Les principales causes et perspectives de développement pour la lutte contre la pauvreté urbaine à Kinshasa( Télécharger le fichier original )par Isaac MAYELE Université catholique du Congo - Gradué en économie et développement 2008 |
III.2. LA PERCEPTION DE LA PAUVRETE A KINSHASALe Kinois considère le qualificatif pauvre comme une injure. Pourtant Kinshasa, compte aujourd'hui beaucoup des pauvres, si l'on tient compte du critère de seuil de pauvreté. Celui-ci tolère encore facilement le qualificatif « précarité ». Pour un Kinois, il existe une grande dichotomie entre « être pauvre » et « être en manque ». Un pauvre pour lui, c'est celui qui se retrouve par terre, qui n'a ni capacité ni l'espoir de se relever, c'est donc un malheureux, un misérable, un raté de la société, un irrécupérable, etc. C'est pourquoi dans son langage, le « pauvre » est souvent accompagné par l'adjectif malheureux (Yo, pauvre malheureux... littéralement qui veut dire tu es pauvre malheureux). Pour lui, le pauvre, c'est l'autre.
Pour un Kinois, est pauvre, celui qui a perdu de l'espoir. Or, une personne adulte valide vit d'espoir, aspire à un lendemain meilleur. Le Kinois se considère donc à tort comme à raison, comme un démuni momentané. Il peut du jour au lendemain changer de statut et de situation pour passer d'un état de précarité à celui de nanti. La précarité est donc pour le kinois une situation passagère, un état temporaire. D'ailleurs un adage kinois en lingala dit "Mwana mobali basekaka ye te", qui signifie "on ne se moque jamais d'un homme". Pourquoi cet adage ? Parce qu'il peut du jour au lendemain, et contre toute attente, surprendre les gens et réussir sa vie. Le Kinois est habitué à vivre ce genre de retournement des situations : de la pauvreté à la richesse et vice-versa. Cette perception positive dans son sens plus large de la précarité tire son origine de la société traditionnelle africaine. Avec la solidarité, l'hospitalité, la vie communautaire, la vie en société, il était rare de voir un villageois vivre dans la précarité, c'est-à-dire dans un manque total. Toutes les activités quotidiennes du village s'effectuaient en collectivité. Le partage des butins, des bénéfices, des gains, des récoltes etc., se faisait en communauté. Il n'y avait ni riche ni pauvre à moins d'être un exclu de la communauté. Ce genre de vie sécurisait tout un chacun dans la société tant qu'il vivait en communauté, ce mode de vie ne marginalisait personne22(*). Ce mode de vie communautaire et social a connu une certaine transposition en ville permettant aux individus d'espérer en un avenir plus radieux aussi longtemps qu'ils sont en relation avec la communauté (famille ou ami), car ils peuvent grâce à un membre de la famille ou un ami, acquérir une information importante ou accéder à une fonction intéressante permettant ainsi un renversement de situation dans leur vie. Ainsi donc, grâce à cette culture de la solidarité, les gens, même les plus démunis, ne désespèrent point. Dans la société urbaine, néanmoins, ils vivent une certaine ségrégation sociale avec distinction "riche pauvre". En aucun cas, le Kinois n'accepte d'être appelé pauvre, sauf s'il tombe à un moment donné dans une position de faiblesse et de quémandeur. Dans ce cas, il s'accepte et s'assume pauvre. Et tant qu'il vit en communauté, le Kinois vit d'espoir. Le fait d'être déjà en bonne santé suffit pour lui de développer une sensation de bien-être. De plus, les églises de réveil inculquent maintenant aux Kinois l'idée selon laquelle la pauvreté est démoniaque et qu'il faut la combattre par la prière. Voilà pourquoi le Kinois aspire, tant qu'il vit, à la prospérité. * 22 _ Laurent LUZOLELE LOLA NKAKALA, la pauvreté urbaine en Afrique subsaharienne, cas de Kinshasa, CEPAS (centre tiers-monde-facultés universitaires saint-Ignace université d'Anvers), Bruxelles, 1999, p.17. |
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