II. PRINCIPALES APPROCHES EXPLICATIVES DE LA SEXUALITE
DES JEUNES EN MILIEU URBAIN
Trois tendances théoriques marquent les travaux
antérieurs sur les comportements sexuels des jeunes. Il s'agit des
tendances socioculturelles, économiques et institutionnelles. Cependant,
les études réalisées en milieu urbain en Afrique se sont
davantage orientées vers les deux premières (Rwenge, 1999).
II.1. APPROCHE SOCIOCULTURELLE
Cette approche se fonde sur le fait qu'on ne peut pas «
désocialiser » l'activité sexuelle. Selon cette approche,
les relations sexuelles entre les jeunes seraient spontanées. A ce
niveau deux aspects fondamentaux caractérisent cette approche, notamment
l'aspect biologique et l'aspect socioculturel de la sexualité.
Dans l'aspect biologique, les comportements sexuels sont
définis comme étant une conséquence naturelle du
désir d'avoir des rapports sexuels, qui se manifeste plus fortement chez
l'homme que chez la femme (Freud ,1905 ; Tiger et Fox, 1974 ) . Selon cette
théorie, l'activité sexuelle serait l'expression d'une pulsion
puissante d'origine biologique, que l'individu chercherait dans tous les cas
à satisfaire, directement ou indirectement ; les
3 Etude sur les jeunes et le VIH/SIDA :
pouvons- nous éviter la catastrophe ? 2001, publication
: problèmes mondiaux de la santé
numéro 12( Volume XXIX, numéro 3), publiée par le
Population Information Program, Center for Communication Programs, The Johns
Hopkins Bloomberg School of Public Health, 111 Market Place, Suite 310,
Baltimore, Maryland 21202, USA.
Par KOUAME Marius & TCHOUDJA
Victorien 11
Inégalités sociales et comportements
sexuels à risque des jeunes en milieu urbain en Côte
d'Ivoire
seules limites de l'activité sexuelle seraient les
contraintes, essentiellement extérieures, que lui impose la
société. Cette vision de la sexualité vue sous cet angle a
été vivement critiqué par plusieurs chercheurs, qui au vu
de l'accent mis sur la base biologique et pulsionnelle de l'activité
sexuelle découlant sur l'affirmation « humaniste » et n'ayant
rien d'anormale, estiment qu'elle a pour effet majeur de
«désocialiser» en grande partie l'activité sexuelle, et
de faire passer pour secondaire le rôle central de la construction
sociale et culturelle, sans laquelle aucun désir ne pourrait pourtant
apparaître et s'exprimer (Foucault 1984, cité par Bozon 1994a :
1174). Ainsi selon Foucault (1984) (cité par Rwenge, 1999), les
comportements sexuels sont déterminés aussi par les normes et
valeurs socioculturelles en matière de sexualité, l'ensemble de
ces normes et valeurs déterminant les circonstances dans lesquelles a
lieu l'activité sexuelle.
L'aspect socioculturel, mis en exergue par la théorie
générale de la modernisation fondée sur l'affaiblissement
des structures traditionnelles et le relâchement du contrôle des
aînés sur les cadets, est fortement mise en cause au niveau
même de ces fondements. Ainsi, on observe une dégradation des
moeurs conduisant à l'abandon des valeurs traditionnelles (dû au
modernisme), tendant à favoriser une plus forte activité sexuelle
des jeunes. Certaines études qualifieront de «
désorganisation sociale » cette faiblesse du contrôle social
ou ce relâchement des moeurs en matière de sexualité qui
justifierait l'évolution sans cesse croissant de la pratique sexuelle
à risque auprès des jeunes qui comme l'illustre Diop (1995),
(cité par Rwenge, 1999), s'explique par le fait que les comportements
nouveaux qui en résultent sont plus orientés vers la satisfaction
personnelle et la gratification individuelle que vers la responsabilité
familiale. Une étude menée par Van Balen (1958 ; cité par
Evina, 1990) considère ce relâchement comme principal facteur
explicatif du niveau élevé de stérilité
observé à l'ouest du Zaïre car la reconversion de ce peuple
chasseur à l'agriculture de coton et l'introduction de la monnaie a
entraîné la disparition du pouvoir des aînés sur les
cadets. Il en est de même de la restriction vis-à-vis des
pratiques sexuelles.
