3.4- DE LA NECESSITE DE DESENCLAVER KOUTOUGOU
Tout processus de désenclavement part du fait que la
région regorge d'une certaine richesse à tirer et qui profite
à toute la région, mieux au pays entier.
3.4.1- Les tatas, véritable richesse touristique
L'habitat est par définition l'ensemble et
l'arrangement des habitations dans un espace donné. Comme tel, il
englobe tout ce qui est construit quelle qu'en soit la finalité. On y
regroupe donc les maisons d'habitation, les enclos pour animaux, les magasins
de stockage de produits agricoles... Cependant, on en distingue deux types en
rapport avec le milieu qui les abrite. Il s'agit de l'habitat urbain et de
l'habitat rural. L'habitat urbain est celui qui est en ville alors que
l'habitat rural s'édifie en campagne. Dans les deux cas, l'habitat reste
l'expression vivante des choix économiques, sociaux et religieux de la
société qui le construit. C'est pourquoi l'habitat a
été de tous les temps considéré comme une des
marques majeures de l'appropriation de l'espace et de la formation du
territoire.
Ainsi défini, l'habitat est propre à chaque
peuple et permet de distinguer des espaces occupés par des populations
ayant une histoire et des richesses culturelles différentes. L'habitat
rural, plus que celui urbain, est le plus expressif du fait qu'il est
l'émanation pure d'une société rurale souvent
éloignée des tendances modernes de construction. Il reste donc
dénudé de tout apport étranger pouvant lui faire perdre
son authenticité.
Il paraît donc clair que la dynamique de l'habitat rural
traduit nécessairement toute une mutation dans les façons de
gérer l'espace, de le maîtriser et même dans celle de penser
de toute la société dans laquelle elle se produit. La dynamique
de l'habitat rural est alors un baromètre pour mesurer les
transformations qui ont lieu dans un peuple et dont la géographie rurale
doit chercher à en évaluer les mobiles, les manifestations
réelles dans le paysage agraire ainsi que les conséquences sur la
vie et partant sur les activités des ruraux. Il s'agit essentiellement
dans notre cas de voir comment la préservation des tatas peut être
perçue comme une raison pour justifier un processus de
désenclavement de KOUTOUGOU.
A KOUTOUGOU, terroir Temberma dans la préfecture de la
Kéran, même si les plus vieux portent encore la pierre en forme de
corne fixée dans la lèvre inférieure, les bracelets de
cauris, symbole de leur initiation, et la coiffure à double corne de
gazelle (FRANCOIS Y. 1995) elle est bien révolue l'époque des
tatas. Car les tatas disparaissent progressivement
laissant la place à un habitat de type Soukhala.
Comment se présente la maison rurale dans ce milieu et pourquoi faut-il
sauver les tatas ?
L'habitat y est plutôt semblable aux soukhalas
des pays Lamba et Nawdéba. On y rencontre des concessions regroupant
plusieurs cases, les unes de forme ronde, les autres quadrangulaires
coiffées de pailles et parfois de tôles ondulées.
L'ensemble constitué par les maisons d'habitation, les magasins, les
greniers et les enclos confère à la concession une forme ronde
donnant sur une cour fermée à laquelle on accède par un
vestibule (Waniboli), abri des statuettes, des crânes d'animaux
(Eloyo) et autres objets du culte des fétiches
(Digboo) caractéristiques de la croyance des Temberma.
Cet habitat traditionnel constitue une richesse inestimable
justifiant d'ailleurs le fait que la préservation du patrimoine Temberma
soit au nombre des priorités du Ministère togolais du Tourisme et
l'inscription du site de Nadoba au patrimoine culturel mondial de
l'humanité par l'UNESCO depuis juillet 2004.
Mais lorsque vous arrivez à Koutougou, en plein pays
Temberma, votre première surprise surtout si vous avez fait un tour par
Nadoba dans le même pays, c'est que vous ne voyez presque pas de tatas.
Les rares existants encore sont soit en voie de délabrement
avancée comme c'est le cas sur la photo 5, soit situés à
proximité des nouveaux types d'habitat (voir Photo 6). En effet, seuls
2,7% de nos enquêtés affirment vivre encore dans les tatas. Les
97,3% restants logent actuellement dans des concessions rondes ou
quadrangulaires dispersées à travers le terroir comme
photographié sur la photo 7.
Photo 5 : Tata en voie de délabrement
avancé à Koutougou
Source : Cliché de l'auteur, 2005.
