5/ CADRE DE REFERENCE THEORIQUE DE LA RECHERCHE
Au delà de toutes les différences d'approches
théoriques et de toutes les divergences d'interprétation
auxquelles l'échec scolaire a pu donner lieu depuis plusieurs
années, deux faits apparaissent aujourd'hui indéniables. D'une
part, l'échec scolaire est un phénomène social, qui touche
particulièrement certains groupes (classes sociales, catégories
socioprofessionnelles, types de famille...), comme l'attestent plusieurs
expériences empiriques. D'autre part, l'échec scolaire est une
situation dans laquelle un individu se retrouve, au cours d'une histoire
singulière. Mais si ces faits sont tous deux indéniables, la
question centrale est donc dans cette étude, de comprendre
l'échec scolaire en général, et plus
particulièrement l'échec des élèves au CEPD au
Togo. Toute explication doit pouvoir rendre compte à la fois de la
relation entre échec scolaire et l'appartenance socio-familiale et de la
singularité des histoires scolaires.
Plusieurs théories sur l'échec scolaire ont
essayé de rendre compte des deux faits. Cependant il a été
difficile de concilier les faits scolaires (politiques scolaires, la
pédagogie de l'école) et l'appartenance socio-familiale de
l'élève dans une approche théorique pour expliquer
l'échec scolaire. La théorie du don conçoit l'échec
scolaire comme l'effet d'une caractéristique naturelle de l'individu.
Mais elle ne peut pas expliquer pourquoi le don, et donc l'échec
scolaire, est réparti dans la population des élèves selon
une distribution qui se révèle sociale (sexe, âge, milieu
de résidence, type d'école fréquentée, etc....).
Depuis les décennies 1960 et 1970, les théories de la
reproduction, et celles qui s'en sont inspirées, ont
interprété l'échec scolaire en termes d'appartenance
à des groupes pourvus de telles ou telles caractéristiques
(capital culturel, rapport au temps, type de socialisation familiale etc..).
Mais lorsque l'on se situe dans ce courant de pensée, il devient
difficile de comprendre les cas atypiques. Pourquoi certains enfants de famille
populaire réussissent-ils, malgré tout à l'école,
pourquoi certains enfants de milieu favorisé échouent-ils quand
même? C'est ainsi que Raymond Boudon critique l'approche des
déterministes qui mettent tout sur le dos de la nature et des structures
sociales. Il évoque une autre interprétation de la
réussite ou de l'échec scolaire. Sur le modèle
interprétatif de l'individualisme méthodologique, Raymond Boudon
(1973) trouve que les réussites ou échec scolaires
dépendent des stratégies développées par les
acteurs
(ici élèves et les parents) pour assurer leur
survie dans le système scolaire. Ces stratégies varient en
fonction des paramètres (revenu, niveau culturel, âge, sexe, etc.)
relatifs à la position sociale des acteurs.
Le mérite de ces théories est la mise en
évidences des facteurs psychologiques et sociologiques. Or
l'échec scolaire n'est donc pas une caractéristique qu'un
individu hériterait de son groupe social ou comme l'effet d'une
organisation scolaire uniquement. L'échec scolaire est une situation qui
se construit peu à peu, à travers des pratiques, dans une
histoire scolaire inséparable de l'histoire singulière de
l'individu. Ainsi l'élément le plus important, dès lors
qu'on s'est rendu compte de l'insuffisance des théories
déterministes à expliquer totalement (principe sociologique) la
réussite ou l'échec scolaire, il nous reste la
démonstration de l'importance du contexte scolaire.
Déjà en 1973, dans son
L'inégalité des chances, Boudon (1973) affirmait
que « l'école, en qui on avait longtemps vu un
mécanisme correcteur des inégalités dues à la
naissance, apparaissait incapable de jouer le rôle qu'on attendait
d'elle », celui de réduire les inégalités,
voire permettre à tous la réussite scolaire. C'est ainsi que
certaines théories expliquent les échecs scolaires par des causes
pédagogiques. Elles invoquent tantôt la formation des
maîtres, tantôt les méthodes pédagogiques telles que
la relation maître-élèves, le système
d'évaluation, et les moyens de transmission des savoirs. Dans cette
optique, les approches issues des courants interactionnistes ont montré
comment l'histoire singulière des élèves et des
enseignants interagissait dans les relations de classe et donnait une
signification à la performance scolaire des élèves. Les
théories interactionnistes accordent la prédominance à
l'interaction entre facteurs internes et externes. Pour expliquer la
réussite ou l'échec scolaire, les facteurs internes (la
motivation d'accomplissement, estime de soi, la perception par les
élèves des causes de leur échec ou réussite, etc.)
interagissent avec les facteurs externes (relation entre élèves,
relation maître-élèves, origine sociale de
l'élève, la politique scolaire, etc.). Dans l'interactionnisme,
on retrouve l'idée selon laquelle le fait social se construit sans cesse
à travers la dynamique des actes sociaux ou échanges entre les
personnes, c'est-à-dire les interactions. Par ce cadre d'analyse,
l'échec au CEPD, en tant que fait social, se construit dans
l'interaction des décisions pédagogiques (comme celle du
redoublement), de l'origine sociale de l'élève, et de la pratique
pédagogique de l'enseignant. Et c'est par l'étude des
mécanismes propres à ces interactions que l'on peut rendre compte
du phénomène de l'échec au CEPD.
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