I.2. Le coût du financement privé est-il
élevé en Côte d'Ivoire ?
Pour juger le coût du financement élevé et
donc à même de freiner la croissance économique, celui-ci
doit être le reflet d'un mauvais contexte de financement au niveau
national et/ou à l'échelle internationale.
I.2.1. La faible croissance économique en
Côte d'Ivoire est-elle liée à des contraintes de
financement interne ?
Des contraintes de financement interne existent si
l'épargne nationale est faible, l'intermédiation
financière est insuffisante, un rationnement de crédit est fait
par le secteur financier domestique et/ou ce secteur présente de fortes
vulnérabilités face aux chocs. C'est donc sur ces
différents paramètres que va se fonder l'analyse des contraintes
du financement endogène de l'économie ivoirienne.
evl.virovl.vl.evvtevl.t des affaires et reLavl.ze
6covl.ovvticit,te post-arise evl. Cate ortvoire a) L'épargne
nationale est-elle d'un faible niveau ?
De 1995 à 2002, l'épargne intérieure de
la Côte d'Ivoire représentait en moyenne 21% du PIB. Ce taux a
dégringolé à 18,5% sur la période 2003-2009 et se
situe légèrement en dessous de la moyenne de l'Afrique
Subsaharienne (22%) sur la même période. Quant à
l'épargne nationale disponible brute, elle s'est stabilisée
autour de 11,6% du PIB sur la période 1995-2009 contre 16,5% au Ghana et
16,2% au Cameroun. Le faible niveau de l'épargne nationale en Côte
d'Ivoire reflète d'importantes sorties nettes de capitaux au titre des
revenus de facteurs et des transferts courants (environ 7% du PIB en moyenne
par an). En effet, l'économie ivoirienne supporte chaque année
des paiements considérables d'intérêts sur la dette
publique extérieure mais aussi et surtout d'importants transferts sous
forme d'envois de fonds de travailleurs immigrés et de rapatriements de
dividendes vers le reste du monde.
Tableau 7 : Evolutions comparées des taux
moyens d'épargne et d'investissement de 2003 à 2009
Indicateurs
|
Moyenne 2003-2009
|
Côte d'Ivoire
|
Ghana
|
Cameroun
|
FBCF (% du PIB)
|
9,8
|
23,3
|
17,6
|
Epargne intérieure (% du PIB)
|
18,5
|
5,5
|
18,4
|
Epargne nationale (% du PIB)
|
11,7
|
16,5
|
17,6
|
Epargne nationale (% du RNB)
|
11,7
|
16,6
|
18,0
|
Epargne nette ajustée (% du RNB)
|
2,3
|
10,3
|
5,5
|
Source : DCPE et Banque Mondiale
En intégrant la dimension du développement
durable, l'on s'aperçoit que l'épargne nationale devient
très faible, en attestent les niveaux bas et décroissants de
l'épargne nette ajustée (ENA)17 sur toute la
période. Par exemple, l'ENA a représenté seulement 2,3% du
RNB en moyenne de 2003 à 2009 contre 10,3% au Ghana et 5,5 au Cameroun
(Tableau 7).
Graphique 7: Evolutions des taux d'épargne
nationale et d'investissement en Côte d'Ivoire
En %du PIB
FBCF
Epargne nle 11,8%
18,0%
16,0%
14,0%
12,0%
10,0%
4,0%
2,0%
8,0%
6,0%
0,0%
13,7% 14,8%
1995
10,4% 13,4%
1996
14,3% 10,7%
1997
10,7% 11,7%
1998
14,4% 11,2%
1999
2000
8,0% 10,6%
2001
9,9%
10,9% 9,7%
16,8% 12,3%
2002
2003
12,4% 10,0%
2004
9,8%
2005
9,7%
12,1% 8,4%
2006
9,3%
2007
8,7% 10,1%
12,3% 14,7%
2008
11,4%
2009
Source : DCPE et Banque Mondiale
17 L'épargne nette ajustée est un
indicateur de mesure du développement durable. Elle est ici égale
à l'épargne nationale plus les dépenses en
éducation, moins l'épuisement en énergie, en
minéraux et en ressources forestières et moins les dommages
causés par le dioxyde de carbone et les émissions de
particules.
