitaux étrangers que PME à capitaux nationaux produisant
pour satisfaire la demande intérieure. Au Benin, au Cameroun, au
47
DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
Burkina Faso, les banques exigent une garantie avant
d'accorder un prêt dans plus de 90% des cas. Ce n'est pas tant le
principe de la demande de garantie qui fait problème mais le niveau de
la garantie demandée. Le tableau ci-dessous présente une
étude comparative des garanties exigées pour l'octroi de
prêts entre certains pays de la zone franc et d'autres pays en
développement.
Tableau 5 : Analyse des garanties exigées pour
l'octroi des prêts
Pays
|
Pourcentage des prêts
nécessitant une garantie
|
Valeur de la garantie
pour un prêt en % du prêt
|
Afrique du sud
|
61,11
|
123,82
|
Benin
|
90,57
|
118,68
|
Burkina Faso
|
90,24
|
124,28
|
Cameroun
|
90,16
|
130,98
|
Kenya
|
86,14
|
172,45
|
Mali
|
-
|
117,53
|
Niger
|
83,05
|
102,89
|
Ouganda
|
93,22
|
112,94
|
Sénégal
|
-
|
108,03
|
Source ; Banque Mondiale (2004)
Cette prudence des banques selon la Banque mondiale s'explique
en partie par la difficulté d'utiliser le foncier comme garantie en
raison des lacunes du système hypothécaire dans un espace
caractérisé par des niveaux de pauvreté
élevés, une forte insécurité juridique et la
prédominance de relations informelles entre agents économiques.
Plus généralement la prudence des banques comme des autres
institutions financières s'explique par le haut degré
d'incertitude qui entoure l'activité et la pérennité des
entreprises. De plus l'autofinancement constitue la première source des
investissements dans les pays de la zone franc devant le crédit bancaire
selon le tableau ci-dessous :
48
DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
Tableau 6 : sources de financement des investissements
de la zone franc
Pays
|
auto-
financement
|
Financement bancaire
|
Financement informel
|
Crédit- bail
|
Financement public
|
Carte de
crédit
|
Financement par action
|
Afrique du sud
|
58,5
|
16,5
|
1,1
|
15,6
|
0,7
|
0,0
|
0,1
|
Benin
|
77,1
|
13,7
|
2,7
|
0,2
|
2,8
|
0,0
|
0,8
|
Burkina Faso
|
72,9
|
16,7
|
3,2
|
0,0
|
4,4
|
0,0
|
0,0
|
Cameroun
|
67,9
|
12,4
|
6,3
|
0,0
|
1,2
|
0,0
|
4,0
|
Kenya
|
52,7
|
32,4
|
1,5
|
0,2
|
0,4
|
0,8
|
0,4
|
Mali
|
84,7
|
11,7
|
1,8
|
0,0
|
1,5
|
0,0
|
0,0
|
Niger
|
87,0
|
9,7
|
0,1
|
0,0
|
1,9
|
0,0
|
0,0
|
Ouganda
|
71,4
|
13,5
|
3,5
|
2,4
|
2,2
|
0,0
|
0,0
|
Sénégal
|
70,5
|
18,4
|
3,8
|
1,1
|
1,0
|
0,0
|
0,0
|
Source : Banque mondiale (2004)
L'autofinancement atteint des pics au Niger et au Mali (87% et
84%) alors que le financement bancaire oscille entre 9,7% au Niger et 18,44% au
Sénégal. On voit donc que le financement de l'économie par
voie bancaire reste limité y compris dans les économies plus
réputées et diversifiées comme le Cameroun. En 2006, le
taux de bancarisation dans l'UEMOA n'était que de 6% contre 4% dans la
CEMAC. Le fonds Monétaire International estime que le taux de
bancarisation tomberait à 0,8% en Centrafrique et à 0,4% au Tchad
(IMF, 2006). Au Cameroun, première économie de la zone franc par
son PIB, le taux de bancarisation n'est que de 3,7%. A titre de comparaison ce
taux est respectivement de 10% et de 40% au Kenya et au Botswana. Cette faible
bancarisation s'explique par des facteurs spécifiques aux institutions
financières selon Beck et al (2006). Le premier obstacle est le
coût des services : le cabinet sud-africain Genesis a estimé, dans
le cadre d'une étude réalisée en 2005, qu'il
n'était économiquement pas soutenable de demander à un
ménage de consacrer plus de 2% de son revenu à une
opération financière dans un pays en développement. Si
l'on retient ce seuil, alors les tarifs pratiqués pour les
opérateurs financiers dans la zone franc apparaissent prohibitifs et
constituent un puissant facteur d'exclusion pour les ménages. Au
49
DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
Cameroun, le pays ayant le PIB le plus important de la zone,
le montant minimal pour ouvrir un compte bancaire représente environ
116% du revenu annuel par habitant, tandis que les frais de gestion annuels
avoisinent le quart du revenu annuel par habitant selon Beck et al (2006).
L'émission des actions et des obligations dans la zone
franc semble connaitre une progression sensible. Les émissions
obligataires lancées depuis 1999 sur la Bourse Régionale de
Valeurs Mobilières (BRVM), seule bourse réellement active dans la
zone franc est de 5 ans. Malheureusement, leur utilisation reste
réservée à un petit nombre de grandes entreprises
satisfaisant des critères stricts et les volumes encore levés
sont encore très faibles. Le cumul des fonds levés par voie
obligataire et par émission des actions entre 1997 et 2005
s'élève à 247 milliards environ soit une moyenne de 27
milliards de franc par an. Face aux difficultés éprouvées
par les ménages pour trouver une offre qui répond à leurs
besoins, ceux-ci ont largement recours au secteur informel et depuis quelques
années aux institutions de micro-finance agréées. La mise
en oeuvre de la loi sur les institutions de microfinance dénommée
loi PARMEC dans l'UEMOA adoptée en 1993 et de la réglementation
sur la microfinance en CEMAC en 2001, ont favorisé l'essor de ces
institutions. Quelques statistiques permettent d'illustrer le caractère
prometteur de la microfinance mais. Selon la BCEAO (2005), les institutions de
microfinance comptent dans l'UEMOA 3,7 millions de clients et détiennent
280 milliards de francs de dépôts. Au sein de la CEMAC, le
Cameroun est emblématique des potentialités de la microfinance.
Le secteur y est de loin le plus développé de la zone franc avec
652 institutions soit les trois quarts des institutions de microfinance
recensées dans la zone franc. D'une manière
générale ces institutions bénéficient auprès
de leurs épargnants d'une meilleure image que celles des banques
traditionnelles malgré le fort taux d'intérêt qu'elles
pratiquent sur les crédits.
|
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