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De la reconnaissance de l'individu en tant que sujet de droit international: controverse doctrinale et perspectives d'avenir

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par Edison MUTELA MBAU
Université de Kinshasa - Licence en droit 0000
  

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§2 : La vision Scellienne et Kelsienne de l'individu en droit international

L'étude des acteurs qui agissent sur la scène internationale retient l'attention des ces doctrinaires qui nous démontrent avec foi que, nonobstant la présence des acteurs traditionnels, on doit tenir compte d'autres acteurs, cas de l'individu.

La présentation des représentations voisines de ces deux doctrinaires(a) et montrer comment s'est fait l'émergence d'un nouveau modèle(b) nous parait utile pour mieux cerner cette vision doctrinale.

140 BOBBIO(N), L'Etat et la démocratie internationale, Éd. Complexe, Paris, 2001, p.136

141 KOHEN(M), « Internationalisme et mondialisation », Le droit saisi par la mondialisation, Pedon, Paris, 1987, p.120 et ss.

142 WEIL(E), « Histoire et politique », Problèmes kantiens, Vrin, Paris, 1982, p.133

a. Présentation des représentations voisines de G. Scelle et H. Kelsen

Si l'on se réfère au Cours de G Scelle à l'Académie de droit international de la Haye, publié en 1933143, la pensée de l'auteur sur cette question peut être décomposée en deux temps.

Dans un premier temps, en s'inspirant du développement des sciences sociales de l'époque,144 l'auteur s'efforce de démontrer scientifiquement le monisme intersocial et individuel qui caractérise toute société et qui est basé sur un phénomène de solidarité spontané145. Sans aucune surprise, la notion de solidarité est en effet dans une telle perspective à la fois magnifiée et sociologisée. Elle est le moteur social des phénomènes communautaires si bien qu'elle est ici logiquement valorisée au détriment du principe de conservation. Par ailleurs, toute société est nécessairement interindividuelle car c'est l'homme qui représente l'élément premier de toute formation sociale et il « n'y a de société que d'individus »146.

On peut comprendre dés lors aisément la logique des conséquences que G. Scelle déduit de cette première thèse. S'agissant de l'Etat souverain, c'est une fiction qui n'est pas nécessaire car c'est une « abstraction anthropomorphique » qui induit en erreur par rapport à la réalité. Les Etats, dont on ne peut contester l'existence phénoménale de société spatiale organisée, ne sont que des circonscriptions de la société internationale globale147.

La communauté internationale forme bien, quant à elle, une véritable communauté car elle est issue du principe de solidarité et réunit tous les individus quelle que soit leur appartenance nationale. Les ressortissants des Etats sont en effets membres « de cette vaste société oecuménique qui s'appelle l'humanité ». Aussi bien, selon G. Scelle, il faut abandonner définitivement l'idée que la société internationale est une « société d'Etats », car il n'y aucune « différence d'essence entre une société nationale ou étatique et une société internationale »148.

143 Cité par CLAIR(A), Droit, communauté et humanité, Ed. du Cerf, Paris, 2000, p.19

144 CLAIR(A), op.cit, p.24

145 Idem, p.36

146 SCELLE(G), Manuel de droit international public, Montchrestien, coll. Domat, Paris, 1948, p.16

147 Idem, p.17

148 Ibidem, p.19

De cette vision sociologique particulière de la communauté internationale, G. Scelle déduit alors, dans un second temps, sa conception personnelle de l'ordre juridique international. L'individu, et non pas l'Etat, ou toute autre personne morale fictive, est le sujet exclusif du droit international, si bien que le monisme inter-social conduit directement au monisme juridique comme modèle des relations au sein de la grande société internationale ou société universelle du genre humain149.

La conception moniste intégrale de l'ordre juridique international que défend l'auteur ne signifie d'ailleurs pas pour lui une primauté de l'ordre juridique international sur les ordres juridiques internes, mais une véritable « fusion » ou même « absorption » de ces ordres dans le droit international ce qui est peut-être d'une certaine façon plus cohérente et logique que les autres monismes. Il est en effet, quant à lui, « très nettement partisan d'un monisme absolu dans lequel la question de la supériorité des ordres juridiques ne se pose même pas », dès lors que l'on accepte « le principe de l'unité fondamentale de l'ordre juridique universel »150.

