CHAPITRE II : LES
TRAITS DU CONTENTIEUX CONSTITUTIONNEL
Après un long survol de quelques pays symbolisant l'un
ou l'autre modèle de la justice constitutionnelle dans le monde, il nous
paraît utile, à ce niveau de l'étude, de brosser les traits
saillants de chacun de ces deux prototypes pour voir plus tard si il est
possible de créer un autre modèle ou tout simplement accommoder
les données techniques de ceux qui existent aux ambitions d'une Cour
constitutionnelle véritablement congolaise.
Commençons par ce qui caractérise le
modèle américain qui est premier dans le temps avant de voir dans
une section seconde ce qu'il en est du modèle européen.
Section 1 : LES
CARACTERISTIQUES DU MODELE AMERICAIN
Le modèle américain que nous avons
étudié au travers de sa version originale et des avatars auxquels
il a donné naissance peut se saisir en effet de façon analytique
par les caractéristiques que nous aborderons dans chacun des paragraphes
suivants.
§1. Le contrôle
diffus
Cette caractéristique qui est essentielle montre bien
que le modèle américain est décentralisé dans la
mesure où tout juge américain peut statuer sur la
constitutionnalité d'une norme inférieure à la
Constitution.
Les questions de droit constitutionnel299(*) sont
considérées comme des questions relevant de la compétence
de n'importe quel juge quelle que soit sa place dans la hiérarchie
judiciaire. La justice constitutionnelle est diffuse ou
décentralisée. 300(*)
Dans le cas des Etats-Unis d'Amérique, les voies de
recours sont celles de la common law ou celles
d'equity ; si les premières sont nombreuses celles de
l'equity peuvent également soulever des questions incidentes de
droit constitutionnel.301(*)
Il existe cependant une seule voie de droit de l'equity
qui peut donner lieu directement à une contestation de la
constitutionnalité d'une loi, il s'agit de la demande d'injonction de ne
pas exécuter une loi qui n'est pas conforme. Le juge ne tranche la
question de constitutionnalité qu'à la condition que la solution
du litige principal dépende de cet incident.
Le juge garde toutefois la latitude de se prononcer en deux
directions : il peut écarter l'application de la loi ou de l'acte
administratif inconstitutionnel ou bien l'appliquer en lui donnant un sens qui
soit conforme à la Constitution. Les voies de recours cependant peuvent
faire qu'enfin de compte seule la Cour suprême sera à même
de trancher de façon définitive la question de
constitutionnalité, les décisions des juges inférieurs
n'étant valables qu'inter partes.302(*)
Par le jeu de la règle du précédent, les
jugements de la haute Cour bien qu'inter partes elles aussi finiront par avoir
une autorité absolue de chose jugée vis-à-vis de tous. Il
faut ajouter tout de suite cependant que la règle du
précédent ne bénéficie qu'aux cours
supérieures, les juridictions inférieures elles-mêmes
étant souvent timides pour trancher les questions de droit
constitutionnel. 303(*)
En outre, le recours spécifique du pourvoi en
certiorari qui ressemble à notre pourvoi en cassation donne
toujours la possibilité à la Cour suprême de trancher la
question de droit constitutionnel qui lui est soumise.304(*)
En dehors du cas des Etats-Unis d'Amérique, il y a le
cas des autres pays de la common law qui ont adopté le
même système diffus de justice constitutionnelle. Tel est le cas
du Canada où cependant le plaideur dispose du droit à solliciter
réparation pécuniaire d'une loi inconstitutionnelle devant la
juridiction suprême. D'autres variantes existent de même en Inde
qui reconnaît des compétences de première instance à
la Cour suprême pour les questions de conflits entre la
Fédération et les Etats membres ou entre ceux-ci
seulement.305(*)
Il faut souligner que même dans certains pays de droit
romaniste, il est reconnu le droit de contrôle de la
constitutionnalité par voie d'incident aux juridictions ordinaires.
C'est le cas de l'Allemagne dont nous avons vu ci-haut qu'elle dispose d'une
Cour constitutionnelle à compétences très étendues.
Là aussi, le juge ordinaire jouit d'un pouvoir de
contrôle incident pour vérifier la constitutionnalité de
certaines lois, celles antérieures à l'entrée en vigueur
de la Loi fondamentale soit le 23 mai 1949.306(*)
L'on peut désormais affirmer que le caractère
diffus de la justice constitutionnelle de type américain reste la
règle même si de plus en plus il est remarqué une
centralisation du contrôle qui a abouti par exemple, aux Etats-Unis
d'Amérique au phénomène selon lequel la Cour suprême
impose le respect de la Constitution, interprétée par elle, au
législateur fédéral (Marbury versus Madison en 1803), ou
fédéré (Fletcher versus Peck en 1810) ainsi qu'à
toutes les autorités administratives, locales ou nationales y compris la
plus prestigieuse : le Président des Etats-Unis(US versus Richard
Nixon en 1974).307(*)
Il s'agit, à n'en point douter, d'une des
caractéristiques fondamentales du système de justice
constitutionnelle de type américain. Mais elle n'est pas la seule ainsi
que nous le verrons à propos de l'étude d'autres traits saillants
du même modèle.
* 299 Ici l'expression
« droit constitutionnel » infère aux droits et
libertés garantis aux particuliers par la Constitution américaine
et par la Déclaration des droits. Au-delà des normes
constitutionnelles fondatrices du système politique américain ou
celles relatives au pacte fédéral, les normes de
référence pour le contrôle constitutionnalité sont
souvent celles relatives aux droits de l'homme. La jurisprudence
américaine de la Cour suprême des Etats-Unis d'Amérique
indique cette référence aux droits et libertés individuels
de façon récurrente. Voir PINTO (R.), Jurisprudence
constitutionnelle de la cour suprême des Etats-Unis, Paris, PUF,
1965.
* 300 FROMONT (M.),
op.cit, p.46.
* 301 FROMONT (M.),
op.cit, p.46
* 302 ALLAND (D.) et
RIALS(S.) (sous la direction de), Dictionnaire de la culture juridique,
Paris, Lamy, PUF, 2003, pp.270-271.
* 303 Voir FROMONT (M.),
op.cit, 46 ; lire également REYNAUD (P.), « Des
droits de l'homme à l'Etat de droit. Les droits de l'homme et leurs
garanties chez les théoriciens français du droit
public », in Droits, n°2, Paris, PUF, 1985.
* 304 TURPIN (D.),
op.cit, p.642.
* 305 FROMONT (M.),
op.cit, p. 48.
* 306 Ibidem
* 307 TURPIN (D.),
Droit constitutionnel, op.cit, p.645.
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