CHAPITRE 2
LA LICENCE GLOBALE : UNE NOUVELLE FORME
D'ACCEPTATION DU DROIT D'AUTEUR
Qui mieux que le professeur Caron avait osé poser la
question qui coûte tant à poser ? Alors qu'une partie de la
doctrine ne veut même pas entendre parler d'une remise en cause profonde
de notre acceptation actuelle des droits d'auteur, dont la portée aura
pu être mesurée dans le premier chapitre, le professeur
agrégé de la faculté de droit de Créteil avait
reconnu à demi-mot, à l'occasion des débats sur la loi
<< Création et Internet >>, ou loi HADOPI, le
caractère brouillon de la réflexion et ses possibles
difficultés d'application.
Surtout, sans pour autant le préciser, il ne peut
ignorer le retard béant de la << riposte graduée >>
de la loi HADOPI 2 concernant << uniquement >> les réseaux
peer-to-peer que, malheureusement pour le législateur, les
internautes ont déjà délaissé au profit d'autres
modes de téléchargements illégaux sur d'autres
plateformes, non plus sur des réseaux d'échanges, mais via des
serveurs dédiés stockant des millions de fichiers piratés
que l'<< internauteconsommateur >> va piocher au gré de ses
envies en << direct download >>, c'est-à-dire dans
la forme technique la plus basique sur la Toile : la récupération
de fichiers sur le serveur distant, de la même façon que pour
afficher une simple page Web. Cette pratique, largement répandue depuis
ces cinq dernières années, et notamment via le site <<
MegaUpload >> basé à Hong-Kong, n'est, mille fois
hélas, pas du ressort de la loi HADOPI.
Christophe Caron résume donc la pensée des
défenseurs de la licence globale : << constatant
l'inapplication effective du droit d'auteur sur Internet, il est
envisagé de privilégier un autre droit d'auteur, très
mutualiste puisque tout le monde, utilisateur ou non d'oeuvres sur Internet,
doit payer >> et pose, dans la foulée, une question
inévitable :
<< cette dernière discipline [le droit
d'auteur] doit-elle se métamorphoser au point de renier son
fondement qu'est le droit de propriété et l'exclusivité
qui lui est attachée ?47 ».
N'imaginons pas pour autant que les droits d'auteur auraient
attendu le développement des réseaux mondiaux pour être
agressés de la sorte : certains libres penseurs et juristes ont
imaginé, au travers des âges et des progrès techniques non
pas un revirement complet de ses principes mais une appréhension
différente de ses modes d'exécution, avec plus ou moins de
succès (SECTION 1).
Sans aller effectivement jusqu'à un tel extrême
qui peut, à juste titre, faire l'objet d'inquiétudes et
d'interrogations, il est certain que les droits d'auteur doivent être
repensés car ils ne sont guère adaptés, de manière
plus ou moins prononcée, aux réalités économiques
et techniques dues principalement au développement des réseaux et
de l'Internet (SECTION 2).
SECTION 1 - Une appréhension différente et
pionnière du droit d'auteur par la doctrine
Le droit d'auteur n'en est pas à ses premières
attaques, loin s'en faut. Contre vents et marées, il a toujours su
résister aux vagues successives tentant de le faire chavirer :
déjà au temps de la Renaissance, il se matérialisa aussi
bien en France qu'en Angleterre en réponse aux assauts de la
reproduction illicite des livres nouvellement imprimés en masse
grâce à la formidable invention de la machine à imprimer du
facétieux Gutenberg, pour aboutir respectivement aux droits
sacralisés en 1791 pour le droit d'auteur en France et en
177448 pour le copyright des pays de Common
Law.
Plus récemment, et après bien des
péripéties, le développement de l'informatique et du
<< tout numérique » a remis à rude épreuve les
nerfs du droit d'auteur, notamment depuis l'apparition des graveurs de CD-Rom
puis de DVD-Rom capables de dupliquer à l'infini et à l'identique
n'importe quel type de fichier inscrit sur un de ces disques
multimédias.
47 Christophe Caron, << Questions autour d'un
serpent de mer », Communication - Commerce électronique,
novembre 2009
48 Lyman Ray Patterson & Stanley Lindberg, The
Nature of Copyright : A Law of Users' Rights, Athens, Georgia: University
of Georgia Press, 2001
Pour autant, les limitations techniques (une seule
procédure de gravure sur un disque non réinscriptible) et
financières (coût du matériel de gravure et du support de
destination, taxés depuis peu par le législateur) ont permis de
limiter les cas de contrefaçons, la jurisprudence vigilante sur le
respect des droits moraux et patrimoniaux faisant le reste.
Mais l'explosion des échanges de fichiers
piratés, qui se comptent par millions chaque jour dans le monde, allait
faire imploser cette protection du droit d'auteur, agrémentée des
nouvelles offensives idéologiques habituelles sur la fin du
modèle d'acceptation actuelle des droits d'auteur en France, avec des
perspectives plus ou moins utopiques en la matière.
Cette désacralisation en règle du droit d'auteur
a très logiquement été considérée par la
majorité de la doctrine comme un blasphème - et le mot n'est peut
être pas assez fort - mais aussi, chose rare, par une majeure partie de
la population, prouvant indubitablement le solide ancrage dans les moeurs de ce
que représente la création.
Néanmoins, il est à déplorer que si ces
réflexions avaient été mieux prises en
considération, elles auraient sûrement permis une approche peut
être sensiblement différente du casse tête
idéologique et économique auquel les auteurs et leurs ayants
droit ont à faire face aujourd'hui.
S'il fallait retenir deux de ces travaux, nous citerions celui
de Jean Zay49 réalisés en 1936, éminemment
provocateurs et très en avance sur leur temps (I),
ainsi qu'un autre plus contemporain, la théorie de « l'Age de
l'Accès » par Jeremy Rifkin datant de 2001
(II).
|