Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031 |
Section 2 : LES CONDITIONS DE RECEVABILITE ET DE MISE EN ETAT DE LA CAUSEL'étude des conditions de recevabilité et de mise en état de la cause ainsi introduite par voie de requête est d'une importance procédurale capitale. En effet, une chose est d'avoir le droit d'agir, une autre est toutefois le respect de la marche à suivre pour faire sanctionner la méconnaissance d'une violation de ce droit. C'est ainsi qu'au-delà de l'affirmation constitutionnelle du droit de chacun d'agir en inconstitutionnalité contre les actes législatifs et réglementaires, il doit exister des mécanismes particuliers pour faire sanctionner judiciairement ledit droit.1013(*) En droit judicaire ordinaire, il est reconnu quatre conditions de recevabilité des actions en justice qui sont : la qualité, l'intérêt, la cause et l'objet de l'action. Ainsi, une action qui est la manifestation juridictionnelle d'un droit doit également être mue par une personne pourvue de la qualité, de l'intérêt à agir et son action doit absolument porter à la fois sur un objet licite et posséder une cause légitime.1014(*) Dès lors, la théorie générale des actions en justice ne semble guère rencontrer le prescrit constitutionnel et les conditions de recevabilité des requêtes prévues par les lois régissant la matière.1015(*) C'est ce que nous allons voir en analysant d'abord les conditions applicables à toutes les requêtes quelle que soit l'origine de leurs auteurs, ensuite une approche particulière sera opérée à propos de la requête en contentieux constitutionnel. Nous clôturerons la section avec une vue d'ensemble de la matière de mise en état de la cause. §1. Les conditions générales de recevabilité de la requête devant le juge constitutionnelIci, il est question d'une sorte de théorie générale de la recevabilité de la requête devant la Cour suprême de justice faisant office de Cour constitutionnelle transitoire. L'intelligence de cette théorie générale est utile à la saisie intellectuelle de la suite des questions procédurales qui émaillent le contentieux constitutionnel. En effet, bon nombre d'arrêts rendus en matière constitutionnelle ont consacré l'irrecevabilité des actions donnant ainsi l'impression - comment ne pas le dire- que la Cour suprême de justice évitait des questions politiques d'une brulante actualité. En réalité, la connaissance de cette question aurait évité aux acteurs politiques, auteurs de saisine souvent controversée, de recourir aux armes de combat de rue s'ils avaient une connaissance parfaite de ces conditions. Nul n'est censé ignorer la loi, dit un adage. Tout le monde aujourd'hui sait comment tout le monde ignore la loi : celle-ci ou plutôt les nombreuses lois étant devenues l'affaire des professionnels. Cette introduction nous invite à voir de près les détails de la question. Le droit congolais positif se contente d'indiquer la requête comme mode de saisine du juge constitutionnel. Ainsi, tout autre exploit de justice qui ne serait pas une requête devra aboutir à l'irrecevabilité devant la Cour constitutionnelle.1016(*) En effet, la requête, contrairement à d'autres exploits saisissant les juridictions en République démocratique du Congo, a la particularité d'être un acte unilatéral de la partie adressé à une juridiction pour s'entendre dire droit sur les prétentions de fait et de droit y formulées. Ainsi, elle se différencie nettement de l'assignation qui est entendue comme un acte du greffier, dressé à la demande d'une partie, adressé à une juridiction et portant des prétentions contradictoires vis-à-vis d'une autre partie. 