Le rôle de la Cour Internationale de Justice dans la détermination et le respect des normes de Jus Cogens( Télécharger le fichier original )par Joseph SEHORANA Université libre de Kigali - Licence 2011 |
I.1.1.2 CaractéristiquesLa question de savoir à quoi reconnaître qu'une norme fait partie du Jus Cogens semble difficile. Néanmoins, en se basant sur l'article 50 du projet de la Commission du Droit International, on peut du moins en déceler quelques caractéristiques. Cet article dispose ce qui suit : « Est nul tout traité en conflit avec une norme impérative du droit international général à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère.»15 De ce texte ressortent trois éléments essentiels à prendre en considération : pour avoir la qualité de Jus Cogens, une norme doit, à la fois : être impérative, appartenir au droit international général, et frapper de nullité les traités passés en violation de ses dispositions. Ce sont ces trois éléments que nous voudrions successivement analyser. a. Norme impérative sans dérogation En règle générale, il est normalement possible à deux Etats de décider, pour ce qui concerne leurs rapports mutuels, de ne pas appliquer certaines normes du droit international qui leur imposent des obligations l'un envers l'autre, ou bien encore de choisir d'appliquer d'autres normes, comportant d'autres obligations que celles prévues par le droit international général. En d'autres termes, les normes de droit international constituent normalement ce que l'on appelle droit « dispositif ».16 Ceci n'est pas le cas pour une norme de Jus Cogens. Celle-ci est obligatoire pour tous les destinataires. Il s'agit donc d'une norme prohibitive à laquelle, il est interdit de déroger et constituant une limite importante à l'autonomie contractuelle des Etats. Le Jus Cogens se caractérise précisément par le fait qu'il interdit toute dérogation dans les rapports mutuels entre des Etats. « Ceci signifie qu'un Etat ne peut se décharger des obligations qu'une norme de Jus 15 Commission du Droit International, « Projet d'articles sur le droit des traités et commentaires », 1966, disponible sur : http://untreaty.un.org , visité le 30/04/2011. 16 MONNIER, V., Droit international public Relations internationales, Université de Genève, Semestre d'hiver 2006-2007, (inédit). 12 Cogens lui impose vis-à-vis d'un autre Etat, même par traité, c'est-à-dire avec le consentement de cet autre Etat : ce dernier ne peut renoncer lui-même à ses droits ».17 Il découle de cette analyse que le Jus Cogens présente un caractère prohibitif, mais dans un sens très particulier, puisque la portée de cette prohibition est d'interdire toute dérogation à ses dispositions. b. Norme de droit international général Le droit international général a été défini par la Commission du Droit International comme : << L'ensemble des normes applicables à tous les Etats membres de la société internationale, par opposition aux normes internationales applicables à certains d'entre eux seulement et qui constituent le droit international particulier, qu'il soit régional, local ou bilatéral.»18 Aussi, l'article 50 du projet de la Commission du Droit International insiste tout particulièrement sur ce point, qui ne constitue pas un simple corollaire du caractère précédent, mais ayant son importance en lui-même.19 Le fait que le Jus Cogens soit constitué exclusivement de normes de droit international général souligne, en effet, qu'il présente un caractère d'universalité. Ce trait souligne bien que le Jus Cogens se caractérise par l'importance qu'il revêt pour la société internationale dans son ensemble ; s'il exprime des valeurs éthiques, celles-ci ne peuvent évidemment s'imposer avec la force impérative qui lui appartient que si elles sont absolues et, par conséquent, ne connaissent pas de limites géographiques dans leur application. Si le Jus Cogens est au service d'intérêts généraux, communs à la société internationale toute entière, il doit aussi s'appliquer à toute cette société. S'il est destiné à assurer la protection d'Etats 17 VIRALLY, M., << Réflexion sur le Jus Cogens », disponible sur : http://www.persee.fr, visité le 05/05/2011. 18 Commission du Droit International, << Projet d'articles sur le droit des traités et commentaires », 1966, disponible sur : http://untreaty.un.org , visité le 30/04/2011. 