La faiblesse de l'épargne nationale, surtout publique,
a orienté les investissements à des niveaux bas sur la
période (Graphique 7). L'analyse de ce graphique révèle
que l'épargne nationale s'avère largement insuffisante pour
financer les investissements nationaux, le besoin annuel de financement pouvant
se situer jusqu'à 4% du PIB. La faiblesse des investissements depuis le
début de la crise ivoirienne laisse apparaître la
disponibilité d'une épargne nationale oisive sur cette
période.
b) L'intermédiation financière est-elle
insuffisante en Côte d'Ivoire ?
L'économie ivoirienne dans ses caractéristiques
actuelles demeure une économie d'endettement. Favoriser l'investissement
et stimuler la croissance requiert dès lors une intermédiation
financière dynamique, consistant pour les intermédiaires
financiers à mobiliser l'épargne des agents à
capacité de financement pour les intégrer dans leur bilan et
procéder à des prêts aux agents à besoin de
financement, en particulier les entreprises. L'examen du tableau 8 montre que
l'épargne est faiblement rémunérée et que le
coût du crédit est relativement élevé en Côte
d'Ivoire. En effet, la marge d'intérêt des banques ivoiriennes sur
les opérations avec la clientèle, mesurée par la
différence entre les rendements moyens des prêts (taux
débiteurs) et les coûts moyens des ressources provenant de la
clientèle (taux créditeurs), est de 8,1 points de pourcentage
entre 2006 et 2009 en Côte d'Ivoire, contre une moyenne de 10,4 points
dans l'UEMOA et 11,1 points au Cameroun. La marge d'intérêt est
ressortie plus faible au Nigéria (6,5 points) et au Maroc (7,9 points).
Il convient aussi d'indiquer que dans les pays développés tels
que la France, cette marge est généralement en dessous de 4
points.
Tableau 8 : Comparaison des conditions moyennes de
banque de 2006 à 2009
Conditions de banque (en %)
|
Côte d'Ivoire
|
UEMOA
|
Cameroun
|
Nigéria
|
Maroc
|
Taux débiteurs (rendements)
|
10,6
|
12,6
|
15,1
|
17,2
|
12,1
|
Taux créditeurs (coûts)
|
2,5
|
2,2
|
4,0
|
10,6
|
4,2
|
Marge d'intérêts (spreads)
|
8,1
|
10,4
|
11,1
|
6,5
|
7,9
|
Source : BCEAO et Banque Mondiale
Les taux d'intérêts varient selon le type de
clientèle et la maturité des concours bancaires (Annexes 16 et
17). Par ailleurs, malgré la baisse des taux directeurs de la BCEAO en
juin 2009 de 0,5 point (diminution du taux de pension de 4,75% à 4,25%
et du taux d'escompte de 6,75 à 6,25%), les taux d'intérêt
débiteurs appliqués à la clientèle à fin
décembre 2010 sont restés élevés et
démontrent que plusieurs banques ivoiriennes n'ont véritablement
pas intégré cette baisse dans la tarification de leurs services
bancaires. Cette situation semble refléter l'augmentation des besoins de
liquidité des entreprises ivoiriennes, en liaison notamment avec la
baisse des recettes d'exportation et l'accroissement des risques de
défaut de paiement dans le contexte de crise financière et
économique internationale.
Même si la qualité du portefeuille des banques
s'est légèrement améliorée à fin juin 2010
par rapport à la situation de fin décembre 2009, il est bon de
noter qu'à fin 2008, le taux brut de dégradation du portefeuille
de la Côte d'Ivoire était plus élevé que la moyenne
dans l'UEMOA, comme l'attestent les données du tableau 9.