Le relâchement du contrôle social en
matière de sexualité, dû à l'urbanisation, à
l'éducation occidentale et aux changements des modes de reproduction
dans les sociétés africaines, a en effet augmenté le
pouvoir décisionnel des jeunes sur le moment de , avec qui et pourquoi
contracter les rapports sexuels (Bauni ,1990 ; Meekers,1992a, cité par
Rwenge, 1999).Cette autonomie les a entraîné à
adhérer à certaines pratiques occidentales,
Par KOUAME Marius & TCHOUDJA
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Inégalités sociales et comportements
sexuels à risque des jeunes en milieu urbain en Côte
d'Ivoire
notamment le libertinage sexuel manifesté dans les
rencontres entre jeunes de sexe opposé dans des endroits où le
contrôle par les aînés n'est pas assuré et où
on note l'allongement du retard de leur âge d'entrée en union. En
Côte d'Ivoire, le poids de la modernisation sociale conjugué
à certaines coutumes a une influence sur la précocité des
rapports sexuels chez les jeunes filles. En effet, la précocité
de la sexualité surtout chez les femmes s'explique aussi par la coutume
du mariage précoce des filles ainsi que par la tolérance des
activités sexuelles préconjugales. Ces activités seraient
largement tolérées depuis toujours dans les
sociétés animistes ou christianisées. Et dans les
sociétés islamisées qui traditionnellement n'acceptent les
rapports sexuels que dans un cadre du mariage, il y a eu un affaiblissement du
contrôle social (Edouard TALNAN, 2002).
Par ailleurs, ce qu'on observe au niveau des jeunes, c'est un
manque d'information exacte sur la sexualité et ses conséquences,
soient parce que jugée tabou par les parents, soient par un manque de
dialogue entre parents et enfants dues à leurs différents
occupations, soient même par leurs incapacités de rechercher et
comprendre les contours de la sexualité (simple ignorance, faible niveau
d'instruction, etc....). Ce qui s'en suit est assurément la recherche
d'alternatives qui repose sur les conseils et « expériences »
des amis, les medias et l'école et non plus sur la famille, d'où
l'importance de l'introduction de l'éducation sexuelle à
l'école et dans les groupes ou centre de jeunes, comme Schofield (1971)
(cité par Rwenge, 1999) l'a mis en évidence. Selon une
étude4 menée en Côte Ivoire par ZANOU et al
(2002), 79,7% des jeunes en milieu urbain visionnent la chaîne national
et un grand nombre écoutent également la radio, aussi 33,7% des
garçons estiment important l'avis de leurs confidents ou ami(e)s contre
27,2% chez les filles. Au Cameroun, une autre étude5
réalisée sur un échantillon de 671 jeunes résidents
de la ville de Bamenda, note qu'environ trois jeunes sur cinq ont
déclaré avoir parlé de sujet de nature sexuelle avec leurs
camarades de classe .En revanche, moins de deux sur cinq en avaient
parlé dans un cadre familial aux aînés ou la mère.
Donc des initiatives visant à introduire de façon rigoureuse dans
les programmes d'enseignement scolaire ceci avant l'entrée en vie
sexuelle des jeunes (16,2 ans chez les garçons contre 16,6 ans chez les
filles en Côte d'Ivoire selon
4 Etude sur la connaissance,attitudes et
comportements en matière d'IST/VIH/SIDA chez les jeunes du milieu en
Côte d'Ivoire,2002,ENSEA,projet régional SFPS et
JHU/CCP.
5 Étude sur les comportements
sexuels à risque parmi les jeunes de Bamenda,
Cameroun, 1995,publiée dans un numéro
spécial intitulée,perspectives International sur le
planning familial,2000.
