II.2. APPROCHE ECONOMIQUE
Tous les facteurs cités ci-dessus n'expliqueraient pas
à eux seuls les comportements sexuels des jeunes en milieu urbain. Ces
derniers contracteraient aussi les rapports sexuels pour atteindre des
objectifs bien précis. Chenlin et Riley (1986) distinguent deux
catégories de jeunes : ceux pour lesquels l'activité sexuelle
répond à des objectifs autres que le mariage et la
fécondité et ceux pour lesquels l'activité sexuelle
répond à la fois à un objectif économique et est
une stratégie de nuptialité.
Dans le premier cas, se retrouvent les jeunes, surtout
garçons et filles contractant les rapports sexuels à but
lucratif. Il s'agit du phénomène de commercialisation du sexe par
les jeunes filles qui veulent gagner de l'agent nécessaire à la
satisfaction de leurs besoins comme le montre cet extrait tiré de
Calvès E-A (1996) mentionné par Rwenge (1999) «
....older men ,often referred to as « sugar daddies » or «
sponsors », provide girls with money for food and logding,as well as
school fees, uniforms,books,supplies, in exchange for sexual favours
». C'est ainsi que les jeunes filles peuvent entretenir des rapports
sexuels avec les hommes dans le but d'obtenir de l'argent, des cadeaux ou
diverses autres
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faveurs en vue de subvenir à leurs besoins. Ce facteur
pourrait jouer d'autant plus en Afrique subsaharienne (Côte d'Ivoire en
particulier) que la récession économique à laquelle est
confronté ce continent depuis le début des années 1980 et
la dégradation des conditions de vie en ville comme en campagne ont
rendu les populations plus vulnérables (TALNAN ,2002).
Dans des conditions économiques difficiles, les femmes
célibataires peuvent se prostituer pour subvenir à leurs besoins.
En effet, une bonne partie des jeunes filles migrant vers les grandes villes
proviennent de villages ou de bourgades. Leur premier objectif en se rendant en
ville est d'avoir un emploi. En cas d'échec, elles se lancent parfois
dans la prostitution comme Bledsoe (1989) l'a observé en Zambie : «
Les jeunes femmes provenant de leur village arrivent en ville, ne
parviennent pas à trouver du travail et se tournent vers les moyens les
plus simples de se procurer un peu d'argent et de sécurité. Elles
recherchent des hommes aisés et âgés qui ont un emploi et
sont souvent mariés, en estimant qu'elles peuvent satisfaire ainsi leurs
besoins en échange de ces liaisons et relations sexuelles... Ces femmes
accepteraient, à défaut de l'approuver, la propension des hommes
mariés et des célibataires de voler d'une aventure amoureuse
à l'autre ».
Cependant, comme le note le National Mirror (1987, cité
par Bledsoe 1989), la majorité des jeunes femmes s'engageraient dans la
prostitution malgré elles : « Quand elles sont
interviewées, les filles qui attendent les hommes devant les
hôtels racontent souvent des histoires tristes. Une jeune femme raconte
... «la raison pour laquelle je me prostitue est que j'ai deux enfants
mais pas de mari. Je ne m'en réjouis pas du tout, mais je n'ai pas
trouvé d'autre alternative» ». En revanche, les hommes
stables profiteraient des difficultés économiques de ces jeunes
femmes pour satisfaire au maximum leurs désirs sexuels favorisant la non
utilisation systématique des préservatifs. Cela pourrait
expliquer la haute prévalence du VIH/SIDA observée par l'OMS en
1991 chez les cadres au Zaïre, au Rwanda et en Zambie.
La situation économique des parents affecte
considérablement les comportements sexuels de leurs enfants, à
travers les comportements sexuels que les parents adoptent sous les pressions
économiques (Lurie 1976 ; cité par Rwenge, 1995), et aussi
à travers le type d'encadrement familial qui résulte de ces
pressions. En effet, la situation socio-économique
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des parents détermine leur capacité à
satisfaire les besoins de leurs enfants (Kouton 1992). Les moyens qu'ont les
enfants pour satisfaire leurs besoins influent sur leur sexualité de la
manière suivante :
-- quand les parents ont assez de moyens pour satisfaire les
besoins de leurs jeunes filles, ils modifient facilement leurs attitudes
vis-à-vis des statuts privilégiés dans le milieu
socioculturel d'origine (mariage forcé, union précoce, etc.) ;
-- les moyens déterminent l'aptitude des parents
à envoyer les enfants à l'école qui est un support social
dont peuvent disposer les jeunes enfants pour l'éducation sexuelle, en
particulier la connaissance et l'utilisation des préservatifs. La
fréquentation scolaire est un des déterminants du statut auquel
accèderont les jeunes enfants ;
-- les moyens déterminent aussi la capacité
qu'ont les parents d'envoyer leurs enfants dans des groupes de jeunes et de
faciliter leur accès aux médias et aux films vidéo, etc.
