CHAPITRE III : MECANISMES ENVISAGEABLES POUR UNE
MEILLEURE INTERPRETATION ET APPLICATION DES NORMES DE JUS COGENS
Dans une société internationale dominée
par le volontarisme et la souveraineté des États, les opinions
les plus divergentes sur le concept de Jus Cogens se sont fait jour,
conduisant parfois à des échanges d'arguments fort animés.
Le débat porte à la fois sur le problème théorique
des conditions logiquement nécessaires à l'apparition du Jus
Cogens dans un ordre juridique déterminé, avec son
corollaire, qui consiste à déterminer si de telles conditions
sont déjà ou peuvent être réunies dans l'ordre
juridique international, et, d'autre part, sur la question de fait de savoir si
cet ordre comprend déjà des normes de Jus Cogens et,
dans l'affirmative, quelles sont-elles.
Devant cette impasse, la Cour Internationale de Justice ayant
la détermination et le respect des Jus Cogens dans sa mission a
resté timorée dans la réalisation de sa
responsabilité comme nous l'avons fait remarquer dans le chapitre
précédent. Tout juriste de bonne volonté pourrait ainsi
s'inquiéter de l'avenir des Jus Cogens.
Voilà qui justifie assurément la présence
de ce chapitre ayant pour finalité de réexaminer le futur des
Jus Cogens et de proposer les mesures à mettre en branle pour
s'assurer que ce futur sera meilleur. Les voies que nous proposons dans ce
chapitre concernent la Cour elle-même, les contentieux et les Nations
Unies.
III.1 De la juridiction facultative à la
juridiction obligatoire dans les affaires engageant les Jus Cogens
Selon l'article 36 du Statut de la Cour, « la
compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que
les parties lui soumettront ».136 A la différence
de la situation des particuliers devant les tribunaux internes, les Etats ne
sont soumis à la juridiction obligatoire de la Cour pour un litige
donné que pour autant qu'ils y consentent. La nécessité du
consentement des Etats pour que la Cour puisse exercer sa compétence
contentieuse est rappelée systématiquement par la Cour
Internationale de Justice. Ainsi dans l'affaire de l'Or monétaire, la
Cour Internationale de Justice
136 Article 36 du Statut de la Cour Internationale de Justice.
rappelle qu'elle « ne peut exercer sa juridiction
à l'égard d'un Etat si ce n'est qu'avec le consentement de ce
dernier.»137
En règle générale, les parties
conviennent de soumettre un différend déjà existant
à la Cour. Dans ce cas, le compromis juridictionnel doit comprendre non
seulement l'expression de l'accord des parties pour saisir la Cour mais aussi
la définition de l'objet du litige. Il peut s'agir d'un différend
politique ou juridique. Outre le compromis juridictionnel, la volonté
d'un Etat de soumettre un différend à la Cour peut
résulter de tout acte concluant, en particulier le comportement de
l'Etat défendeur postérieurement à la saisine de la Cour.
La Cour fait preuve de souplesse comme le montre cette procédure du
forum prorogatum par laquelle la Cour peut accepter d'exercer sa
compétence lorsque l'une des parties ne reconnaît celle-ci qu'une
fois l'instance déjà introduite par la partie
adverse.138
Ainsi, la Cour s'estimerait compétente si l'Etat
défendeur acceptait de se présenter à l'instance ou s'il
participait effectivement à la discussion en déposant ses propres
conclusions ou en n'émettant pas d'objection contre une future
décision au fond. Il s'agirait d'une acceptation tacite de la
compétence de la Cour sur laquelle l'Etat défendeur ne pourrait
pas revenir en vertu du principe de bonne foi. Cela permet de passer outre
à des irrégularités de procédure lors de
l'introduction de l'instance afin de conférer à la Cour la
compétence sur le fond.139
Dans le cas de la juridiction obligatoire, le consentement
reste nécessaire mais il ne porte plus sur un différend né
mais sur des différends éventuels. D'une part on peut affirmer
que la juridiction de la Cour Internationale de Justice est obligatoire parce
que l'accord des parties est contenu à l'avance dans un acte
juridiquement contraignant.
