La licence globale : réexamen d'une solution française abandonnées en droit français( Télécharger le fichier original )par Guillaume Lhuillier Université Paris I Panthéon / La Sorbonne - Master 2 "Droit de l'Internet public" 2010 |
II/ Les atteintes de la licence globale à la législation internationaleA dire vrai, l'argument de la fronde << anti-licence globale » tenant au non-respect des engagements internationaux conclus par la France en cas de mise en place d'un tel système est un atout majeur dans la main de ceux qui ne veulent pas entendre parler de ce projet. Nous nous attacherons aux plus significatifs d'entre eux, à savoir les traités de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) comprenant principalement la Convention de Berne en date du 9 septembre 1886 modifiée dernièrement le 28 septembre 1979 ainsi que l'accord de l'OMPI sur les droits d'auteur (WCT) adopté le 20 décembre 1996 à Genève. Ces traités internationaux reconnaissent également sans grande surprise les droits patrimoniaux de l'auteur sur son oeuvre en leur consacrant un << droit exclusif d'autoriser » - et donc d'interdire - la mise à disposition, dans le cadre de la musique par exemple, de leurs oeuvres, interprétations ou phonogrammes sur Internet. De ce fait, le principe de licence globale qui transformerait,
dans un cadre légal national, ce 41 L'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 est ainsi rédigé : << Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. ». bien connu de la Constitution de 1958 qui énonce la supériorité des traités et accords internationaux sur la loi nationale française. Ainsi, la mise en place d'une licence globale ne pourra devenir effective sans négociation préalable avec les représentants de l'Organisation Mondiale du Commerce à l'origine de la conclusion de ces accords internationaux sur les droits d'auteur. Mais plus intéressant encore, cette mise en place de la licence globale ne sera également possible qu'après la vérification de son contrôle de légalité vis-à-vis de ce que l'on a appelé la pratique du << triple test >> qui autorise des exceptions de copie privée nationales applicables sous trois conditions bien distinctes, qui sont : - seulement pour certains cas spéciaux - si elles ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre - si elles ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur Cette technique du << triple test >> supra-étatique a plus précisément été prévue par l'article 9§1 de la Convention de Berne de 1886, reprise par l'article 13 de l'Accord ADPIC de 1994 puis finalement par l'article 10 du Traité de l'OMPI de 1996. Notons enfin qu'elle fut également incluse dans la directive communautaire de 2001 et que le législateur français a inséré dans l'actuel article L. 122-5 précité du Code de la Propriété Intellectuelle sur les exceptions de copie privée les deux dernières conditions. Il convient donc naturellement de confronter chaque point du << triple test >> avec les principes mêmes du mécanisme de licence globale. La nécessité d'un cas spécial : assez peu explicite de prime abord, la première étape du test a été interprétée par Yves Gaubiac, avocat au Barreau de Paris, comme s'appliquant à un << cas détaillé, précis, spécifique, inhabituel, hors du commun >> et ayant << une portée restreinte ainsi qu'un objectif exceptionnel ou reconnaissable42 >>. L'article L. 122-5, consacrant l'exception de copie
privée dans le Code de la Propriété 42 Yves Gaubiac, << Chronique n°15 >>, Communication - Commerce électronique, 2001 à un usage particulier, aux droits exclusifs dont jouissent l'auteur et les titulaires de droits voisins43 >>. Dans leur rapport intitulé << Peer-to-peer et propriété littéraire et artistique - Etude de faisabilité sur un système de compensation pour l'échange des oeuvres sur internet >>, Mesdames Carine Bernault et Audrey Lebois, maîtres de conférences à l'Université de Nantes, estime à juste titre que << cette limitation au droit exclusif ne concerne qu'une catégorie restreinte et clairement définie d'utilisateurs (copistes qui réalisent des reproductions pour leur usage privé). Le fait que la copie privée soit devenue, à bien des égards, une norme de comportement généralisée ne suffit pas, selon nous, à considérer que l'exception ne correspond pas à un cas spécial au sens du droit international conventionnel et du droit communautaire44 >>. Ainsi la licence globale, si elle avait été assimilée à une exception de copie privée, rentre parfaitement dans cette acceptation et ne va donc pas à l'encontre du premier fondement du << triple test >>. L'atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre : le deuxième point du << triple test >> s'apparente plus à l'aspect économique des choses. Assez simplement, si l'exploitation de l'oeuvre, fondue en exception de copie privée, empêche l'auteur de toucher des revenus générés par sa création dans un mode d'exploitation commerciale classique, ladite exception violera purement et simplement la seconde condition. Dans ce cadre, il n'est pas nécessaire de réaliser des audits financiers pour comprendre que les sommes récupérées forfaitairement dans un système de licence globale seront automatiquement inférieures à celles générées en temps normal par le chemin de distribution commercial classique mais aussi du fait de celles perdues par la pratique du téléchargement de masse sur Internet. L'atteinte aux intérêts légitimes de l'auteur : la troisième et dernière étape du << triple test >>, qui tend à protéger les intérêts légitimes des auteurs, interdit à l'exception de copie privée de causer à l'auteur un préjudice déraisonnable ou injustifié, c'est-à-dire dans le cas où l'exception autorise la copie à des fins commerciales sans l'accompagner d'un mécanisme 43 TGI Paris, 30 avril 2004 44 Carine Bernault et Audrey Lebois, Peer-to-peer et propriété littéraire et artistique - Etude de faisabilité sur un système de compensation pour l'échange des oeuvres sur Internet, juin 2005 Disponible en ligne sur http://alliance.bugiweb.com/usr/Documents/RapportUniversiteNantes-juin2005.pdf compensatoire tel qu'une licence obligatoire assortie d'un droit à rémunération45. Le cas d'école reste sans conteste le célèbre arrêt << Mulholland Drive >> rendu le 4 avril 2007 par la Cour d'appel de Paris qui avait considéré que l'utilisation du DVD par le consommateur concerné dans un cadre familial restreint ne causait pas un préjudice déraisonnable à l'auteur. Pour autant, on déduit évidemment que ce << cadre restreint >> de famille ne peut s'appliquer en l'espèce pour le téléchargement généralisé des oeuvres sur Internet ; en clair, les revenus générés par la licence globale ne seraient qu'un << pis aller sans commune mesure avec la perte économique subie par l'auteur au regard du nombre considérable de fichiers portant l'oeuvre qui peuvent être créés et échangés46 >>. 45 Benjamin May, << Droit d'auteur : le Triple Test à l'ère du numérique >>, Lamy Droit de l'Immatériel, n° 15, avril 2006, p. 63 46 Ibid. |
|