Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031 |
II. PROBLEMATIQUELe contrôle juridictionnel des actes des gouvernants est, sans aucun doute, l'une des marques du droit constitutionnel contemporain. Aussi est-il utile d'étudier l'agencement des mécanismes de ce contrôle en République Démocratique du Congo pour rendre efficiente la justice constitutionnelle qui s'installe. Il s'agira de répondre aux pertinentes questions relatives aux fondements et aux modalités d'exercice de cette justice constitutionnelle. Par ailleurs, l'on peut constater que la raison ultime de la justice constitutionnelle qui est la Constitution a revêtu un fondement différent selon les époques de l'histoire occidentale. Aussi, la Constitution a-t-elle été un acte de limitation du pouvoir du monarque (souverain) avant de devenir un accord sue les bases essentielles de la société.113(*) D'emblée, il faut dire que le transfert de souveraineté de Dieu au Roi et du Roi au peuple a transformé, le fondement de la justice et, surtout de la justice constitutionnelle. En effet, exercé par le Roi au nom de Dieu puis en son nom propre, la justice est demeurée une prérogative régalienne bien que théoriquement faisant partie désormais des attributs du souverain qui est devenu le peuple114(*). Nous pensons donc qu'il y a une corrélation évidente entre la localisation de la souveraineté dans le pays et le contrôle juridictionnel des actes de cette souveraineté. Il s'agit donc de savoir si le fondement de la justice constitutionnelle est le même qu'en occident. Si le fondement est différent, ceci pourrait être une hypothèse à tester, cela doit déteindre sur des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle. Du reste, n'est-il pas déjà acquis, comme l'observe Charles Goossens, que le droit constitutionnel africain est dualiste ?115(*) Comment dès lors assumer ce dualisme constitutionnel qui est marqué par l'existence d'un texte constitutionnel calqué sur ceux d'occident et une présence discrète mais agissante d'une « coutume » en tous cas, des pratiques constitutionnelles, de plus en plus, persistantes mais tendant de manière frénétique à émasculer la suprématie de la Constitution ?116(*) La décision du bureau de l'Assemblée nationale du mois de février 2007 relative au moratoire des dossiers de double nationalité s'inscrit dans la logique de la coutume africaine de palabre qui interdit des victoires tranchées contre ses frères. Le caractère inconstitutionnel d'une telle mesure saute aux yeux cependant elle ne heurte nullement la conscience juridique des citoyens qui restent ainsi comme éloignés du texte constitutionnel qui, de ce point de vue, ne semble guère avoir cristallisé un accord social qui mériterait que l'on meurt pour lui. Il s'agit aussi de répondre au défi majeur que lance Sayeman Bula-Bula 117(*) à « la jeune génération des constitutionnalistes », celui, entre autres, de tenir en compte les fondements culturels, ethniques, économiques et sociaux de notre pays dans la réalisation d'une « statologie » africaine ou pour notre cas, d'une justice constitutionnelle congolaise. Cette problématique ne peut trouver réponse, à notre avis, que dans une analyse qui s'appuierait sur une description critique du contentieux constitutionnel congolais dans la perspective de l'Etat de droit. En effet, le mimétisme institutionnel viderait la réflexion juridique de tout intérêt. Aussi est-il aisé de constater que l'Etat de droit est une forme avancée de l'Etat-nation. Or, celle-ci est le produit de l'histoire européenne. Il est donc fort possible que l'existence des tribus118(*), sources humaines des normes coutumières, pose le sérieux problème de la légitimité même de la Constitution119(*). En outre, parler de Constitution n'est-ce pas parler du peuple qui est le destinataire final de ses règles ? Il est acquis que ce peuple est multiple et divers.120(*) La thèse est dès lors que la justice constitutionnelle congolaise doit innover en ce qu'elle se fonde sur des normes dont l'origine dualiste est acquise, et, de ce fait même, s'applique à des actes empreints du sceau de ce dualisme constitutionnel de même qu'elle est talonnée par une mondialisation qui presse et qui impose comme « un prêt-à-porter idéologique » l'institution des cours constitutionnelles comme il en est des programmes d'ajustement structurel. Souvent, il est reproché au constituant d'imiter les institutions nées sous le soleil d'autres nations et ainsi nourries à une histoire qui n'est pas la sienne. Cependant, tel reproche résisterait-il à son tour à la critique lorsque le mythe de l'Etat de droit121(*) semble avoir déjà conquis tous les coeurs, en tous cas, ceux des africains qui ne soupirent qu'après lui ? Comment dès lors peut-il être possible que le constituant soit sourd à ces aspirations internes de très forte intensité relayées au demeurant par un discours mondial de bonne gouvernance dont la vulgate juridique n'est