Photo 6 : Cohabitation Tata-nouveaux types
d'habitats, une réalité de plus en plus
visible à KOUTOUGOU
Source : Cliché de l'auteur, 2005.
Photo 7 : Cases rondes ou quadrangulaires
dispersées à travers le terroir
Source : Cliché de l'auteur, 2005.
Ce nouveau type d'habitation hérité du brassage
avec les Lamba et les Nawdéba selon 87,1% des enquêtés est
constitué de cases rondes construites les unes à
côté des autres et enfermant ainsi une cour ronde elle aussi. On y
entre par un vestibule alors que des murs rattachent tous les
éléments du cercle comme le décrit si bien SAUVAGET C.
(1971). La
soukhala est aussi répandue dans notre zone d'étude
qu'à si méprendre, on se croirait en plein pays Kabyè.
Seulement, à côté de celle-ci, subsistent encore quelques
tatas.
Ce sont des constructions ayant tout l'air de forteresses.
D'ailleurs, certains auteurs n'hésitent pas à les désigner
sous le vocable de châteaux-forts (TEIGA M. B., 2005) eu égard aux
raisons qui militaient en faveur de leur édification. Il s'agissait en
effet de se mettre à l'abri des fauves et surtout à partir des
perforations prévues en hauteur, suivre les mouvements d'un
éventuel ennemi en temps de guerre. C'est pourquoi le
rez-de-chaussée de cette habitation à un étage est
réservé au bétail, les hommes eux dormant en hauteur.
C'est aussi en hauteur que se trouvent les greniers renfermant les provisions
de la famille et la douche familiale.
Devant le vestibule par lequel on y entre, se trouve un canari
perché sur un bois en fourche de trois branches qui constitue la
boîte pharmaceutique familiale. Ici, on retrouve des produits contre
presque tous les maux dont peut souffrir un être humain de même que
des remèdes contre les morsures de serpents.
C'est aussi à côté de ce vestibule
principal que se localisent les mottes de terre de diverses tailles
représentant les fauves abattus par un membre de la famille et qui
deviennent des fétiches pour la famille entière. En fait, dans la
société Temberma de KOUTOUGOU, un homme n'est pas capable
d'abattre un tel animal, c'est ce dernier qui se livre ou s'offre à une
famille par l'entremise d'un individu pour en devenir son protecteur.
Au demeurant, la « cohabitation » entre tatas et
soukhalas dans le terroir de Koutougou a des raisons diverses. Certains (41,8%
de nos enquêtés) disent avoir changé d'habitat à
cause des difficultés liées à la construction des tatas
alors que d'autres (15,5%) ont adopté la soukhala pour des raisons de
commodité ou encore pour montrer leur ascension sociale (39,7%). Quant
aux 3% restants, ils évoquent plutôt la disparition de la
nécessité de se défendre. En tout état de cause,
les Temberma de notre zone d'investigation apprécient à 94,8%
leur nouveau type de logis et ne pensent pas recommencer la vie dans les tatas
car comme disent les plus jeunes, il n'y pas de place dans une tata pour le
vélo ou la moto.
Tout ceci explique pourquoi les tatas disparaissent rapidement
du terroir pour faire place à des concessions rondes alors que leur
préservation aurait été sans doute une raison de
valorisation de la localité et ainsi une raison de plus pour justifier
un quelconque projet de désenclavement.
En effet, si le canton de Nadoba aux multiples atouts
socioculturels connaît ce développement que nous avons
caractérisé, c'est sans doute à cause de ses tatas qui
font l'objet d'une attraction touristique. De plus, l'inscription du patrimoine
Temberma sur la liste
du patrimoine mondial de l'humanité devait prendre en
compte tout le pays, mieux tout l'espace sur lequel vivent les Temberma.
Malheureusement, les tatas disparaissant et l'enclavement aidant, le canton de
Koutougou a été délaissé dans la
délimitation du site touristique et ne profite d'aucune attention
concernant son développement. C'est pourquoi nous pensons que la
préservation des quelques rares tatas restantes pourrait être une
motivation supplémentaire pour le désenclavement de cette zone.
Mais il n'y a pas que les tatas pour justifier un tel processus. Les nombreuses
quantités de denrées alimentaires déversées par ces
populations sur les marchés béninois alors qu'ils sont produits
à partir des intrants achetés et subventionnés par le
gouvernement togolais sont une raison bien plus sérieuse.
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