La licence globale : réexamen d'une solution française abandonnées en droit français( Télécharger le fichier original )par Guillaume Lhuillier Université Paris I Panthéon / La Sorbonne - Master 2 "Droit de l'Internet public" 2010 |
I/ Le droit moral à l'heure d'Internet : une capacité à défendre les droits des auteurs en questionNous avons entraperçu dans le précédent chapitre toute la richesse et la complexité du droit moral en France tel que codifié aux articles L. 121-1 à L. 121-9 du Code de la Propriété Intellectuelle. La prolifération d'oeuvres de l'esprit via les réseaux peer-to-peer, largement commentée dans cette étude, est rendue possible par la mise à disposition (upload) d'un ordinateur pour tous les autres ainsi que la réception (download) sur un autre ordinateur, offrant tout loisir quant à l'adaptation, la modification, la transformation et surtout la rediffusion par copie instantanée et sans perte de valeurs ni données. 58 Le développement et la protection des oeuvres culturelles sur les nouveaux réseaux (mission confiée à Dennis Olivennes), Ministère de la Culture, novembre 2007. Disponible sur le site : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/albanel/rapportolivennes231107.pdf Cette facilité déconcertante quant à la reproduction à l'infini et à l'identique de la création risque à l'évidence de rentrer en conflit avec le droit moral des auteurs. Ainsi la conception traditionnelle des quatre droits moraux, symbole phare du système français, avec principalement l'intégrité de chaque oeuvre diffusée et la paternité de leur auteur, est clairement mise en doute quant à sa capacité à défendre encore les auteurs et leurs créations. Des courants de pensées, iconoclastes pour les uns, précurseurs pour les autres, jugent que cette facilité de duplication proportionnellement équivalente à la violation du droit moral est un facteur d'agitations et de dangers pour la bonne exploitation de l'oeuvre dans la société de l'information. Comme le remarque la Société des Gens de Lettres, << certains expliqueront avec cynisme que le droit moral ne représente qu'une prérogative attachée à la personne de l'auteur, correspondant ainsi à une vision personnaliste et individualiste de l'auteur59 ». Les droits communautaire et international, s'ils vont à l'encontre du mécanisme de licence globale (cf. supra), ne volent malheureusement pas beaucoup au secours du droit moral vu le manque de volonté d'harmonisation par rapport au point de vue français, et ce aussi bien pour le traité de l'OMPI de 1996 que pour la directive du 22 mai 2001 qui privilégient respectivement les droits patrimoniaux dans un intérêt commercial, économique et lobbyiste évident d'un côté, et une perspective d'établissement d'un << marché intérieur » - mesure inhérente d'ailleurs à toute la législation de l'Union Européenne - de l'autre. Deux constats sont à établir à ce stade sur l'une des prérogatives du droit moral, le droit de divulgation qui, premièrement, n'est pas consacré au niveau international ; ce vide juridique laisse donc toute latitude au législateur français de réduire ou de supprimer purement et simplement l'exercice de ce droit pour ce qui concerne les oeuvres de l'esprit diffusées sur Internet. 59 Guillaume Marsal, << Comment envisager le respect du droit moral dans l'environnement numérique ? », Société des Gens de Lettres. Disponible sur le site http://www.sgdl.org/la-documentation/lesdossiers/209?1f378a47b733c0dcd5b334d850ee4020=6f736f2735f273165a090d365213b509 Deuxièmement, et pour aller plus loin, le système d'une licence globale ne serait pas finalement incompatible d'un certain point de vue avec le droit moral de divulgation dans le cas d'oeuvres déjà divulguées après acceptation formelle de l'auteur, comme nous l'avons exposé dans le premier chapitre. Par analogisme, on peut effectuer d'ailleurs un parallèle entre cette anticipation et la réalité du droit positif, car cette idée est implicitement reconnue par l'article L. 133-1 du Code de la Propriété Intellectuelle concernant la licence légale applicable au droit de prêt en bibliothèque. Il ne s'agit pas ici de remettre unilatéralement en cause le fondement du droit d'auteur français pour défendre par exemple de façon intéressée le modèle anglo-saxon qui, on l'a vu, se désintéresse de la question des droits moraux. Mieux, il faut rappeler que le droit moral, loin de faire une sorte de concurrence philosophique à une réalité économique, permet justement la réalisation d'intérêts d'ordre financier car c'est notamment les reconnaissances de l'intégrité et de la paternité de l'oeuvre qui lui donnent son empreinte individuelle, indispensable à tout cheminement commercial. Pour autant, le droit moral est matériellement impossible à protéger de manière pleine et effective sur les réseaux. De même que l'on ne peut contrôler l'échange physique entre des personnes en dehors du cadre du cercle de famille de contenus culturels comme un album de musique ou un film à lire sur une platine DVD ou Blu-Ray, on ne pourra jamais empêcher totalement le téléchargement illégal sur Internet, et l'idée d'un quelconque « piratage zéro », même pour les adorateurs d'une société de type « Super Big Brother », est à bannir. Disons-le, la seule manière de mettre un grand coup aux pratiques du téléchargement sur Internet et ainsi d'assurer la pérennité du respect du droit moral en France serait de filtrer le Web comme en République Populaire de Chine, posant évidemment des problèmes énormes au niveau des libertés individuelles et d'accès à la culture, et l'on ne peut d'ailleurs que se féliciter que la quasi-majorité des gouvernements dans le monde n'est pas optée pour de telles mesures draconiennes. Mais il reste vrai que la réalité sociétale du « virus du piratage », par les possibilités techniques offertes aux utilisateurs et les nouvelles habitudes des consommateurs qui consistent souvent à consulter en priorité les sites pirates plutôt que les sites légaux pour les produits culturels, induit une rétrogradation manifeste du droit moral. |
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