rien d'autre que la notion aux dimensions insoupçonnées d'Etat de droit ? Mais doit-on faire un mimétisme de pacotille susceptible d'agir tel « un greffon sur un corps étranger 122(*)» comme nombre de nos institutions asséchées par une disette idéologique ravageuse ? Telle est la question qu'il s'agit de résoudre. Il s'agira de voir à travers les différents modèles de justice constitutionnelle pratiqués à travers le monde, celui qui est à même de trouver un fondement solide tant en fait qu'en droit dans le sol culturel congolais. Déjà, Djoli Eseng'Ekeli a attiré notre attention sur le caractère plural de l'archétype sociétal africain qui est aux antipodes du modèle occidental trinitaire issu du discours judéo-chrétien traditionnel123(*) . L'unitarisme du « Dieu » créateur et de l'Etat occidental qui est sa préfiguration temporelle ne sont-ils pas, à juste titre, dénoncés par les africanistes qui voient en effet dans l'Etat africain à inventer ou à constituer un modèle plural de juxtaposition ?124(*) Par contre, il faudra éviter le particularisme ambiant de l'exception culturelle pour s'en tenir au « noumène » de la justice constitutionnelle. Par essence, nous conviendrons que la justice constitutionnelle est celle qui contrôle les gouvernants vis-à-vis des gouvernés et sur la base de la norme fondamentale et fondatrice. Aussi est-il déjà perceptible qu'une méthode transdisciplinaire ou pluridisciplinaire s'impose afin de rendre intelligible la thèse que nous défendons. Mais le cheminement méthodologique n'est-il pas déjà un autre problème scientifique qu'il faut élucider ? Tout ceci a-t- il de l'intérêt ? * 113 Lire SEURIN (J.-L.), « Des fonctions politiques des constitutions. Pour une théorie politique des constitutions », in SEURIN (J.-L.), (sous la direction de), Le constitutionalisme aujourd'hui, Paris, Economica, 1984, pp. 35-52. * 114 Lire NICOLSON (H.), La monarchie. Du droit divin aux constitutions modernes, Paris, Hachette, 1962. * 115 GOOSSENS (C.), préface à DJELO EMPENGE OSAKO (V.), L'impact de la coutume sur l'exercice du pouvoir en Afrique noire. Le cas du Zaïre, Louvain-la-Neuve, Le bel Elan, 1990, pp.7-20. * 116 BOSHAB (E.), Pouvoir et droit coutumiers à l'épreuve du temps, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2007, p.119. Cet auteur fait une belle démonstration sociologique de l'influence néfaste des coutumes et souvent du pouvoir coutumier sur l'Etat moderne postcolonial. Il nous semble cependant qu'il soit fort possible de trouver dans les valeurs ancestrales certaines qui soient positivables et qui, de ce fait, soient dignes de figurer au rang des innovations institutionnelles congolaises. La question est à la fois d'ordre ontologique car il s'agit de parler de l'être du congolais ; or, cet être collectif est, à nos yeux, en pleine construction et selon les soubresauts de l'histoire. Ainsi donc, il est épistémologiquement difficile de le saisir déjà comme quelque chose d'achevé. Et l'Etat lui-même aurait-il déjà achevé toutes les mutations dues aux contorsions de l'histoire ? * 117 Sayeman BULA-BULA, « En ce temps-là », in Pour l'épanouissement de la pensée juridique congolaise, Liber Amicorum Marcel Antoine Lihau, Bruxelles, Kinshasa, Bruylant, Presses de l'université de Kinshasa, 2006, p.XXI. * 118 NDAYWEL e NZIEM (I.), Histoire générale du Congo. De l'héritage ancien à la République démocratique, Paris, Kinshasa, Bruxelles, Agence de la Francophonie, De Boeck et Larcier, Afrique éditions, 1998, pp.39-75 qui constituent la première partie consacrée à l'espace, aux hommes et aux structures de la Rd Congo. Instructif ! * 119 Lire BOSHAB (E.), Pouvoir et droit coutumiers à l'épreuve du temps, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2007, 338pp. Cet auteur perçoit, à notre avis, la bataille que se livrent ces deux sources normatives mais plaide en fin de compte pour le droit écrit. La synthèse n'est-elle pas possible ? Le droit écrit occidental n'est-il pas un mélange subtil des coutumes de l'ancien régime d'avec les lois de l'Etat postrévolutionnaire ? Et, pourquoi cela serait-il impossible en Rd Congo ? * 120 Voir KI-ZERBO (J.), Histoire de l'Afrique noire d'hier à demain, Paris, Hatier, 1972. * 121 Lire CHEVALLIER (J.), L'Etat de droit, 2ème édition, coll. Clefs, Paris, Montchrestien, 1994, 158pp. * 122 KAYEMBA NTAMBA MBILANJI, Cours d'institutions politiques du Zaïre, 2ème graduat, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, polycopié, 1987-1988. Cet auteur utilise cette métaphore à propos du mimétisme institutionnel africain dont l'efficacité est plus que douteuse. * 123 DJOLI ESENG'EKELI (J.), Le constitutionalisme africain. Entre la gestion des héritages et l'invention du futur, Paris, Connaissances et savoirs, 2006, p. * 124 MOBUTU SESE SEKO, Dignité pour l'Afrique. Entretiens avec Jean-Louis Remilleux, Paris, Albin Michel, 1989, p.85-86. |
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