I.2. Problématique et hypothèses
A l'inverse de l'agriculture où l'occupation du sol est
très individualisée, l'activité pastorale fait appel
à un vaste éventail de ressources en eau et en pâturages
dont l'exploitation est généralement ouverte à un ensemble
d'individus et de communautés d'une part et d'autre part sur un
réseau d'information sur la localisation précise de ces
ressources.
En effet, l'incertitude de la disponibilité et la
mauvaise répartition des ressources font partie intégrante des
conditions d'élevage au Sahel. La mobilité des troupeaux est la
seule façon d'adapter les charges animales aux variations du couvert
végétal. Sur de vastes aires pastorales où les ressources
annuelles en pâturage sont hétérogènes et
incertaines, la mobilité des troupeaux semble vitale et la
flexibilité des mouvements doit être préservée.
D'après B. Thébaud 1988, l'exploitation des ressources au Sahel
relève donc d'une logique très particulière : celle de
l'économie de partage. L'économie de partage suppose la
réciprocité, sans laquelle la mobilité des troupeaux et la
fluidité des mouvements pastoraux seraient compromises. Pourtant
à cause de leur valeur stratégique, certaines ressources peuvent
faire toutefois l'objet de droit d'accès plus restreints, bien
définis et mieux maîtrisés. Ainsi, au Niger oriental, la
cuvette pastorale et le point d'eau représentent un point d'ancrage dans
l'espace, un « terroir d'attache » que l'on peut quitter, mais
où l'on finit par revenir (Marty A, 2000)
L'occupation de l'espace procède ainsi d'une
dualité nécessaire entre de vastes territoires de parcours et des
points d'attache ou l'empreinte foncière est déterminante,
puisqu'il s'agit de lieux d'appartenance, de repli et de
sécurité. Il va de soit, que la sécurité
fourragère exclusive que pourrait représenter les terroirs
d'attache est relative dans ce contexte de liens sociaux multiples
vis-à-vis de l'accès aux puits. Les règles de
réciprocité annihilent toute possibilité réelle de
préservation des stocks fourragers pour un groupe au détriment
des autres. Par contre, c'est bien la réciprocité et la
capacité de mobilité qui représente une
sécurité à long terme.
Pour reprendre de nouveau une citation de B. Thébaud,
2002 « dans ce contexte, l'appartenance territoriale s'accommode
avantageusement de contours délibérément flous
». En effet, « cette absence de limites territoriales
rigides n'est pas l'héritage d'une période ancienne ou les
densités démographiques auraient été plus faibles,
mais procède d'une nécessité absolue, celle de maintenir
l'imprécision sur la
définition physique et sociale des parcours pour
permettre une fluidité maximale dans l'utilisation pastorale qui en est
faite » (Behnke 1994, p.8 cité par BOUARD S et TIERS S, 2004).
Le pastoralisme repose ainsi sur un faisceau de droits s'exerçant sur
des ressources généralement dispersées,
hétérogènes et aléatoires.
L'imprécision et les ambiguïtés qui
entourent avantageusement les limites des territoires de parcours
exploitées par différentes communautés n'excluent en aucun
cas l'existence d'un sentiment d'appartenance à une région
plutôt qu'à une autre.
Pourtant, ce mode d'organisation et de gestion du milieu
faisant appel à un vaste éventail de ressources dont
l'exploitation est souvent partagée, connaît de réelles
difficultés, telles, les sécheresses, les conflits liés au
foncier (gestion des pâturages et points d'eau), la croissance
démographique, etc. Les enjeux posés sont d'une importance
capitale, puisqu'à bien des égards c'est du droit d'utiliser en
commun des ressources que le pastoralisme sahélien tire son
originalité et surtout sa légitimité.
Les pasteurs de la zone, n'échappent pas à la
« règle » et affrontent de réelles contraintes au
niveau notamment de la gestion des ressources naturelles. En effet, la
diminution des ressources pastorales se traduisant par la disparition des
espèces appétées et l'ensablement posent des
problèmes réels pour la régénération des
ressources fourragères ; les contraintes en termes d'hydraulique
pastorale (manque de puits pastoraux modernes) limitent l'accès à
l'eau dans certains « terroir d'attache » du fait de puits
traditionnels ayant une mise en eau faible ou de puits modernes mal entretenus,
entraînant l'insalubrité autour du puits. Ce manque de puits
limite, de même, l'accès à des pâturages sahariens au
Nord-Est du massif Termit.
La diversité ethnique de la zone, fonctionnant sur le
principe de « l'économie de partage » couplée aux
contraintes que connaissent les pasteurs autour des ressources naturelles, nous
pousse à nous questionner sur les stratégies d'organisation de
l'espace des communautés pastorales dans la zone. Comment est
organisé l'espace pastoral ? Comment les sociétés
pastorales gèrent-elles leur espace ? S'approprient t-elles leur espace
? Comment s'approprient- elles leur espace ? Quels sont les rapports sociaux
qui lient les individus ? Dans quelles mesures constate-t-on une augmentation
de la pression sur les ressources naturelles ? Y- a-t-il une augmentation des
conflits ?
Cette notion d'espace est ici d'une importance capitale notamment
dans le contexte actuel de décentralisation.
Dans un tel contexte de juxtaposition de structures spatiales,
il semble intéressant de s'interroger sur la validité et la
pertinence des « concepts » d'organisation de l'espace
utilisés pour caractériser et analyser les systèmes
pastoraux de l'Est du Niger afin de comprendre réellement les enjeux
actuels du pastoralisme. Quels sont les « concepts » mieux
adaptés pour la zone d'étude ? Les concepts couramment
utilisés ont-ils une représentativité au sein de la
communauté d'étude ? Quelles représentations ont-ils de
leur espace ?
Afin d'aborder notre étude sur l'organisation de l'espace
pastorale au Niger Oriental, nous avons élaboré quelques
hypothèses :
? L'espace d'une communauté pastorale est un espace ouvert
aux autres
communautés, régit par le principe de
réciprocité et de droit d'usage prioritaire
? L'espace d'une communauté pastorale se définit au
travers d'un ensemble
d'espaces qui se confondent et se transforment au cours des
saisons et au cours de l'histoire
? L'espace d'une communauté pastorale est un ensemble de
points fixes (lieux
ressources) liés entre eux par le parcours, le tout
formant un ensemble mouvant.
? L'espace pastoral est un espace défini et
viabilisé par des règles d'accès et un
réseau d'informations dense et continu
Enfin, dans l'optique de répondre à ces
différentes interrogations notre analyse portera principalement sur une
communauté pastorale spécifique de la commune rurale de Tesker :
la communauté Toubou Téda.
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