B/ Cette exception radiophonique donne au
quatrième pouvoir malien une portée singulière pour une
jeune démocratie.
1/ La liberté d'émission.
L'exception médiatique malienne provient avant tout
d'une législation particulièrement favorable. Au Mali les
médias publics ont été érigés en
établissements publics à caractère administratif (EPA),
dont la gestion financière est soumise aux règles de la
comptabilité publique. Or, l'EPA n'a pas pour objectif la
réalisation de bénéfices, mais la satisfac 1
er
tion de l'intérêt général (Article de
la loi n°92 -021/AN-RM, portant sur la création
de l'ORTM). Les textes autorisent donc Ç la
création libre de services privés de radiodiffusion sonore par
voir hertzienne terrestreÈ (Tozo 2005, p.109). Il n'y aucune limite
à cette liberté de création autre que le respect de la
personne humaine et de l'intérêt public. Cette liberté est
seulement tempérée par le Conseil supérieur de la
communication qui est chargé de l'attribution des fréquences de
la bande FM (Tudesq 2002, p.53). Crée le 24 Décembre 1992, ce
conseil est dépendant du ministère
de l'Intérieur et peut retirer à une chaine le
droit d'émettre uniquement si (Colloque de Bamako 1994, p.61) :
- la diffusion des émissions porte atteinte aux mÏurs
ou au développement harmonieux des couches sensibles de la
population.
- les émissions incitent à des crimes et
délits de caractères racial, régionaliste ou religieux.
La liberté des radios maliennes est donc presque totale
dans les textes. En réalité, cette liberté va même
au delà, puisque le gouvernement laisse émettre librement des
dizaines, si ce n'est des centaines de radios non officielles (Myers 2000,
p.93). Fonctionnant depuis des radios portables trafiquées pour
émettre des signaux sur un ou deux kilomètres, les radios pirates
sont foisons au Mali. Parfois la gendarmerie intervient pour les fermer, comme
à Tori en 1993 dans le Bankass. Ainsi le Mali serait de ce point de vu
presque plus démocratique que bon nombre de démocraties o
ccidentales, oü les conditions pour mettre en place une radio sont
drastiques et où toute émission d'ondes sans autorisation est
sévèrement punie par la loi comme l'a illustré Richard
Curtis (2009).
2/ Peut-il y avoir véritablement des médias
libres?
Il convient cependant de modérer cette vision idyllique
d'une liberté totale accordée aux radios maliennes. En
Février 1994 la Radio Kayira a été fermée par le
gouvernement à la suite d'une transmission lors de laquelle le leader de
l'opposition a qualifié le gouvernement d'incompétence (Ogbondah,
p.66). De plus, en Septembre 1997, deux intervenants de radio Kayira ont
été arrétés parce qu'ils étaient membres
d'un parti d'opposition. Des employés d'autres radios (Kledu et Guintan)
ont aussi été soumis à des harcèlements la
méme année (Tudesq 2002, p.147). Sans remettre en question la
liberté de paroles des radios au Mali, ces interventions montrent que
les médias ne se sont pas totalement affranchis de la tutelle du pouvoir
politique. Si elles démontrent la limite de l'indépendance des
radios maliennes, ces interventions prouvent surtout qu'il n'y a pas d'accords
indirects entre les radios et le pouvoir politique comme c'est le cas dans
d'autres pays africains (Walle 2003, p.312).
Peut-on vraiment appliquer des critères de
liberté d'expression propres aux vieilles démocraties
occidentales à un pays qui a achevé sa transition
démocratique il y a moins de vingt ans et dont 47% de la population vit
sous le seuil de pauvreté (Banque Mondiale 2012)? En outre, dans ses
vieilles démocraties la liberté des médias n'est pas non
plus totale, loin de là. Serge Halimi (1997) démontre ainsi que
les rapports de connivence entre les pouvoirs politiques, économiques et
médiatiques se multiplient dangereusement en France.
L'indépendance, l'objectivité, et le pluralisme des médias
francais s'en trouvent clairement amoindris. Les rouages du système
politique et démocratique semblent rouillés par une censure
insidieuse (Pierre Carles, 1998) et un contrôle tacite du politique
(Bulteau 2010, pp.132-39). Dès lors, la spontanéité et la
fra»cheur des radios maliennes apparaissent sous un autre jour. En effet,
si ces radios sont d'avantage subordonnées au pouvoir politique que dans
les pays occidentaux. Elles sont en revanche bien plus affranchies des
pressions de la sphère économique, et donc d'une certaine facon
plus libres.
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