1017(*) Selon l'article 1er de la procédure devant la Cour Suprême de Justice, celle-ci est saisie par voie de requête ou de réquisitoire du Ministère Public déposé au greffe. La loi impose que la requête introduite soit signée par un Avocat inscrit au Barreau près la Cour suprême de justice, sauf en matière administrative ou si elle est l'oeuvre du Ministère Public. Celle-ci est datée1018(*). Sans être formaliste, la justice constitutionnelle gagnerait aussi en clarté en admettant la forme épistolaire comme étant équipollente à la requête. En effet, le Chef de l'Etat ou toute autre autorité publique qualifiée par la constitution peut bien saisir la haute Cour en lui adressant une lettre. Du reste, il nous parait évident que c'est la forme que la pratique institutionnelle semble imposer. Celle-ci vaudra donc requête. De plus, la qualification de requête rejaillit davantage des mentions qu'elle doit contenir plutôt que de sa dénomination, du reste, non obligatoire. B. Des mentions obligatoires de la requête La requête doit obligatoirement et, sous peine de nullité, mentionner : le nom, éventuellement les prénoms, la qualité et demeure ou siège de la partie requérante ; l'objet de la demande ; les noms, prénoms, qualité et demeure ou siège de la partie adverse et ; l'inventaire des pièces formant le dossier1019(*). Nous pensons que ces mentions obligatoires seront d'emblée réintroduites dans la future loi organique relative à la Cour constitutionnelle car elles procèdent tout naturellement de la logique judiciaire qu'impose le contentieux constitutionnel. Comment en effet, introduire un recours constitutionnel sans indiquer les mentions qui viennent d'être énumérées. La requête qui contient ces éléments est recevable, de ce point de vue, mais elle appelle en réponse un mémoire émanant du défendeur à l'action dont l'étude s'impose également. Pour être recevable, le mémoire doit être signé par un Avocat inscrit au Barreau près la Cour Suprême de Justice, sauf en matière administrative ou s'il émane du Ministère Public. Ce mémoire est daté et comporte les mentions ci-après : les noms et prénoms, éventuellement, la qualité et la demeure ou le siège de la partie concluante ; les moyens complémentaires à la requête ou les exceptions et les moyens opposés à la requête et aux mémoires ; les références du rôle d'inscription de la cause et ; l'inventaire des pièces format le dossier au greffe1020(*). Les éléments du mémoire constituent, à n'en point douter, le contenu tandis que le mémoire lui-même joue le rôle de contenant surtout que la procédure devant la haute Cour est écrite et accessoirement orale. Cette exigence ressort implicitement de la lecture de l'article 93 de la proposition de loi organique relative à la Cour constitutionnelle qui pose que le rapporteur « fixe aux parties des délais pour produire leurs moyens de défense et ordonne au besoin des enquêtes ».1021(*) Il n'est qu'à constater que le futur législateur a tiré les conséquences juridiques du caractère contradictoire de la procédure devant la Cour constitutionnelle. Cela tranche sans conteste avec le caractère quasi mystérieux et don opaque de l'actuelle procédure devant la Cour suprême de justice qui ne permet à personne de savoir à quelle étape de la procédure se trouve sa cause ? Il est évident que cela est contraire à l'Etat de droit qui postule une transparence administrative à tous les niveaux. La justice a certes besoin de discrétion mais elle ne doit pas fonctionner dans le secret. C'est pour conjurer ce secret digne de la belle époque des dictatures que l'exigence du nombre des copies s'explique tant à l'égard des parties qu'à l'égard de la Cour elle-même. D. Du nombre des copies et de l'élection du domicile Pour être recevable, la requête ou le mémoire produits devant la Cour suprême de justice doivent être accompagnés de deux copies signées par l'Avocat ou en matière administrative, par la partie elle-même, ainsi que d'autant d'exemplaires qu'il y a des parties désignées à la décision entreprise1022(*). Les parties doivent, sauf en matière administrative, dans la requête introductive ou dans le mémoire en réponse déposé au greffe, faire élection de domicile au cabinet d'un Avocat à la Cour Suprême de Justice1023(*). Cette exigence qui semble être légitime du fait que les parties aux procédures pendantes devant la haute Cour sont souvent éloignées du siège de celle-ci dont le ressort est le territoire national, pose quand même le problème juridique de sa cohérence avec l'ordre juridique tout en