I/ Une approche novatrice du droit d'auteur français
: l'exemple du projet Jean Zay
Le projet de Jean Zay tranche essentiellement avec nos
conceptions traditionnelles du droit d'auteur sur deux points :
premièrement, il dépasse la critique de la notion de
propriété appliquée au droit d'auteur, bien que
présumée inattaquable par sa consécration dans le bloc de
constitutionnalité, en y intégrant le concept novateur de «
travailleur intellectuel » substitué
49 Ephémère Ministre de l'Education et
des Beaux-arts du Front populaire, il sera assassiné par la milice
française le 20 juin 1944, soit quelques semaines avant la
Libération.
à celui d'auteur ; deuxièmement, il défend
corps et âmes l'idée d'une licence légale
généralisée (un << domaine public payant >>)
dix ans après la mort de l'auteur.
Quels sont alors les apports d'une telle <<
idéologie >> vis-à-vis de la licence globale ?
L'invention du << travailleur intellectuel >> se
serait accompagnée par la possibilité d'instituer des accords
collectifs entre auteurs et éditeurs, la dernière
catégorie pouvant être étendue pour faire plus actuel aux
producteurs et sociétés de gestion collective. Ces accords
collectifs ont d'autant plus de poids qu'ils fonctionnent de manière
pleinement effective pour les droits voisins du droit d'auteur - et tout
particulièrement pour les artistes-interprètes - ceux-là
même au coeur de toutes les attentions pendant les débats du
projet de loi DADVSI précédemment cité. Du reste, bon
nombre d'observateurs prodiguaient la nécessaire clarification des
relations entre auteurs et éditeurs/producteurs pour que la licence
globale puisse vivre et, au-delà, s'articuler de manière
optimale.
Le second aspect du projet est de loin le plus
intéressant et, sans conteste, le plus audacieux. De ce fait, la
reproduction quasi-intégrale du troisième alinéa de
l'article 21 du projet est nécessaire : << A l'expiration du
délai de dix ans [...] et jusqu'à l'expiration d'une
durée de cinquante ans calculée à dater de la mort de
l'auteur [...], l'exploitation des oeuvres de l'auteur est libre,
à charge pour l'exploitation de payer une redevance équitable aux
personnes à qui appartenait la jouissance du droit pécuniaire de
l'auteur [...]. Cette redevance ne pourra être
inférieure à 10% du produit brut de l'exploitation.
>>.
Il s'agit véritablement ici de la question de la
licence légale, largement commentée pendant toute la seconde
moitié du XXe siècle, que le législateur a
réglé en 198550, et par extension le sujet si
épineux de la licence globale. Le projet prenait donc le parti de mettre
en place un mécanisme spécial de licence prévoyant une
rémunération équitable des auteurs et un autre type
d'exercice des droit exclusifs sur leurs oeuvres ; avec un peu de chance, et si
celui-ci était accepté par toutes les parties, le
mécanisme d'une licence, globale ou autre (peu importe sa
qualification), ne craindrait pas alors de s'attirer les foudres de
l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, notamment
sur le plan du << triple test >> (cf. supra).
50 Loi n°85-660 du 3 juillet 1985 relative aux
droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs
de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication
audiovisuelle
Fort de cette réflexion, et bien que la licence globale
imaginée au cours des débats sur la loi DADVSI51 viole
matériellement les quatre droits moraux, on reconnaît que les
dissensions se sont cristallisées bizarrement plus pour des raisons
économiques et lobbyistes que pour des raisons purement juridiques ;
tout au plus, et puisqu'il fallait donner une assise juridique à la
fronde anti-licence globale, les juristes chevronnés ont mis en exergue
l'argument du << triple test >> de l'article 10 des accords
internationaux sur la protection des droits intellectuels52 (ADPIC),
imparable selon eux, qu'est venue nuancer l'étude précitée
de << faisabilité sur un système de compensation pour
l'échange des oeuvres sur Internet >>. Et même si l'on
donnait à cet argument une toute puissance certaine, aucun tribunal
solennel n'est venu à ce jour trancher officiellement la question.
De fait, le titre du communiqué de presse des
principaux ayants droit53 du 22 décembre 2005, baptisé
<< La licence globale : un missile contre les droits d'auteur
>>, reste donc, de manière assez remarquable, plus une bombe
linguistique que juridique puisqu'aucun magistrat n'est venu point par point
user de son syllogisme juridique pour confronter la licence globale à la
réalité du droit positif.
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