4) La simplicité volontaire
Le débat sur la décroissance du PIB donne
l'occasion à plusieurs auteurs d'expliquer que la décroissance
est beaucoup plus qu'une stricte diminution de la production. Le but est de
montrer que celle-ci, finalement bien avant de se jouer sur un éventuel
terrain économique, se définit comme un art de vivre : C'est
l'idée de « simplicité volontaire ». En réponse
à la définition du bonheur de nos sociétés
contemporaines, caractérisé par le consumérisme,
l'accaparement de biens matériels et la concentration des richesses, au
mépris de leurs conséquences environnementales et sociales, la
simplicité volontaire est un chemin alternatif permettant à
chacun de vivre facilement
48ARIES (P.), Le Mésusage, essai sur
l'hypercapitalisme, éditions Parangon/Vs, 2007, 172 p.
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et immédiatement ce qu'est la décroissance.
Jean-Marie Harribey en explicite d'emblée les
fondements 49 : il s'agit d'abord de bouleverser nos représentations
culturelles, et particulièrement celles ayant trait à la
finalité du travail et au but de la vie en société. Et ce,
d'autant plus que ces représentations sont devenues largement
inconscientes, intégrées dans nos modes de pensée,
laissant difficilement le choix ; Ivan Illich 50 parle ainsi de
« monopole radical », chaque fois que la société, par
des pressions normatives implicites, élimine notre liberté de
choisir une voie différente : il faut posséder une voiture,
consommer, respecter des codes dans l'expression de ses idées et de sa
créativité. Face à cela, les tenants de la
simplicité volontaire prônent, par leurs choix de vie quotidiens,
la rupture. Réduire ses besoins, tout d'abord, pour se
débarrasser de la croyance qu'il faut avoir toujours davantage pour
mieux être, et limiter ses impacts sur l'environnement : distinguer le
nécessaire du superflu, notamment par la fuite de la mode,
réparer et non remplacer les objets endommagés. Abandonner la
multitude d'objets technologiques (portable, télévision,
ordinateur) altérant les rapports humains, permet de redonner du sens
à la vie, et libère du temps pour l'introspection, la
contemplation et la création. Qui sont ces adeptes d'une vie simple,
parfois appelés « décroissants » ? Le journal La
Décroissance, qui va chaque semaine à leur rencontre, les
fait apparaître comme des personnes aux profils à la fois normaux
et atypiques : une professeur à la retraite en charge de trois
adolescents, des artisans luthiers dans un village isolé, un couple en
pleine campagne exploitant une microbrasserie,... Ni des marginaux, ni des
révolutionnaires en fin de compte, ce que semble signifier Paul
Ariès: « la simplicité volontaire est l'oeuvre d'individus
qui simplifient volontairement leur existence pour retrouver une meilleure
qualité de vie »51. Ceux-ci privilégient le local
sous toutes ses formes (autoproduction alimentaire, abandon des trajets en
voiture, rencontres avec les voisins) et, in fine, une certaine pauvreté
: l'existence pleine passe par moins de biens pour plus de liberté
intérieure, moins de temps de travail pour moins de salaire, moins de
consommation et plus de temps pour soi et les autres. En un sens, ce n'est donc
pas un hasard si, comme le remarque Ariès, ce sont souvent des personnes
aux revenus déjà modestes qui se retrouvent dans la
simplicité volontaire, dans la mesure où elle leur permet de se
replacer dans la société, de retrouver une estime de soi en
coupant le lien entre l'être et la richesse.
« Sois le changement que tu veux voir dans le monde
»52 semble s'appliquer parfaitement à ces «
résistants non-violents » tenants de la simplicité
volontaire, qui choisissent de modifier dès
49HARRIBEY, op.cit.
50ILLICH (I.), Energie et
équité, Seuil, 1975, 2e éd.
51ARIES (P.), La simplicité volontaire
contre le mythe de l'abondance, éd. La Découverte, 2010, 301
p.
52POTTS (M.), Arun Gandhi Shares the Mahatma's
Message, India - West [San Leandro, California] Vol. XXVII,
No. 13 (1er février 2002), p. A34
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à présent leurs façons d'être pour
vivre en conformité avec leurs valeurs, et ne plus renvoyer le
changement qu'ils espèrent voir à un hypothétique «
Grand Soir ».
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