2.5. Frontière et gestion de l'eau
La frontière est une limite qui circonscrit une aire,
l'aire de souveraineté d'une collectivité. Cette limite,
fixée par une communauté humaine induit une discontinuité
dans l'espace ; cette portion d'espace appropriée,
délimitée, structurée devient alors un territoire. De ce
territoire naît un Etat grâce à l'intervention d'un
système politique. Elle est « une limite physique qui fixe
l'aire territoriale d'un état nation et indique le champ d'exercice de
la souveraineté nationale » (Pelli, 2002 : 4).
La frontière est donc un instrument géographique
d'organisation de l'espace. Elle s'inscrit dans l'effort des
collectivités assoiffées de territoire d'assouvir cette soif mais
aussi dans le souci de s'émanciper en cherchant des valeurs nationales
dans le cadre d'un état organisé. « Elles [les
frontières] sont des limites, des discontinuités et de ce
fait, révélatrices de nombre de phénomènes
politiques, militaires, culturels, économiques » (Pradeau,
1994 : 15).
La frontière peut se présenter sous plusieurs
formes : une ligne de démarcation tracée sur le sol, il s'agit
ici d'une limite (frontière entre la Corée du Nord et la
Corée du Sud). Une barrière défensive créée
pour assurer la protection d'un Etat : ceci peut être un mur, des
grillages ou des barbelés (frontière séparant les
Etats-Unis d'Amérique du Mexique). Elle peut être un cours d'eau
(fleuve Maroni entre la Guyane et le Surinam) ou des crêtes de montagne,
ou bien encore un espace vide parsemé de bornes (au sein de la
forêt entre la Guyane et le Brésil).
D'une part, elle coupe l'espace et le sépare en deux
entités étatiques contiguës, juxtaposées avec des
spécificités politiques, législatives, administratives et
économiques propres à chacune d'elles ; la frontière
constitue alors une coupure. D'autre part, elle unifie, sert d'interface, de
lieu d'échange et de passage ; elle est encore couture. Puisqu'elle est
à la fois coupure et couture, Raffestin (1975) la qualifie de notion
ambivalente. Cette ambivalence de la frontière se situe aussi dans le
fait qu'elle peut être artificielle (car créée par la
société et marquée par des artifices : mur, grillages,
etc.) ou naturelle, quand des éléments naturels, hydrographiques
ou orographiques en sont les marqueurs.
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La frontière enferme ou libère. En
deçà, elle est une prison. Au-delà un symbole de
liberté. Pour un refugié, politique ou économique, son
franchissement est une fuite vers la liberté ou vers des conditions de
vie meilleures.
« La frontière est un organisme vivant
animé (mais aussi instrumentalisé) par les volontés
politiques, les environnements et conjectures économiques,
traversé et irrigué par les populations frontalières
». (Picouet et Renard, 2007 : 117)
Dans son fonctionnement, la frontière mobilise
plusieurs acteurs : politiciens, douaniers, policiers, militaires,
commerçants, contrebandiers, etc. On lui assigne plusieurs fonctions
dont le nombre et la nature varient au gré des objectifs que l'Etat
s'est fixés. C'est donc la société qui « lui
attribue ainsi ses fonctions dominantes, ses valeurs, sa signification, par
ailleurs variables dans le temps long des hommes et de leurs territoires »
(Picouet et Renard, 2007 : 17).
Mais généralement, elles remplissent trois
fonctions principales, selon Raffestin et Guichonnet (1974 : 49 -53) :
- La fonction légale : la
frontière délimite l'aire territoriale à
l'intérieur de laquelle s'applique le droit positif d'un Etat. Autrement
dit, en deçà de l'aire délimitée ou
démarquée par la frontière, prédomine un ensemble
d'institutions juridiques et de normes qui règlent l'existence et les
actions des membres de la société.
« À l'abri des frontières, le droit
national est souverain, favorise le maintien d'un certain ordre public, permet
de réagir contre les abus définis par la loi. Elle constitue une
protection des acquis légaux, de certaines formes de culture et
d'organisation, du fonctionnement socio-politique et économique ».
(Wackermann, 2003 : 78)
- La fonction fiscale : cette fonction a
plusieurs objectifs, notamment celui de protéger le marché
national par le prélèvement de taxes sur les produits
étrangers. Cette politique a pour but de promouvoir et de favoriser
l'agriculture et l'industrie nationales en « les mettant à
l'abri des atteintes de la concurrence jugée dangereuse et en leur
réservant l'ensemble du marché national » (Guichonnet
et Raffestin, 1974 : 50).