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Victorien 13
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sexuels à risque des jeunes en milieu urbain en Côte
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l'étude de ZANOU et al,2002), l'éducation
sexuelle en général, doivent être mises en oeuvre et
s'accentuer et les canaux de télé et radio devront à leur
tour insister sur la sensibilisation des jeunes en ce qui concerne les
pratiques sexuelles risquées à travers leurs diffusions
transmettant des messages dans lesquels les jeunes se reconnaissent
effectivement. En Côte d'Ivoire, ZANOU et al (2002) conclut à issu
son étude que les multiples campagnes de sensibilisation sur les risques
liés au VIH/SIDA ont porté leur fruit et une proportion
importante des jeunes (92,3%) en est consciente, mais seulement 40,4% de
garçons et 31,9% de filles pris individuellement estiment que le risque
encouru est important ou modéré donc les campagnes devront
être beaucoup spécifiques et en adéquation au vécu
quotidien des jeunes . En plus, Schofield soutient au terme de son analyse que
« les messages sur l'abstinence et les autres pratiques sexuelles sans
risque seraient plus efficaces que ceux qui préconisent uniquement la
première méthode alternative ».
D'autres facteurs socio-culturels ont été mis en
exergue dans les études antérieures, notamment la polygamie,
l'instabilité conjugale et l'extension des ménages, qui
contribuent aussi à l'encadrement familial des jeunes. La polygamie
influe sur les comportements sexuels des jeunes de deux manières .Tout
d'abord, elle favorise les relations extraconjugales chez les parents à
cause du système de partage des nuits entre différents
coépouses (Evina,1990 :37-38 ; cité par Rwenge, 1999) ;et ces
comportements sexuels qu'ils adoptent, influencent à leur tours ceux de
leurs enfants comme le souligne Lurie (1976 ; cité par Rwenge, 1999).La
polygamie favoriseraient aussi les relations extra-conjugales par le fait de
l'écart d'âge entre les conjoints ; les jeunes femmes polygames
dont le mari est assez âgé entretiendraient habituellement les
relations sexuelles avec les jeunes hommes soit parce que leur mari n'est plus
capable de les satisfaire sexuellement ou qu'elles sont très
attirées par la jeunesse(Evans-pritchard,1974 ; Vallenga,1983 ; Awusabo
et al, 1993, cités par Rwenge, 1999) .Enfin la polygamie peut influencer
directement l'encadrement des jeunes au sein de leurs familles. En effet, les
comportement sexuels malsains dont se livrent les enfants de ces familles,
résultent d'une mauvaise éducation sexuelle , un manque
d'affection familial et parfois de la non satisfaction de leurs besoins
personnels dû à l'incapacité du père a satisfaire au
même niveau tous les enfants.
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Inégalités sociales et comportements
sexuels à risque des jeunes en milieu urbain en Côte
d'Ivoire
L'instabilité conjugale, observée dans les pays
d'Afrique subsaharienne comme le souligne Caldwell (1993 ; cité par
Rwenge, 1999), influence la sexualité des jeunes. Elle peut conduire aux
relations extra-conjugales au moment de l'instabilité,
déstabilise par la suite l'encadrement des jeunes et ayant des
conséquences beaucoup plus important que en cas du divorce des parents
et une étude de Aucken appuis l'idée selon laquelle les enfants
issus d'un milieu familial incomplet ou perturbé entreraient plus jeunes
dans la vie sexuelle que ceux(celles) dont le milieu familial n'est ni
perturbé ni incomplet.
En ce qui concerne l'extension du ménage, Caldwell
(1982) montre que la structure des ménages influencerait l'encadrement
sexuel des jeunes. En effet les normes et valeurs sociales afférentes
à la sexualité des jeunes seraient observées plus
strictement dans les ménages où cohabitent jeunes et vieilles
générations que dans les familles nucléaires à
travers les contrôles sociaux s'exerçant de façon plus
rigides dans les ménages étendus. Mais il faut remarquer que
cette approche explicative est semble t-il insuffisante, en milieu urbain au vu
de l'importance de l'instabilité des ménages dans ce milieu.
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