1.3.3. La dynamique des organisations des producteurs
au Sénégal
L'étude de la dynamique des OP se limite ici à
celle des organisations ayant des objectifs opérationnels précis
sur la promotion non de valeurs, mais plutôt celle du producteur et des
filières agricoles dans lesquelles il s'investit. Dans cette
perspective, il s'agit d'éclairer soit les interventions de
l'État, soit les efforts d'adaptation des producteurs dans les
contextes
définis. Autrement dit, notre analyse s'attache
à expliquer la diversité, l'influence et l'importance des OP au
regard du contexte de leur émergence et des mutations qu'elles ont
subies depuis la fin de la période coloniale.
En effet, l'histoire des OP au Sénégal est
étroitement liée aux interventions de l'État visant
à promouvoir la culture de l'arachide dans le bassin arachidier ou au
développement d'autres filières de production (riziculture dans
le Delta) dans les zones agro-écologiques, depuis la création des
Sociétés Indigènes de Prévoyance (SIP) en 1910
jusqu'aux années 1980/1990 qui consacrent à la fois
l'avènements des Groupements d'Intérêt Economique (GIE) et
la multiplication des groupements d'organisation paysannes avec la naissance du
CNCR et du regroupement des OP dans la Vallée, (E.S.N.Touré, 2004
:25). Donc l'historique des OP remonte aux SIP qui devaient jouer un rôle
d'assurance mutualiste dans l'économie local des pays africains
exposés à des crises chroniques de disettes. Ces
sociétés continueront d'exister après 1960 à
coté des coopératives qui finiront par les absorber. Cependant la
participation paysanne dans le développement agricole varie peu, car
cette participation s'exprime dans le nouveau contexte de souveraineté
nationale dans les mémes conditions qui prévalaient sous
l'administration coloniale.
Les coopératives se sont développées dans
un contexte où l'encadrement technique fait défaut et où
la faiblesse de l'épargne ne leur permet pas de fonctionner de
façon autonome. Toutefois le développement de la production
arachidière a bénéficié de la conjonction de
plusieurs facteurs dont l'intervention de l'État par
l'intermédiaire de la SODEVA et son alliance avec les forces sociales
qui ont joué un certain rôle dans l'expansion de la culture
arachidière. Ces coopératives restent donc le premier stade de
structuration du monde paysan après les indépendances. Elles ont
permis de rassembler des forces pour réaliser des actions communes
menées sous la tutelle de l'ONCAD qui, néanmoins ne furent pas
bénéfiques pour les paysans.
Le deuxième stade de structuration du monde paysan a
été confirmé avec l'objectif d'autosuffisance alimentaire
par la riziculture au niveau du Delta par la création de la SAED en
1965, en tant que société régionale de
développement rural (S. Ndiaye, 1995-1996 : 41). De 1965 jusqu'en 1980,
cette structure va détenir à elle seule les facteurs et moyens de
production à travers un système d'encadrement dirigiste et
centralisé et une approche techniciste. La SAED se proposait d'organiser
les paysans autour du mouvement coopératif pour les associer au
procès de production. Mais le clientélisme
politico-économique de l'époque va bloquer ce mouvement (S.
Ndiaye, 1995-1996 : 41). C'est à partir des dérives des
Société Régionale pour le Développement Rural
(SRDR) (primat du fonctionnement sur
l'investissement, personnel pléthorique et gestion
gabégique) que seront élaborées des mesures de restriction
de leurs tâches ainsi que le cantonnement de leurs activités dans
des contrats/plans établis par l'État. Ainsi la SAED va
désormais se limiter aux fonctions de pilotage, suivi-évaluation,
vulgarisation, coordination etc., et laisser aux OP les activités
productives autour de la gestion du crédit, du matériel agricole,
de l'approvisionnement en intrants etc.
Le troisième stade de structuration est
caractérisé par l'émergence d'OP plus autonomes. En effet,
consacré par la réforme de la NPA en 1984, le
désengagement de l'État favorise la création de GIE.
Ceux-ci continuent à proliférer dans tous les villages, surtout
au Nord et au Sud-est qui sont les zones d'intervention de la SAED et de le
SODEFITEX, où les opportunités offertes aux producteurs sont
encore plus grandes en raison des barrages et de l'importance de flux
d'investissements publics et privés injectés dans cette zone par
rapport au reste du Sénégal (E.S.N.Touré, 2004 :34). Ainsi
la volonté de regroupement traduit la nécessité, pour
celles-ci, de renforcer leur pouvoir de négociation et de prendre en
charge les revendications exprimées dans le milieu paysan. C'est cela
qui explique l'importance prise par le Comité National de Concertation
et coopération des Ruraux (CNCR) et la fédération des
producteurs de la Vallée qui regroupent beaucoup d'OP sur l'ensemble du
territoire national et dans la vallée du fleuve Sénégal.
C'est deux organisations ouvrent de nouvelles perspectives aux revendications
paysannes, en raison de leur dimension, de leur proximité
vis-à-vis de leur base et du nouvel environnement lié au
désengagement de l'État et à la politique de
décentralisation.
Les dispositions institutionnelles évoquées plus
haut vont donc créer un cadre d'émergence particulièrement
favorable aux OP privilégiés. Le GIE va être
instauré par la loi n°84_37 du 11 Mai 1984, les communautés
rurales vont gérer l'affectation des terres, la Caisse Nationale de
Crédit Agricole du Sénégal (CNCAS) va aussi s'installer
dans la région en 1987. Dans un second mouvement, ces dispositions
institutionnelles largement dominées par le capital international vont
favoriser le regroupement des GIE et OP autour des structures
fédératives comme les Organisations Fédératives
Paysannes (OPF) du Delta (ASSESCAW, AFEGIED ETC.), pour en faire des cadres
privilégiés afin de faciliter l'accès au foncier et au
financement agricole, (S. Ndiaye, 1995-1996 : 42).
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