Enfin, la forme que prend ce monisme juridique international est celui d'un fédéralisme universel. Non pas qu'il s'agisse encore d'un fédéralisme institutionnalisé, car la société internationale ne présente pas ce degré d'organisation, mais du moins s'agit-il d'un fédéralisme normatif des règles de droit151.

En même temps l'auteur laisse nettement entrevoir que le terme de cette évolution est bien le fédéralisme institutionnel et que le destin même du droit international est de devenir un droit supra-étatique ou alors de « péricliter » en tant que droit international152.

Autrement dit, il programme sa disparition progressive en tant que droit proprement international pour devenir le droit interne de cette grande communauté universelle lorsqu'elle sera institutionnalisée. Les mêmes conséquences sont perceptibles chez H. Kelsen en partant de prémisses partiellement différentes car il combattra fortement l'objectivisme sociologique dans la Théorie pure du droit

149 SCELLE(G), op.cit, p.16

150 Idem, p.8

151 Ibidem, p.28

152 Ibid, p.693

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publiée un an plus tard en 1934153. Toutefois, il partage la même vision prospective du monde et son cheminement est ici singulièrement proche de celui de G. Scelle.

Il présente trois mêmes traits caractéristiques. Tout d'abord, c'est en partant lui aussi d'un rejet de la notion de souveraineté étatique qu'il peut relativiser le rôle de l'Etat en droit international. Tout comme pour G. Scelle, l'Etat remplit, selon H. Kelsen, la fonction d'un simple organe de la communauté internationale. Ensuite, il va privilégier de la même façon une vision fondée sur l'universalisme et l'altruisme au détriment du principe de conservation et de l'égoïsme des Etats154. Enfin, il défend également l'idée d'une communauté humaine mondiale unifiée sous l'égide d'un Etat mondial, une « unité politique du monde, doté d'une organisation juridique centralisée ».

L'Etat fédéral mondial qu'il préconise n'est pas très éloigné du fédéralisme institutionnel Scellien et devra générer de la même façon un droit supraétatique, donc interne et non plus international. Il est fort intéressant également de voir que H. Kelsen pense dans des termes très proches les conditions de cette évolution vers un monisme juridique complet c'est-à-dire par un phénomène progressif de centralisation des ordres internes qui s'étendra à l'ensemble du monde155.

Le décloisonnement des ordres juridiques est envisagé par lui comme pouvant se réaliser insensiblement par une centralisation croissante de l'ordre juridique mondial, de même que l'attribution de la qualité de sujet de droit peut être accordée de façon progressive par une évolution des normes du droit international156.

b. Emergence d'un nouveau modèle

Il y a donc ici émergence d'un second modèle et il y a vraiment quelque chose de remarquable aujourd'hui, et en même temps de sous estimé ou méconnu, dans les belles constructions doctrinales de ces deux auteurs, car il n'y a pas eu, du moins à notre connaissance, durant l'histoire de la pensée internationaliste moderne, de modèle plus parfaitement cohérent du monisme communautaire et juridique.

153 HERRERA(M), Théorie politique et juridique de H. Kelsen, Kimé, Paris, 1997, p.238

154 Idem, p.242

155 KELSEN(H), Théorie pure du droit. Trad. HERRERA(M), op.cit, p.56

156 Idem, p.18

L'abolition de toutes les barrières juridiques, ou même sociologiques, qui semblent délimiter ces deux mondes, qu'il s'agisse des communautés sociologiques ou des ordres juridiques, est le signe d'un décloisonnement quasi-complet des anciens dualismes, notamment dans la doctrine de G. Scelle157.

La différence entre communautés nationale et internationale devient moins perceptible même si une certaine séparation demeure inévitablement en tant que modes d'organisation différenciés. Pensé dans ces termes, l'ordre juridique international est, en tout état de cause, voué à devenir l'ordre juridique interne d'un grand Etat fédératif mondial et donc à disparaître en tant que droit international. Il n'est donc guère surprenant que, conçue au sein d'un tel modèle, la notion de souveraineté étatique y soit dénoncée comme obstacle à l'unité politique du monde, ainsi que le formalisme des autres théories qui ne fait bien souvent, selon eux, que masquer des politiques impérialistes.