Tableau 9 : Qualité du portefeuille de
crédit bancaire en Côte d'Ivoire de 2007 à fin juin
2010
En milliards de FCFA
|
COTE D'IVOIRE
|
UEMOA
|
Déc. 2007
|
Déc. 2008
|
Déc. 2009
|
Juin. 2010
|
Déc. 2008
|
Crédits sains (1)
|
1 576,3
|
1 680,3
|
1 852,2
|
1 822,9
|
|
Court terme
|
1 162,3
|
1 155,2
|
1 215,1
|
1 133,3
|
|
Crédits de campagne
|
97,4
|
95,0
|
99,1
|
60,7
|
|
Crédits ordinaires
|
1 065,0
|
1 060,2
|
1 116,0
|
1 072,5
|
|
Moyen terme
|
353,6
|
446,3
|
530,5
|
582,2
|
|
Long terme
|
39,5
|
58,0
|
80,5
|
81,3
|
|
Crédit bail
|
20,9
|
20,7
|
26,2
|
26,1
|
|
Crédits en souffrance (2)
|
34,6
|
90,8
|
88,8
|
82,9
|
|
Impayés et immobilisés
|
19,3
|
47,5
|
53,0
|
49,7
|
|
Douteux et litigieux
|
15,3
|
43,3
|
35,8
|
33,2
|
|
Total Crédits à l'économie (3) = (1)
+ (2)
|
1 611,0
|
1 771,1
|
1 941,1
|
1 905,8
|
|
Provisions (4)
|
304,246
|
309,395
|
280,42
|
267,481
|
|
Créances en souffrance brutes (5)
|
338,9
|
338,9
|
338,9
|
338,9
|
|
Total portefeuille crédits à
l'économie (6) = (1) + (5)
|
1 915,2
|
2 019,2
|
2 191,1
|
2 161,8
|
|
Taux brut de dégradation du portefeuille (7) =
(5)/(6)
|
17,7%
|
16,8%
|
15,5%
|
15,7%
|
18,3%
|
Taux net de dégradation du portefeuille (8) = (2)/(3)
|
2,1%
|
5,1%
|
4,6%
|
4,3%
|
7,3%
|
Taux de provisionnement (9) = (4)/(5)
|
89,8%
|
91,3%
|
82,7%
|
78,9%
|
64,5%
|
Source : BCEAO - CODESFI, 2010
Le taux brut de dégradation du portefeuille est
ressorti à 16,3% au Sénégal en 2008 et il a
été en moyenne de 13,75% au Ghana, 16,37% au Nigéria et
14,45% au Maroc sur la période 2005-2006. En termes relatifs, l'on peut
affirmer que le taux brut de dégradation du portefeuille des banques
ivoiriennes est élevé. Cela traduit un niveau de risque
considérable pris par ces banques et peut justifier l'exigence d'une
prime de risque élevée sur le rendement des prêts en
Côte d'Ivoire. En outre, la solvabilité du secteur bancaire
ivoirien s'est fortement dégradée au cours des dernières
années, en passant de 12,2% en 2002 à 9,25% à fin 2008
(CODESFI, 2010).
c) Le système financier local
opère-t-il un rationnement de crédit ?
Le système bancaire ivoirien enregistre chaque exercice
un excédent de trésorerie depuis 2004, celui-ci étant
évalué à plus de 200 milliards de FCFA par an. Cette
importante trésorerie constitue l'essentielle des ressources non
employées au sein de l'UEMOA. En 2008, environ 23% de la
trésorerie dégagée par l'Union provient de la Côte
d'Ivoire (Tableau 10).
Tableau 10 : Evolution des ressources et emplois
des banques ivoiriennes de 2004 à fin juin 2010
(En milliards de FCFA)
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Juin 2010
|
UEMOA (2008)
|
TOTAL EMPLOIS (E)
|
1 600,6
|
1 624,4
|
1 787,2
|
2 188,5
|
2 381,5
|
2 527,3
|
2 590,3
|
8 152,2
|
E1 : Crédits Clientèle
|
1 380,3
|
1 378,0
|
1 343,9
|
1 652,1
|
1 820,4
|
1 943,3
|
1 905,4
|
6 119,6
|
E1.1 Crédits sains
|
1 210,2
|
1 310,4
|
1 294,3
|
1 614,6
|
1 741,6
|
1 854,5
|
1 822,7
|
5 670,1
|
E1.2 Crédits en souffrance
|
170,1
|
67,6
|
49,6
|
37,5
|
78,8
|
88,8
|
82,7
|
449,5
|
E2 : Autres emplois
|
220,3
|
246,4
|
443,3
|
536,4
|
561,1
|
584,0
|
684,9
|
2 032,6
|
TOTAL RESSOURCES (R)
|
1 848,6
|
1 873,5
|
2 015,2
|
2 343,7
|
2 547,0
|
2 799,3
|
2 977,5
|
8 881,5
|
R1 : Dépôts et emprunts
|
1 497,0
|
1 541,9
|
1 674,1
|
1 970,3
|
2 100,4
|
2 333,5
|
2 521,5
|
7 345,1
|
R2 : Fonds Propres nets
|
215,4
|
199,7
|
174,9
|
176,6
|
186,2
|
221,1
|
202,9
|
850,4
|
R3 : Divers
|
136,2
|
131,9
|
166,2
|
196,8
|
260,4
|
244,7
|
253,1
|
686,0
|
EXCEDENT (R-E)
|
248,0
|
249,1
|
228,0
|
155,2
|
165,5
|
272,0
|
387,2
|
729,3
|
Source : BCEAO - CODESFI, 2010
Malgré cette abondance de liquidité, la
contribution du secteur bancaire au financement de l'économie ivoirienne
