1-4/ Impacts du redoublement sur la scolarisation
Ainsi, nous nous posons des questions sur l'impact du
phénomène sur la performance des redoublants, et sur leur
scolarité. On se demande si les élèves qui redoublent
obtiennent de meilleurs résultats aux examens que les autres ou si les
écoles qui font redoubler ont plus de réussite aux examens que
les écoles qui font moins de redoublants. C'est cette question qui fait
l'objet de la présente recherche. A ce sujet, plusieurs facteurs
influencent la réussite aux examens, précisément au CEPD
dans le cadre de cette étude.
Parmi les variables qui ont une influence sur l'échec
au CEPD ; nous pouvons citer la dimension rural/urbain, le rapport
maître/élèves, la distinction entre les écoles
publiques et privées, les classes à cours multiples, la
proportion de femmes au sein du corps enseignant, le niveau d'études des
enseignants, une formation professionnelle initiale des enseignants, la
disponibilité des manuels scolaires et la qualité du
bâtiment de la salle de classe. Dans ce contexte, une étude
réalisée par Mathieu Brossard, Blandine Ledoux et Francis Ndem
(juillet 2006) sur l'analyse de l'éducation au Togo a estimé les
impacts de chacun de ces facteurs sur la réussite au CEPD.
D'après cette étude, la fréquence des redoublements est
très négativement associée aux taux de réussite au
CEPD. Entre une école dont le taux de redoublement serait de 10% et une
autre où il atteindrait 35%, l'étude suggère que les
autres facteurs étant comparables pour ces écoles, le taux de
réussite au CEPD est en moyenne de 9,5 points au bénéfice
de la première. Dans le plan sectoriel de l'éduction 2010-2020
pour le Togo, en comparant les résultats des écoles primaires
à l'examen de fin de cycle avec les fréquences des redoublements
qui y sont observées, le MEPSA (Ministère de l'Enseignement
Primaire, Secondaire et de l'Alphabétisation) a réalisé
que les écoles qui ont un taux de redoublement de moins de 10%
obtiennent des taux de réussite au CEPD plus élevés que
les écoles qui font plus de 20% de redoublants. Ainsi comme l'affirme
Jean-Jacques Paul (1997),
« s'il y a bien un domaine
où les chercheurs en sciences de l'éducation se donnent
la main, c'est bien celui du
redoublement, pour affirmer à l'unisson que le
redoublement est une solution injuste,
inefficace sur le plan pédagogique et
coûteuse ».
Au Togo, le redoublement constitue un phénomène
culturellement enraciné. Et nombreux sont les travaux qui mettent en
doute son efficacité pédagogique, qu'ils fassent
référence à la relation entre le redoublement et les
performances scolaires ou comme lien entre redoublement et trajectoire
scolaire. L'élève qui redouble ne profite pas de la reprise de
son année et ses résultats scolaires continuent souvent de
baisser (Côte, Kennes et al. 1995). Elle ou il réussit moins bien
que l'élève qui a profité d'un passage en classe
supérieure en dépit du fait que les deux présentent des
difficultés scolaires comparables (Leblanc Jacinthe, 1991). A cet
égard, dans la plupart des cas, même si l'élève
connaît un certain succès scolaire l'année de sa reprise,
obtenant la plupart du temps des résultats dans la moyenne, ce
succès ne se maintient pas à long terme, (Paradis Louise et
Potvin Pierre, 1993).
Si la reprise d'une année ne permet pas à
l'élève de connaître des succès scolaires, si cette
dernière ou ce dernier perd espoir en ses capacités et que
l'intérêt n'y est plus, les risques d'abandon scolaire s'en
trouvent automatiquement accrus. Si l'on compare les redoublants et les non
redoublants, l'on constate que, chez les premiers, le risque de quitter
l'école serait de 20% à 30% plus grand que chez les seconds
(Grissom James. B. et Shepard Lorrie A., 1989). D'autres études comme
Mingat et Suchaut (2000) et Brossard M. et al. (2006) montrent que les
redoublements accroissent les abandons scolaires. Ils ont montré
également dans ces études que ces impacts du redoublement sur la
scolarisation des élèves est plus observable dans les groupes
défavorisés (milieux ruraux, familles économiquement
pauvres, filles...)