entier. Les parties au procès d'interprétation de la Constitution et celles en instance de contrôle de constitutionnalité des lois tant a priori qu'a posteriori sont sans conteste des autorités publiques dont l'élection de domicile nous parait non seulement superflue mais surtout sujette à caution. En effet, il est utile d'élire domicile lorsque son domicile réel est situé loin du lieu où un acte doit être accompli. Dans le cas qui nous occupe, les autorités publiques qui sollicitent une interprétation de la Constitution ou un contrôle de la constitutionnalité des lois ont leur siège à Kinshasa. Il s'agit, en sus, des institutions politiques que le Constituant lui-même a logées à Kinshasa à l'exception des cours et tribunaux qui sont essaimés à travers la République. Comment dès lors peuvent-elles élire domicile encore que techniquement elles se limitent à adresser des requêtes ou des jugements ou arrêts avant dire droit à la Cour constitutionnelle, pour ce qui est du contrôle de constitutionnalité des lois ou d'interprétation de la Constitution ? L'argument tranchant est que le Code de la famille qui dispose sur la matière d'élection de domicile ne concerne que les personnes physiques, les personnes morales même celles de droit privé restant régies quant à cette question par le droit commercial ou la loi sur les associations sans but lucratif qui réglementent alors leur siège social et non leur domicile entendu comme le lieu du principal établissement d'une personne et le siège de ses intérêts essentiels1024(*). Cette exigence légale nous semble parfaitement justifiée lorsqu'il s'agit des particuliers et dans les seules matières où ceux-ci peuvent intervenir. Or, les particuliers sont loin d'ester en justice en cette matière. Dès lors, il est excessif, comme le laisse croire le Premier avocat général de la République Katuala Kaba Kashala que le Président de la République aurait dû recourir aux services d'un avocat à la Cour suprême de justice et donc élire domicile au cabinet de ce dernier pour que sa requête formée sur base de l'article 121 alinéa 2 de la Constitution de la transition soit reçue.1025(*) Cette querelle est aujourd'hui éteinte car la nouvelle Constitution tranche en clarté en donnant le droit de saisine à « toute personne », y compris le Chef de l'Etat et la future législation organique relative à cette haute juridiction ne semble guère faire du ministère de l'avocat à la Cour suprême de justice une obligation procédurale. En revanche, l'éclatement de la Cour suprême de justice étant acquise aux termes de la Constitution, il nous semble dépassé le problème de l'ordre des avocats à la Cour suprême de justice qui ne devraient comme de droit exercer de façon monopolistique que devant la Cour de cassation. Nous prolongerons la critique au point réservé à cette formalité procédurale mais à présent attelons-nous à ce qui est particulier à chacune des demandes devant la Cour constitutionnelle. * 1013 Article 162 de la Constitution. * 1014 Lire avec profit RUBBENS (A.), Droit judiciaire privé, Kinshasa, PUZ, 1979. * 1015 Il s'agit de la loi portant procédure devant la Cour suprême de justice du 31 mars 1982 déjà citée ainsi que la proposition de loi organique relative à la Cour constitutionnelle. * 1016 RUBBENS (A.), op.cit, p.235. * 1017 Ibidem * 1018 Article 3 de la procédure devant la Cour suprême de justice. * 1019 Lire l'article 2, alinéa 3de la procédure devant la Cour suprême de justice. * 1020 Article 3de la procédure devant la Cour suprême de justice. * 1021 Lire article 93 alinéa 3 de la proposition de loi organique relative à l'organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle. * 1022 Article 4 de la procédure devant la Cour suprême de justice. * 1023 Article 5 de l'Ordonnance-loi organisant la procédure devant la Cour suprême de justice. * 1024 Code la Famille, article 161. * 1025 KATUALA KABA KASHALA, « Une nouvelle exception à la saisine de la Cour suprême de justice telle qu'organisée à l'article 2 du Code de sa procédure » in Revue juridique Justice, Science et Paix, ibidem, p.10. |
|