reste faible. Cette contribution, mesurée par le rapport entre les
crédits à l'économie et le PIB, est passée de 16,5
% en moyenne sur la période 1995-1999 à 15 % de 2000 à
2008, avant d'atteindre 17,3% en 2009 contre un ratio de 17,8 % au Ghana, 11,5
% au Cameroun, 34 % au Nigeria, 77 % au Maroc et 87,8 % en Ile Maurice. La
tendance en Côte d'Ivoire traduit ainsi une accentuation des
difficultés d'accès aux concours bancaires au cours des
dernières années. Pour le monde des affaires, ces
difficultés de financement concernent surtout les PME/PMI et les
entrepreneurs individuels. Selon l'enquête de la Banque Mondiale, sept
PME/PMI ivoiriennes sur dix estiment qu'elles éprouvent des
difficultés d'accès au financement bancaire local, alors que
seulement 45% des grandes entreprises sont concernées par la
question.
Les difficultés d'accès des populations aux
services bancaires classiques ont ainsi favorisé la floraison des
institutions de microfinance. Ainsi, en dépit de la persistance des
tensions sociopolitiques, le secteur de la microfinance a su maintenir une
bonne dynamique, comme en témoigne la progression continue du nombre de
bénéficiaires et de l'épargne. En effet, le secteur a
atteint la barre du million d'adhérents en 2009 contre 972 691 en 2008.
L'encours des dépôts est passé de 85,4 milliards de FCFA
à fin 2008 à 85,6 milliards de FCFA à fin 2009. Quant au
volume des crédits distribués, il ressort à 25,6 milliards
en 2009 contre 40,6 milliards en 2008. Cependant, la situation
financière du secteur de la microfinance en Côte d'Ivoire est
très préoccupante, avec tous les grands réseaux en quasi
faillite.
d) Le secteur financier ivoirien est-il
vulnérable aux chocs ?
A la demande du Gouvernement ivoirien, le secteur financier a
été évalué du 29 avril au 12 mai 2009 au titre du
Programme d'Evaluation du Secteur Financier (PESF) par les Experts du FMI et de
la Banque Mondiale. Le diagnostic a révélé des faiblesses
au niveau de l'ensemble des composantes du secteur financier. Les stress tests
effectués dans le cadre cette évaluation et ayant porté
sur un scénario macroéconomique, combinant trois scénarii
distincts « augmentation uniforme des créances en souffrance de 50%
», « 40% de dépréciation du FCFA contre l'Euro »
et « 600 points de base de diminution uniforme le long de la courbe des
rendements », montrent que le système bancaire ivoirien reste
vulnérable aux chocs notamment exogènes. En effet, aucune banque
ne résiste à l'un des trois scénarii de chocs retenus, les
banques les plus vulnérables étant celles à capitaux
nationaux. Par ailleurs, les effets combinés des trois chocs conduisent
à une dégradation très prononcée de la situation du
système bancaire qui se traduirait par la chute du ratio de
solvabilité de 9,28% à 2,30%.
En tout état de cause, le contexte de financement
interne est peu favorable en Côte d'Ivoire. La faible contribution des
banques au financement de l'économie nationale, nonobstant une
surliquidité du système bancaire, suggère que le
réel problème réside dans la réticence des banques
à satisfaire les énormes besoins des agents économiques et
qu'il n'est pas forcément lié à des coûts du
financement non accessibles. Il s'agit bien plus d'un problème
d'accès limité au financement bancaire, qui hélas ne
trouve pas de solutions alternatives crédibles en Côte d'Ivoire.
Aussi, le déclin de la stabilité du secteur financier au cours
des dernières années reflète-il le caractère
très risqué de l'environnement des affaires et la
dégradation de la gouvernance décrits plus haut, qui minent la
qualité des portefeuilles bancaires et constituent un frein tangible au
financement de l'économie nationale et donc à la croissance.
|
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