Par ailleurs, la reprise consécutive d'une année
développe chez les élèves certains troubles de
comportement qui sont défavorables à la réussite scolaire
plus précisément au CEPD (1er examen dans le cursus de
l'élève). Parmi ces troubles de comportement nous pouvons noter
le stress, une faible estime de soi, la démotivation, une mauvaise
intégration dans le nouveau groupe de pairs. En effet, la reprise d'une
année est un événement stressant pour
l'élève et pour sa famille. Pour l'enfant, ce serait aussi
stressant de reprendre une année que d'uriner en classe ou d'être
surpris en train de voler (Fuhrman Susan et autres, 1990). Aussi la reprise
d'une année peut avoir comme effet une baisse de l'estime de soi chez
l'élève. C'est l'un des effets négatifs les plus à
craindre puisqu'une estime de soi positive serait un facteur déterminant
pour la réussite de l'élève. Les élèves qui
redoublent démontrent une plus faible estime de soi que ceux qui n'ont
jamais redoublé et qu'ils attribuent leurs échecs à des
facteurs indépendants de leur volonté et doutent davantage de
leur valeur et de leur habileté à atteindre leurs buts. Entre six
et douze ans, se développe chez l'enfant, le sens de l'effort et du
travail. Pendant cette période, l'élève se définit
davantage par ce qu'elle et qu'il est capable de réaliser que par ses
attributs physiques ou psychologiques. Ce n'est pas tellement l'objet qui
stimule son comportement mais le sentiment que ses efforts ont fait une
différence et qu'elle et qu'il est responsable de ses résultats
(Tremblay Richard, 1992).
A la suite d'échecs répétés, les
élèves en viennent à acquérir des attitudes qui les
empêchent de réaliser toutes leurs capacités
d'apprentissage (Tremblay, 1992). Le découragement consécutif
entraîne une baisse du niveau d'activité de l'élève
et si cela se répète, beaucoup se découragent et leur
rendement s'abaisse sous leurs capacités réelles (Tremblay,
1992). Il s'installe alors dans un pattern de fonctionnement inférieur
à son potentiel. De plus le redoublement provoque chez
l'élève qui reprend sa classe une démotivation au travail.
Contrairement à l'objectif du redoublement, la reprise des mêmes
programmes, avec du matériel déjà vu dans un contexte
semblable est souvent mal appréciée par l'élève qui
échoue. L'élève anticipe le contenu et les
activités qui l'ont fait échouer. Il y a alors peu de chance que
le nouveau contexte dans lequel le même programme est repris augmente son
intérêt pour le travail, et par là sa compétence
à réussir.
Par ailleurs, il est à craindre que
l'élève qui redouble soit affecté par la perte de son
groupe d'appartenance. Reprendre une année quand on ne se sent pas bon,
quand on a perdu contact avec ses amis et ils ne sont plus dans le même
groupe et surtout dans la même classe, réduit sans doute la
motivation. (Leblanc Jacinthe, 1991). Pour l'élève, cette perte
du groupe de pair a non seulement une mauvaise influence sur sa motivation au
travail, mais aussi sur son intégration dans le nouveau groupe, souvent
plus jeune. La recherche indique que l'élève qui a obtenu le
passage en classe supérieure obtient de meilleurs scores au niveau de
l'adaptation personnelle que celui ou celle qui redouble. D'après les
sociogrammes, les redoublants sont moins souvent choisis par leurs camarades.
Ils sont vus plus négativement que les élèves qui ont
obtenu le passage en classe supérieure. Les effets négatifs sur
l'adaptation sociale sont particulièrement observés après
les premières classes. Cette discrimination serait en effet plus
élevée en 4e, 5e et 6e années (Leblanc, 1991).
Somme toute, cette étude s'intéresse aux effets
néfastes du redoublement sur la réussite scolaire, plus
précisément sur l'achèvement du cycle primaire.
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