;
-- enfin les moyens mis à la disposition des jeunes
influencent chez eux l'intensité de l'activité sexuelle et
l'engagement dans l'activité sexuelle «à risque». En
effet, souligne Rwenge (1999), en cas de situation économique difficile,
les jeunes garçons, généralement issus de mères
célibataires ou de mères adolescentes, abandonnent parfois leurs
familles pour vivre dans la rue. La pauvreté de leurs familles
d'origine, les sévices et l'exploitation qu'ils y subissent ne les
incitent guère à y retourner. Une fois dans la rue, ces jeunes
sont souvent victimes de sévices sexuels que leur font subir d'autres
jeunes de la rue et parfois par manque de moyens pour entretenir les filles,
ils se livrent à des actes sexuels rémunérés aussi
bien avec les femmes très souvent âgées que les hommes
(homosexualité). Néanmoins en cas de situation économique
favorable, certains jeunes garçons peuvent s'engager intensément
dans les relations sexuelles, profitant en fait des difficultés
économiques de jeunes filles pour satisfaire au maximum leurs
désirs sexuels. Donc, en cas de confrontation à des conditions de
vies difficiles les jeunes de deux sexes s'engagent à des relations
sexuelles intenses qui conduisent certains à la prostitution.
Cette approche explicative de l'activité sexuelle est
limitée par le fait qu'elle concerne les jeunes filles. Cependant, les
enfants démunis qui n'ont généralement aucun soutien
financier, en particulier les adolescentes qui ont besoin de payer leurs
études sont alors devenues les premières victimes et sont
beaucoup plus exposées à avoir des comportements sexuels à
risque.
Dans un second cas, la sexualité pré maritale
des jeunes vise à la fois un objectif économique et un objectif
social (Freyistan et bankole, 1991 ;Meekers,1995 ;cités par
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Rwenge,1999).La finalité de l'activité sexuelle
peut être aussi la fécondité ,celle-ci pouvant être
une stratégie nécessaire à l'aboutissement du mariage
comme le met en évidence Muller(1983) quand il s'exprime ainsi :
« a women may favor premarital pregnancy hoping that marriage will
follow... ».Smith (1989) renchérit en ces termes : «....
In other case young woman may favor be expect to prove her fertility to her
partner before he agree to a formal marriage ». .Cette attitude des filles
est aussi favorisée par l'importance accordée en Afrique à
la nuptialité et à la fécondité dans le prestige
social de la femme. « Chez les Béti du Sud Cameroun, l'absence
de maternité est pour une femme un obstacle à son ascension dans
le groupe féminin. De plus une femme sans enfant est le plus souvent
considérée comme le logis des mauvais esprits ou tout simplement
comme une sorcière. Les femmes stériles Fulani et des autres
ethnies touchées par l'infécondité au Nord Cameroun se
considèrent comme des handicapées sociales et se croient
inférieures aux autres femmes. Une femme stérile ou
inféconde n'aime donc pas se déclarer comme telle »
(Evina 1990).De plus la plupart des femmes dépendent
économiquement de leurs maris. Quand elles ne sont pas satisfaites
économiquement par ces derniers, elles contractent des relations
sexuelles extraconjugales à but lucratif comme le souligne Bledsoe
(1989) : « A cause des difficultés économiques,
même les femmes mariées s'engagent dans les activités
sexuelles extra-conjugales » ; le problème serait très
important en milieu urbain où les hommes contribuent en grande partie au
revenu du ménage.
A l'issue de notre revue de littérature, on peut dire
que les contextes dans lesquels vivent les jeunes en Afrique subsaharienne sont
dits traditionnel et moderne, et ce dernier constitue en milieu urbain le lieu
de socialisation des adolescents et de réalisation de leur
activité sexuelle. Les études antérieures
illustrées par des approches d'ordre socio-culturelle et
économique tentent d'expliquer ces comportements liés aux sexes ;
néanmoins il faut relever parmi ces études que très peu
notent de façon pertinente les approches qui à travers leurs
facteurs et par des mécanismes d'intervention permettront de
réduire l'activité sexuelle au meilleur des cas sinon de limiter
les conséquences liées aux comportements sexuels à risque
chez les jeunes en milieu urbain. De plus la littérature sur la
sexualité des jeunes qui constitue une frange importante de la
population sexuellement active, a touché très peu les pays de
l'Afrique subsaharienne (Rwenge, 1999) et ceci accroît non seulement
notre intérêt pour le sujet mais de l'aborder dans un angle
incluant la disparité social telle vécu en milieu urbain en
Côte d'Ivoire.
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