Paragraphe 3 : Politique de développement
financier dans la zone franc
La notion de sous-développement financier dans les pays
africains de la zone franc est également liée aux politiques de
développement financier mises en oeuvre par les Etats depuis les
indépendances. Nous entendons par politiques de développement
financier, l'ensemble des actions poursuivies par la puissance publique ou ses
émanations afin de satisfaire les besoins
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
financiers des différentes catégories d'agents
économiques dans un pays donné. Leur mise en oeuvre peut se faire
à travers des mécanismes d'intervention directe de l'Etat
(financements sectoriels ou création d'institutions sous la supervision
de l'Etat), ou par des interventions indirectes (incitations ou la mise en
place d'un cadre réglementaire). Traditionnellement les politiques dites
interventionnistes ou dirigistes mettent l'accent sur le premier type
d'instruments tandis que les politiques à tendance libérale ont
davantage recours au second type d'outils. Les politiques de
développement financier mises en oeuvre dans les pays de la zone franc
(PAZF) depuis les indépendances ont évolué entre ces deux
extrêmes : interventionnistes et expansionnistes. Elles ont
été interventionnistes entre 1960 et 1980 et ont permis
d'améliorer la profondeur, la diversité et l'accessibilité
des systèmes financiers tout en créant leur instabilité ;
libérales des années 1980 à nos jours et elles ont
restauré la rentabilité et la stabilité des institutions
financières au détriment de leur accessibilité, de leur
diversité et de leur profondeur. En effet les décennies 1960-1980
correspondent pour les pays de la zone franc à un développement
financier. Des progrès sont réalisés dans trois dimensions
: la profondeur, l'accessibilité, la diversité. Les indicateurs
de profondeur attestent pour les pays de la zone franc une collecte nette des
dépôts qui passent en moyenne de 6% à 17% du PIB et dans
l'octroi des crédits à l'économie qui entre 1960 à
1980 progressent de 11 à 17% du PIB dans l'UEMOA et de 15 à plus
de 20% dans la CEMAC selon les estimations de la Banque mondiale (2006).
Au-delà de l'approfondissement financier, les Etats ont accordé
une place importante à l'accessibilité des systèmes
financiers aux populations. Ce positionnement est d'autant plus important pour
les Etats qu'il marque une rupture avec le système financier colonial
considéré comme extérieur à la
société africaine et source d'exclusion. Les politiques publiques
ont aussi favorisé la diversité des institutions à travers
une gamme variée de services financiers. Mais les crises
financières et économiques qui ont frappé les pays de la
zone franc dans les années 1980 vont précipiter le déclin
du processus de développement financier dû à un
renversement des priorités des autorités publiques et à un
dérapage dans la gouvernance des institutions financières. Les
difficultés éprouvées par certains pays à faire
face à leurs dépenses sur la seule base de leurs recettes et le
refus de la BCEAO et de la BEAC à leur accorder des aides
budgétaires ou de leur laisser la possibilité d'émettre
des emprunts vont contraindre les pays de la zone franc à mobiliser des
ressources auprès des banques publiques, des institutions
spécialisées afin de financer leur déficit
budgétaire. Les ambitieuses stratégies de développement
financier des années 1960 se sont heurtées à la
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DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE ECONOMIQUE DANS LES PAYS
DE LA ZONE FRANC.
modification progressive des priorités des Etats qui
relèguent au second plan leurs objectifs de développement de long
terme (financement des projets d'investissement) au profit de leurs besoins
immédiats (financement du déficit). Ceci explique
l'interventionnisme poussé des autorités dans le secteur bancaire
qui prendra par la suite le nom de répression financière. La mal
gouvernance dans le secteur bancaire engendrée par l'interventionnisme
poussé des Etats conduira par la suite à des restructurations
dans le paysage financier de la zone franc avec l'arrivée des politiques
d'ajustement structurel qu'ont connues ces pays et qui ont
préconisées une libéralisation du système financier
dans ces pays. Les restructurations et les liquidations des institutions
financières de même que les réformes de lois bancaires ont
conduit à l'amélioration de la réglementation et de la
supervision du secteur bancaire. La stabilité et la rentabilité
des institutions étaient privilégiées à la
diversité, à l'accessibilité et à la profondeur des
institutions financières à partir des années 1980. Au
terme de ce parcours de plus d'un demi-siècle de développement
financier depuis les indépendances, la zone franc donne l'impression de
se retrouver au point de départ. Selon Barthélemy et Varoudakis
(1996), le système financier de la zone franc serait pris au
piège de ce qu'ils appellent un équilibre bas de
sous-développement financier.
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