La juridiction de la Cour peut résulter, en premier lieu,
d'un traité ou d'une Convention en vigueur qui prévoit d'avance
la compétence de la Cour. L'article 37 du Statut prévoit que :
137 Affaire de l'or monétaire pris à Rome en 1943
(Italie/ France, Royaume-Uni... et Etats-Unis d'Amérique) .Arrêt
du 15 juin 1954.
138 CLAXTON, C., Op.cit, p. 35.
139 Ibidem.
« Lorsqu'un traité ou une Convention en
vigueur prévoit le renvoi à une juridiction que devait instituer
la Société Des Nations ou à la Cour Permanente de Justice
Internationale, la Cour Internationale de Justice constituera cette juridiction
entre les parties au présent Statut ».140
Les engagements spéciaux sont inclus dans une clause
spéciale de règlement juridictionnel contenue dans un
traité dont l'objet principal n'est pas le règlement des
différends mais qui vise les différends pouvant naître de
l'application ou de l'interprétation de ce traité. Les
engagements généraux figurent dans les traités qui ont
pour objet le règlement pacifique des différends et portent
exclusivement sur les différends qualifiés de juridiques.
En second lieu, les Etats peuvent consentir à la
compétence de la Cour au moyen d'une déclaration facultative.
L'article 36, §2 prévoit que :
« les Etats parties au présent Statut
pourront, à n'importe quel moment, déclarer reconnaître de
plein droit et sans Convention spéciale, à l'égard de tout
autre Etat acceptant la même obligation la juridiction de la Cour ...
».141
Pour souscrire à la clause facultative de juridiction,
il suffit que l'Etat soit partie au Statut de la Cour et adresse une
déclaration d'acceptation au Secrétaire général qui
en transmettra une copie aux autres Etats parties et au greffier de la Cour.
Ces déclarations ont pour effet que les Etats qui les formulent
reconnaissent avoir le droit de se citer les uns les autres devant la Cour en
lui soumettant une requête introductive d'instance. En vertu du principe
de réciprocité, la Cour n'est compétente, lorsqu'elle est
saisie d'une requête unilatérale, que si les deux Etats sont
liés par leur déclaration d'acceptation.142
Cela étant, il apert de réfléchir
d'avantage sur le caractère obligatoire des normes internationaux en
général et des Jus Cogens en particulier, si la Cour
Internationale de Justice ne les appliquerait que si les Etats l'acceptent. Et
si les juridictions internes agissaient de la sorte ? Quel est le contrevenant
qui accepterait que la Cour soit compétente pour lui juger ?
140 L'article 37 du Statut de la Cour Internationale de
Justice.
141 L'article 36, §2 du statut de Cour Internationale de
Justice.
142 Art 2 du statut de Cour Internationale de Justice.
Nous partageons ces inquiétude avec M. Gorbatchev qui,
dans son article célèbre : « Réalité et
garanties pour un monde sur » affirmait la nécessite non seulement
de relancer les
Nations Unies comme l'outil essentiel pour le maintien et le
rétablissement de la paix mais aussisur le rôle
centrale qu'il convient de reconnaitre à la Cour Internationale de
Justice. A ce propos il mettait l'accent particulier sur l'idée que
« tous les Etats devraient accepter la juridiction obligatoire de
la Cour, quoique sous des conditions mutuellement agrées », et
il proposait aux membres permanents du Conseil de Sécurité de
donner l'exemple par une décision concertée entre eux à
ce sujet.143
En effet, nous sommes d'avis que pour assurer le respect
effectif des normes internationales en général et des Jus
Cogens en particulier, il serait très urgent de revoir la
compétence de la Cour Internationale de Justice. Celle-ci devait
disposer de la juridiction obligatoire surtout dans les affaires engageant les
Jus Cogens.
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