19 BREART, J., <<Travaux de la Commission du droit international des Nations Unies », in : Annuaire français de droit international, Vol. 15, no 15, 1969, pp. 458-461. individuels, cette protection doit être donnée, quels que soient les groupes auxquels ces Etats appartiennent.20 En d'autres termes, on constate que la notion qui nous occupe conduit nécessairement à la conception d'une société internationale universelle, dotée de ses valeurs propres et pouvant invoquer, à son profit, un véritable intérêt général, qui doit l'emporter sur les intérêts particuliers de ses membres : il s'agit donc d'une société internationale à laquelle les Etats ne sont pas libres de s'ouvrir ou de se refuser.21 c. Norme frappant de nullité toute norme dérogatoire C'est là le caractère essentiel et exceptionnel des Jus Cogens ! En effet, la nullité constitue la sanction la plus grave qui puisse frapper un acte juridique, puisqu'elle supprime tous les effets de droit qu'il aurait pu normalement produire. En droit international, une telle sanction est extrêmement rare, y compris dans le droit des traités. La sanction ordinaire d'un acte internationalement illicite, c'est-à-dire constituant une violation du droit international, est la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat qui en est l'auteur.22 La gravité de la sanction découle très directement de l'importance fondamentale que revêtent les normes de Jus Cogens pour la société internationale. Il en résulte, tout à fait logiquement, que les Etats se voient placés dans l'impossibilité juridique d'échapper à leur application, puisque, s'ils tentent de le faire, leurs actes seront dépourvus d'effets juridiques.23 Aux trois traits caractéristiques des Jus Cogens ci-haut évoqués, quelques auteurs ajoutent encore un élément qui nous semble important : pour qu'une norme soit qualifiée de 20 HENNEBEL, L., « L'humanisation du droit international des droits de l'homme : Commentaire sur l'avis consultatif no 18 de la Cour interaméricaine relatif aux droits des travailleurs migrants », disponible sur http://www.rtdh.eu , visité le 12 mai 2011. 21 VIRALLY, M., « Réflexion sur le Jus Cogens », Op.cit., p. 32. 22 GROSSRIEDER, E., « Commentaires à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 », disponible sur http://www.stoessel.ch , consulté le 20 juin 2011. 23 GOMEZ ROBLEDO, A., « Le Jus Cogens : sa genèse, sa nature, ses fonctions », disponible sur http://scholar.google.com , visité le 12/11/2011. 14 « Jus Cogens », il faut qu'elle soit reconnue comme telle par la communauté internationale. L'idée est libérée en ces termes : « Ce sont des règles acceptées et
reconnues comme Jus Cogens par la communauté internationale endurcie. Cette formulation semble exclure le fait que le Jus Cogens soit une manifestation directe du droit international ; elle évoque une solidarité et une unité de la société internationale. »24 Nonobstant les caractères principaux d'une norme de Jus Cogens ci-haut mentionnés, il est aussi apparent que sa détermination ne peut être faite qu'en prenant en considération des éléments matériels, c'est-à-dire le contenu de la norme en question, sa signification éthique et politique. Une telle méthode risque, toutefois, de soulever des difficultés pratiques considérables. Les possibilités de contestation sont évidemment extrêmement larges et difficiles à réduire lorsqu'il s'agit de qualifier une norme en raison de sa valeur morale, de son importance pour la société dans son ensemble, ou des besoins de protection auxquels elle répondrait. Une telle appréciation est nécessairement subjective et, par conséquent, ne répond pas à des critères très stricts.25 Ce problème, de caractère pratique, a, d'ailleurs, été souligné dans les réponses de nombreux gouvernements et aussi dans les critiques doctrinales adressées à la notion de Jus Cogens. Sa gravité ne peut être sous-estimée, mais il n'est pas évident qu'on ne puisse pas lui trouver une solution satisfaisante. Le scepticisme l'a quelquefois emporté et a conduit à négliger les voies qui conduisent à la découverte de critères présentant une certaine objectivité et permettant, dès lors, de surmonter cette difficulté.26 24 ANONYME, « Le Jus Cogens : droit naturel et ordre public international ou transnational », disponible sur : http://fr.wikipedia.org , visité le 05/05/2011. 25 CANNIZZARO, E., «The law of treaties beyond the Vienna Convention» (le droit de traités au-delà de la Convention de Vienne), disponible sur http://books.google.rw , visité le 4/7/2011. 26 12/02/08, N'GUYEN QUOC, « Traité de droit international », disponible sur http://www.google.rw , visité le 4/11/2011.
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