Elle incite donc à la consommation locale. C'est le cas
des contrôles douaniers entre la Suisse et l'Italie par exemple. La
fonction fiscale peut aussi permettre d'alimenter un budget. Entre la
frontière séparant le Bénin et le Togo et au niveau des
frontières maritimes de ces deux
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nations voisines, les taxes prélevées sur les
marchandises et les produits servent à alimenter le budget national.
- La fonction de contrôle : elle a pour
dessein de surveiller des personnes et des biens au franchissement de la
frontière. Il s'agit du contrôle de mouvements migratoires ou du
contrôle des capitaux et des biens. Ce sont donc des mesures d'exclusion
et d'interdiction opérées à la frontière qui
devient ainsi un filtre. L'effet filtre peut être subi ; c'est le cas de
pays sous embargo ou sous des mesures de boycott. Il peut aussi être
volontaire et recherché ; ceci passe par les refus et les
contrôles via l'arsenal législatif et règlementaire. Ces
mesures de refus ou de contrôles reposent sur des considérations
politiques, économiques, idéologiques, morales. Ces
empêchements à la libre circulation des personnes et des biens
montrent l'aspect négatif de la fonction de contrôle. En
même temps elle a des effets positifs dans la mesure où elle
« peut être utile pour empêcher la propagation de maladies
contagieuses ou interdire l'accès des plantes ou animaux
contaminés » (Pelli, 2002 : 42).
L'espace frontalier est une interface remarquable fait
d'éléments, de réseaux, de structures et de flux,
« donc bien le lieu de rencontre entre des enjeux et des
stratégies de pouvoirs et d'acteurs très différents,
situés à des niveaux scalaires multiples » (Picouet et
Renard, 2007 : 16).
Grâce au progrès de l'information et de la
communication, aux techniques et moyens de transport performants : le transport
aérien, les réseaux autoroutiers et la circulation ferroviaire
à grande vitesse, le monde est devenu fondamentalement un ;
l'affirmation « monde, village planétaire » est maintenant
plus vraie que jamais, comme en témoigne le flux des échanges
humains, matériels, immatériels. Dans ce contexte, les
frontières deviennent de plus en plus désuètes d'autant
plus que nous assistons dans une bonne partie du monde à
l'amoindrissement de leurs effets.
Les frontières ne sont plus des obstacles comme
autrefois mais des éléments de rapprochement des
sociétés et des économies complémentaires. Elles
perdent de plus en plus les fonctions qu'on leur reconnaissait. Cette
défonctionnalisation des frontières encore
appelée défrontiérisation n'est encore nulle part
achevée sauf dans le cas de l'Allemagne avec la chute du mur de Berlin
en 1990 et la réunification entre la RDA et la RFA.
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Cette défonctionnalisation des frontières se
voit dans les efforts de coopération transfrontalière et
d'intégration entre des Etats. On peut citer comme exemple l'Union
Européenne en Europe, la CEDEAO en Afrique de l'Ouest.
Les frontières ne sont plus pour autant des limites de
souveraineté économique. Les frontières nationales
à vocation politique, législative, administrative sont toujours
présentes dans tous les Etats. Même dans un contexte
d'intégration, la fonction légale demeurera toujours. C'est
pourquoi l'idée d'un effacement total des frontières est une
illusion. Ceci s'explique aisément par les contrôles
d'identité au passage des frontières même dans un contexte
de tentative de suppression de celles-ci. La frontière ne saurait
disparaître totalement puisqu'elle a toujours une fonctionnalité,
même si celle-ci est partielle.
« L'homme, la société, dans leur vie
quotidienne, ont besoin de limites territoriales, mais ouvertes, de
frontières, mais ouvertes. Ils nécessitent un minimum
d'intégration spatiale, de sécurité territoriale [...]. Le
changement est inscrit dans l'identité». (Wackermann, 2003 :
169)
Pour la présente étude, c'est la fonction
légale de la frontière qui nous intéresse puisque c'est en
vertu de cette fonction que les lois régissant les actions et
comportements des individus dans la société sont établies.
Les lois régulant la gestion de l'eau dans un Etat donné entrent
également dans ce cadre.
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