La conceptualisation de cette représentation reste donc au crédit de ces auteurs et non pas comme certains l'ont pensé, à celui d'anciens auteurs jus naturalistes, comme par exemple Christian Wolff. La référence à Wolff opérée par H. Kelsen lui-même pour défendre le principe d'un tel Etat fédératif mondial porte complètement à faux s'il s'agit de faire de Wolff le défenseur de cette représentation institutionnelle158.

Wolff n'a jamais préconisé l'instauration dans la réalité d'une quelconque Civitas Maxima qu'il considérait comme parfaitement irréalisable et comme n'étant pas souhaitable. La notion de Civitas maxima joue chez lui le rôle d'un fondement hypothétique, mais jusnaturaliste, du droit des gens envisagé comme interétatique car basé sur le respect de l'égalité et la souveraineté des Etats. Et quand Vattel suggère d'abandonner la fiction wolffienne de la Civitas au profit de la considération plus juste d'une simple Société des Etats, il ne fait que mettre à jour l'interétatisme de la communauté mondiale, selon Wolff, et du droit destiné la régir. En revanche, l'idée d'Etat mondial chez Kelsen a beau être présentée dans un premier temps comme base de validité hypothétique, mais non jusnaturaliste, du droit international, elle est appelée à s'incarner à terme dans la réalité, tant et si bien que

contrairement à Wolff, Kelsen indique justement le processus de centralisation croissante de la société internationale comme le moyen permettant de réaliser concrètement ce qui n'est encore qu'une présupposition logique159.

C'est donc bien avec G. Scelle, mais aussi H. Kelsen, et leurs fédéralismes institutionnels, qu'est remise à jour la très vielle idée de communauté mondiale unifiée. Elle est encore à venir, plus encore chez H. Kelsen que chez G. Scelle, mais elle représente leur vision prospective de l'avenir du monde. Et la finalité commune de telles doctrines se révèle en toute clarté comme étant, non pas celle d'un équilibre à rechercher entre conservation et solidarité, mais comme toute entière contenue, du moins en priorité, dans le principe de sociabilité.

Toutefois, si la réévaluation de l'idée de communauté universelle du genre humain se fait ici par le biais de la valorisation du monisme juridique, elle est surtout renforcée par le sociologisme Scellien. La connotation sociologique de la notion d'ordre juridique est essentielle pour G. Scelle car, loin d'être une simple construction intellectuelle, l'ordre juridique traduit un « phénomène social, naturel, analogue à d'autres phénomènes sociaux »160.

Il est vrai que c'est peut-être aussi l'une des raisons pour lesquelles la présentation doctrinale de G. Scelle aura moins de faveur que celle de H. Kelsen car il y a chez le premier une véritable dilution du phénomène juridique dans le social, et du national dans l'international, qui a été maintes fois dénoncé. Sans verser dans ce déterminisme sociologique qu'il récuse fortement, H. Kelsen, de son côté, défend également le monisme juridique avec primauté du droit international, mais moins en l'adossant à un monisme social donné -quoique celui-ci soit parfois sous-jacent qu'en se basant sur un choix éthique et politique fondamental.

Au déterminisme biologique et aux affirmations dogmatiques, car objectivement fondées par la science, de G. Scelle, s'opposent la logique juridique du normativisme et le libre choix éthique proposé par H. Kelsen.

Certains ont alors vu dans le monisme juridique, et y verront encore, une tentative méritoire pour restaurer la réalité de la communauté du genre humain dans

159 LEBEN(C), op.cit, p.91

160 SCELLE(G), op.cit, p.9

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toute sa dimension universaliste face à l'arbitraire des souverainetés étatiques ; et le fait que ces données universalistes soient revendiquées à une époque où le monde est ébranlé par la mondialisation, rappelle de façon suggestive la période troublée durant laquelle ces deux grands internationalistes ont élaboré de tels modèles.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore